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- Lola ?

...

- Lola ?

Je sentis une main me secouer le bras. Ce geste eut pour effet de me redémarrer. C'était comme si je voyais pour la première fois, comme si le voile noir m'empêchant de voir jusqu'à maintenant avait été retiré.

- Ah, mademoiselle Vermy, vous revoilà parmi nous. Je vous prierais de ne pas dormir en cours. Merci. Après avoir prononcé ces mots, le professeur passa rapidement sa main dans ses cheveux et se remit à dicter sa leçon.

Je dormais ? Je n'avais pas le souvenir de m'être endormie. A vrai dire, je n'avais même pas le souvenir d'être venue au lycée... D'ailleurs, quel jour on est ?

Beaucoup trop de questions se bousculaient dans ma tête, j'avais l'impression de devenir folle. Je ne me souvenais de rien. Je me rappelais de mon identité, de ma vie, de mes amis, etc. Bien sûr. Mais pas du déroulement de cette journée. Je ne pourrais pas vous dire comment je me suis rendue au lycée, ni ce que j'ai fait, ni même quelle heure il est. Est ce qu'on est le matin ou l'après-midi ? Soudain ma respiration devint saccadée, je sentis le stress monter en moi. Ma vision devint flou et la voix du professeur de plus en plus lointaine.

La sonnerie retentit.

En l'entendant, je saisis mon sac et ma veste et me précipitai en courant en dehors de la classe, pour rejoindre les toilettes. J'entendis le professeur me faire une réflexion mais je n'y fis pas attention, j'étais trop occupée à essayer de me rendre aux toilettes sans tomber.

Une fois là bas, je me passai plusieurs fois de l'eau sur le visage, respirai un bon coup et me fixai dans le miroir en face de moi. Je tâtai mon visage avec ma main humide. C'était bien moi. Des cheveux à la bouche, en passant par les yeux, je me reconnaissais. Je poussai un soupir de soulagement en réalisant que je n'étais pas complètement folle. Bon, je ne me rappellais pas du tout du déroulement de cette journée, mais au moins je me rappellais de mon visage, c'était déjà ça...

- Lola ça va ? Tiens t'as oublié tes affaires. Mon amie Lise venait de sortir de nulle part. Elle se tenait maintenant devant moi et me tendait mon cahier et ma trousse en souriant.

- Dis, qu'est-ce que j'ai fait aujourd'hui ? Lui demandais-je en rangeant mes affaires dans mon sac.

- C'est à dire ?

- Bah... Comment je suis venue ? Dans quels cours on a été ?

- On est venues en bus ensemble. Bon après je peux comprendre que tu t'en souviennes pas, t'étais pas vraiment réveillée ce matin. Sinon, on a été en maths et en français et après, euh... On était en Histoire, jusqu'à ce que tu te barres en courant. D'ailleurs ça a pas trop plu au prof.

- D'accord... Ah, une dernière question ; on est quel jour...?

Elle me lança un regard perplexe. Bah on est lundi... T'es sûre que ça va Lola ?

- Oui oui, t'inquiète pas. Je m'essuyai rapidement le visage et on rejoignit nos amis dans le hall d'entrée.

J'étais là parmi tout le monde, mais j'avais l'impression d'être ailleurs. Je les entendais parler et rigoler, mais tous ces bruits se mélangeaient et formaient un brouhaha inaudible. Je n'arrivais même pas à les distinguer clairement, ils formaient tous une masse flou.

La sonnerie retentit. Je me dirigeais machinalement vers les escaliers pour aller en classe lorsque quelqu'un me saisit le bras.

- Heu tu vas où ? Me demanda mon amie Marie en me tirant vers elle.

- En Espagnole, pourquoi ?

- On a la sortie je te signale !

- Quelle sortie ?

Laura pouffa avant de répondre, bah au musée d'histoire naturel. Ça fait une semaine qu'ils nous parlent que de ça, tu te souviens pas ?

- Laisse tomber, elle est dans la lune depuis ce matin. Dit Lise, en me tirant vers la sortie.

Le ciel était gris, et une épaisse couche de brume enveloppait la forêt et descendait petit à petit sur les trois bus garés devant celle-ci.

- Wow, ils ont mis le budget pour les bus. Les connaissant, je pensais qu'ils allaient nous y faire y aller à pied.

Mes amis émirent un léger rire en entendant ma remarque. C'était trop beau pour être vrai, trois énormes bus aux vitres teintées et si l'on en croit une fille qui venait de hurler de joie dans l'un d'eux, il y avait le wifi, et gratuit en plus.

On rejoignit la première des trois énormes files d'élèves qui attendaient devant chaque bus. De ce que j'avais pu observer jusqu'à maintenant, les profs s'étaient vraiment mal organisés ; on devait faire la queue pendant un très long moment, et une fois arrivé devant la porte on ne vous laissait même pas entrer. Il y avait un prof qui tenait une liste et qui avait pour "mission" de vérifier que l'élève en question avait bien sa place dans le bus derrière lui. Si par miracle l'élève avait choisi la bonne file, il pouvait rentrer dans le bus. Par contre si le prof le recalait, c'est qu'il avait attendu dans le froid pendant une plombe pour rien, et qu'il devait maintenant recommencer la même action dans une autre file. Pour le moment, c'était surtout le deuxième cas qui arrivait le plus souvent. Le prof affichait un sourire satisfait en annonçant à l'élève qu'il s'était trompé, et regardait celui-ci s'éloigner en jurant.

Je ne me sentait pas très à l'aise, on était tous serré, et tous les gens autour de moi ne faisait que tousser et renifler. Au départ je pensais qu'ils avaient juste attrapé froid, mais je changeai d'avis en voyant que le garçon juste à côté de moi avait un teint cadavérique, des lèvres si sèches qu'elles se craquelaient et des cernes rougeâtres très voyantes. En me retournant, je vis qu'il n'était pas le seul, tous les gens derrière moi avaient la même sale gueule. Marie se mit à gigoter dans tous les sens puis elle vida son sac par terre.

- Ma ventoline... J'ai pas ma ventoline ! Je crois que je l'ai oublié au lycée...

- C'est pas grave, la sortie ne va pas durer longtemps et en plus tu t'en sers quasiment jamais ! Marie lança un regard noir à Lise qui venait de prononcer ces mots.

- Ok, ok, on y va... Lise essaya d'entraîner Théo avec elle mais celui-ci s'était accroché à un poteau.

- Non, je veux pas y aller. Si on part, on va perdre notre place dans la file !

- On aura une place dans un des bus dans tout les cas, donc tu viens avec moi ! Lise le pinça pour qu'il lâche son emprise, ce qui me fit rire. Mais Théo se vengea dans la seconde, en me tirant, lui aussi, le bras pour me faire venir avec eux. Qu'est ce qu'ils ont tous avec ça aujourd'hui ? On courut jusqu'à la salle "fourre tout", où les élèves rangeaient leurs valises, leurs outils, leurs cartons à dessins, ou tout autre chose qui serait encombrante en classe. Après plusieurs minutes de recherche, Théo qui était entouré de sacs de sport, brandit victorieusement la ventoline, le sourire aux lèvres. On sprinta dehors aussi vite qu'à l'aller, d'ailleurs, je faillis me croûter dans les escaliers. En sortant, j'eus une petite montée de stress en voyant qu'il n'y avait plus aucun élève. Un silence de mort régnait.

Ce n'était pas possible, quand on était parti seule une toute petite partie des élèves était rentrée dans les bus... On ne s'était absenté que cinq minutes, Ils n'avaient quand même pas pu tous rentrer dans les bus en si peu de temps. On se précipita vers le premier bus devant lequel le prof attendait toujours. Il avait le regard perdu dans le vide. Quand il nous remarqua enfin, il se dirigea vers nous d'un pas lent, le visage pâle, le regard sans vie et il nous annonça dans le plus grand des calmes que l'on devait aller dans le troisième bus. Puis il retourna à sa place et se remit à fixer je ne sais quoi en face de lui. On accéléra le pas pour rejoindre notre place, mais je ralentis en voyant une tâche rouge sur une des vitres du premier bus. En fait il y en avait aussi sur les autres vitres, qu'est-ce que ça pouvait être ? En passant devant le deuxième bus je remarquai des tâches similaires sur les vitres. Je me stoppai une seconde pour essayer de déterminer la nature de ces tâches quand quelque chose me fit sursauter. Le visage d'un garçon en pleure venait de se coller contre une des vitres. Il frappait contre celle-ci et suppliait qu'on vienne l'aider. Puis une main ensanglantée se plaqua sur sa bouche pour le faire taire. Mais le garçon hurlait toujours, alors une fille sortit de l'ombre et planta ses dents dans la gorge du pauvre adolescent. Je me mis à marcher à reculons en le fixant. Essayant de me convaincre que ce n'était pas arrivé, que ce n'était que mon imagination, rien d'autre. Mais en arrivant devant le troisième véhicule je vis plusieurs mains, elles aussi ensanglantées, frapper énergiquement contre les vitres. Je me jetai alors sur Théo, qui allait rentrer dans le bus, pour l'en empêcher.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?

- Restez pas là, courez !

- Pourquoi ?

- Ils sont malades...

- Hein ? Mais ils ont quoi ?

- Je sais pas, mais ils vont vraiment pas bien, donc... Ecoutez moi, et courez putain ! Il faut partir d'ici, et vite...

En voyant l'expression de terreur qui était figée sur mon visage, ils se regardèrent un instant et me firent tous un signe de tête approbateur. On se mit à courir en direction du parking en entendant des grognements sortirent du bus. C'est un grand parking pour les gens du voyage et leurs caravanes. Il est collé à notre lycée mais les deux terrains sont séparés par un grillage assez haut.

- Venez, y en a bien un qui pourra nous aider là bas !

Quelqu'un hurla. En fait je devrais plutôt dire quelque chose car ce cri n'avait rien d'humain...

- C'était quoi ça ?! Demanda Théo horrifié.

- C'est rien, ne te retourne pas on y est presque !

Mais bien sûr il ne m'a pas écouté, et il s'est retourné... Il se figea sur place quand il vit une fille débouler du véhicule, du sang plein le visage et un bout de viande ensanglanté dans sa main. A première vue on dirait un bout d'intestin.

Je lui mis une claque pour lui remettre les idées au clair et le tira par son col pour qu'il me suive.

En arrivant devant le grillage Théo tomba à genoux en se tenant la tête, mais putain c'était quoi ça ?! C'est pas possible je dois rêver... Oui c'est ça, c'est juste un rêve...

- Reprend toi bordel !

- C'est vrai, ta gueule, tu vas les attirer ! Lui dit Lise en le relevant.

Marie au bord des larmes s'approcha de lui, posa sa main sur son épaule et elle lui dit calmement : écoute on flippe tous, mais si on veut s'en sortir il faut qu'on reste calme donc respire un bon coup et détend toi s'il te plaît...

Il lui lança un léger sourire et lui obéit.

- Sinon, comment on fait pour aller sur le parking ?

- Je vous aurais bien proposé d'escalader le grillage mais bon on connaît tous nos compétences sportives.... Elle émit un léger rire.

Marie aperçut une poubelle cachée entre des buissons. Elle la tira jusqu'à nous et la colla contre le grillage.

- Marie tu es un génie, s'écria Théo.

J'y allai la première. Je grimpai sur la poubelle et enjambai la grille avec facilité mais je m'écrasai au sol à cause de mon atterrissage pas vraiment contrôlé, ce qui eut pour effet de faire pouffer mes amis, qui ne tardèrent pas à grimper à leur tour sur la poubelle.

Ça y est on est dans le parking, mais il y a quelque chose de bizarre.... D'habitude ça grouille de vie, on voit les enfants courir dans tous les sens, s'amuser, rigoler... Mais là, on dirait qu'ils ont tous déserté l'endroit, en laissant toutes leurs affaires sur place.

Un silence de mort régnait. Il fut brisé par des cris inhumains. Derrière nous, une dizaine,non. Une vingtaine d'élèves, en sang, déboulaient des bus. L'un d'eux nous aperçut et se précipita vers nous en hurlant. Il fut vite rejoins par les autres. Ils couraient tous à une vitesse phénoménale....

- Vite, vite, vite, faut y aller ! Dit Lise qui était la dernière à descendre de la grille.

- On a qu'à prendre une des caravanes, Théo t'as commencé la conduite accompagnée, non ?

- Heu oui mais...

- Ok ben on y va ! Le coupai-je.

On se précipita vers la caravane la plus proche, la porte était ouverte mais pas de clefs en vue. On s'apprêtait à en essayer une autre quand Marie s'écria :

- Eh y'a une femme là bas, on peut lui demander de nous aider.

Je suivis du regard la direction vers laquelle son doigt était pointé. Il y avait une femme avec un t-shirt rouge, jeune a vue d'oeil, qui était assise une bouteille à la main.

Ce n'était pas un t-shirt rouge... On est maintenant devant elle et je peux vous dire que son habit n'était pas du tout rouge. Cette pauvre femme baignait dans son propre sang, son regard était perdu dans le vide. Elle était morte. En regardant de plus près je vis sur son bras gauche, une morsure. Alors que je me penchai pour en être sûre, le cadavre eut un spasme. Puis un autre. Puis encore un. On partit doucement à reculons en ne la quittant pas du regard. Elle lâcha sa bière qui s'éclata au sol dans un fracas.

On se mit à courir dans la direction inverse quand elle releva la tête et nous fixa de ses yeux blancs. J'entendis un gros bruit, et en me retournant je la vis en train de ramper au sol vers nous, en mordant énergiquement dans le vide, comme si elle essayait de nous mordre à distance.

- Yes ! J'ai des clefs ! Dis-je le sourire aux lèvre, en brandissant les clefs que je venais de récupérer dans une marre de sang par terre.

On se dirigea vers la caravane qui venait de se mettre en route et on accélèra en voyant des élèves débouler sur le parking. Je ne savais pas comment ils avaient réussi à nous suivre, s'ils étaient eux aussi montés sur la poubelle ou s'ils avaient trouvé une trouée dans le grillage mais maintenant ils étaient là, et ils avaient l'air affamé...

Quand on arriva enfin devant l'engin, la porte était ouverte. Non. Il n'y en avait pas, il y avait juste un drap qui séparait l'extérieur de l'intérieur. Théo démarra dans la seconde et donna un grand coup sur l'accélérateur. Le véhicule roula sur un mètre avant de ralentir de plus en plus jusqu'à s'arrêter complètement. Plus d'essence.

- Merde... Comment on fait maintenant...?

Personne ne lui répondit, on était figé sur place à fixer ce qu'il se passait devant nous.

Ce n'était plus une vingtaine d'élèves qui se trouvait face à nous mais bien une bonne cinquantaine.... Ils ne couraient plus, ils savaient que ça ne servait à rien. On était cerné.... Plus aucune chance de s'enfuir....

Mais Lise ne voulait pas abandonner, elle hurla à Théo de fermer la porte.

- Je-je peux pas.... Y a pas de porte....

- Attend, donc la seule chose qui est censée nous protéger d'eux c'est un vulgaire drap ?! En disant cela elle se dirigea vers la "porte" et s'énerva contre le tissu.

- Quel genre de con met un drap à la place d'une por...

Une main sortit de l'ouverture pour se plaquer sur sa bouche, la faisant ainsi taire.

Ensuite tout s'est passé très vite... On n'a pas eu le temps de réagir. On n'a pas pu l'aider, on n'a pas pu la sauver...

C'était une fille de terminale qui avait plaqué sa main sur sa bouche, elle l'avait ensuite jeté en dehors de la caravane, sur le parking puis elle s'était jeté sur elle, en la dévorant à pleines dents. Je vis la terminale relever sa tête du corps sans vie de mon amie et je peux vous jurer qu'elle m'a souri... Puis elle a replongé son visage ensanglanté dans son repas.

Quelques élèves la rejoignirent pour se régaler de Lise, mais la plupart d'entre eux se dirigeaient dangereusement vers nous. Apparemment ils préféraient manger chaud...

Ça y est l'un d'eux est entré... Ah, en plus il a amené un copain. À ce moment précis mon cerveau s'arrêta de nouveau comme ce matin. Je n'entendais plus rien et j'avais l'impression de voir la scène au ralenti :

Marie en larme qui se précipitait vers le fond de la caravane, Théo au sol qui se débatait tant bien que mal contre une fille qui essayait de lui boulotter les jambes. Et moi, au milieu de tout ça, comme figée. Deux garçons de première faces à moi, un sourire carnassier sur les lèvres.

Et tout d'un coup, tout redevint normal, c'était comme si on avait rebranché mon cerveau. J'entendais Théo hurler, Marie pleurer et je les voyais, ces deux garçons, qui se rapprochaient de plus en plus de moi. Je pouvais enfin bouger.

Sans réfléchir, je me jetai au sol en me tenant la tête, mes larmes dévalent mes joues. Je fermai les yeux. Ma dernière action, en sentant leurs mains se planter dans mon dos fut de crier le plus fort que je puisse :

- STOP !

J'ouvris les yeux, j'étais dans ma chambre. Je me relevai doucement encore sonnée.

Ce n'était qu'un rêve ?

Ma mère ouvrit énergiquement la porte de ma chambre en souriant :

- Ah c'est bien t'es déjà réveillée. Traîne pas trop au lit, faudrait pas que tu arrives en retard pour ta sortie.

- Quelle sortie ?

- Celle au musée d'histoire naturelle. En plus vous avez de la chance, j'ai entendu dire à la dernière réunion qu'ils vous ont réservé des super bus avec le wifi gratuit à l'intérieur ! En disant ça, ma mère m'adressa un clin d'œil ainsi qu'un sourire puis elle sortit de ma chambre.

Je me forçai à sourire, mais cette nouvelle ne me réjouissait pas du tout...

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