La Poussière a peur

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J'ai peur. Depuis ma tendre enfance, j'ai toujours eu peur. De quoi ? Cela a varié au cours du temps. D'un monstre, de la perte d'un proche, d'un animal, de la douleur, de l'inconnu, de la mort, des autres humains, de la vie. J'ai toujours cru être le seul peureux de cette planète, d'être à part de par ma peur, de n'être qu'un flippé parmi un monde serein et sûr de lui.

Mais la réfléxion m'a amené à la triste conclusion, que tout le monde, qui qu'il soit, peu importe sa vie, son physique, ses amis, a peur.

La peur est tellement ancré en chacun d'entre-nous qu'elle ne devrait pas être un sentiment à part, mais n'être qu'un morceau de ce qu'on appelle la nature humaine. Nous la subissons au quotidien, et les minutes de répit dans une journée sont bien maigres, face à l'effroi constant qui dirige la plupart de nos actions.

Elle commence le matin, dès que nos yeux s'ouvrent. Je me réveille seul, sans amour, sans personne pour frotter son corps au mien, et la pensée de cette situation comme étant éternelle me traumatise dès le réveil, au point que je me presse de m'enfuir dans un flux d'informations, ou dans un mouvement dynamique, pour fuir cette peur qui déjà entre en moi.

Si je me réveille amoureux, libre, étreignant mon corps contre celui d'un être que j'aime, la peur ne me laisse pas pour autant tranquille. Car ce bonheur, ce confort serein et magique, n'est pas éternelle, le lendemain ne sera pas forcément ainsi, et je m'efforce alors de profiter au maximum, mais non pas par choix, par simple peur, pour fuir la pensée que la vie n'est qu'un jeu de funnambule où il est possible à chaque seconde de tomber.

La peur est tellement profonde en chacun de nous, qu'elle nous force à manger, à parler, à voir d'autres personnes. Mais même dans ces instants où nous agissons par peur, cette dernière revient, comme pour nous porter un coup fatal. Je mange trop, ou pas assez, ou pas bien, je ne sais pas. Je parle, je rencontre des gens, mais toujours la peur d'être ridicule, inintéressant, de laisser un mauvais souvenir prend le dessus, et me force à montrer une image de moi que je considère comme la meilleure, mais cette image n'est pas moi, elle n'est qu'une réaction impulsive à la peur, la peur d'être, la peur de vivre, la peur de ne pas être comme les autres voudraient que je sois.

L'être humain a depuis toujours, trouver des moyens d'estomper cette peur. Religion, art, règles de vie, moeurs, principes, passions, sport ; et tout un tas d'autres choses innombrables, qui ne sont que des illusions crées de toutes pièces, n'ayant pour autre but que de nous faire oublier la peur.

La fuite est possible, elle est accessible à tout moment, dans nos téléphones, nos téléviseurs, nos soucis factices, mais il arrive toujours un moment où nous nous retrouvons seuls, avec cette peur, et où cette fuite éternelle nous devient invivable, et alors la peur prend le dessus, et le terme ténèbres, ne nous apparait plus comme un mot de poésie, mais comme un gouffre bien réel, vivant, et se trouvant en chacun de nous.

Cette peur évolue, et nous façonne de A à Z. Pour certains, elle devient une angoisse constante et aléatoire, pouvant débarquer à tout moment, et la fuite devient si nécessaire, que notre vie est finalement grignoté, consumé par la peur, et que nous ne devenons qu'un pachyderme spectateur de tout, consommateur sans goût ni affection.

La peur mène ensuite à une brisure totale de notre liberté, où nous ne sommes qu'un pantin agissant par automatisme, sans réfléxion. Certains décident que la fuite n'est plus tenable, leurs forces s'évaporent, bouillies par la peur, et le suicide leur semble être la seule manière de s'échapper de cette prison à perpétuité.

Il y en a qui agissent autrement. Lorsque l'on fait l'expérience d'usage de drogues, qu'elles qu'elles soient, elles nous apparaissent alors comme des armes surpuissantes face à la peur, modifiant notre cerveau comme en un modèle parfait, où l'insouciance règne. Une sphère parfaite, où l'on a l'impression d'être nous-même, de ne pas être soumis à la peur, de ne pas penser, de simplement vivre, comme il le faudrait. Mais évidémment tout ceci n'est qu'une fuite, accélérant simplement la réussite de la peur sur nous-même, en nous rapprochant plus rapidement de la mort.

Une dernière catégorie, les mieux adaptés à cette société fondée sur la peur dans laquelle nous vivons, existe aussi. Il s'agit de celle des humains qui ont captés leur peur, qui l'ont subi aux mêmes titres que les autres, et qui ont découvert que la contemplation ou les drogues ne sont que des pièges dans lesquelles la peur essaie de nous faire tomber. Cette catégorie d'humains l'a compris, et pour fuir, eux, décide de s'adonner complétement à une tâche, à un principe, à une vocation, à un but, et s'efforce d'avoir tous leur sens, tout leurs corps, toute leur intelligence sur cela, et s'en serve pour vivre chaque jour de manière intense, et se donner l'illusion qu'ils sont maîtres, et ne fuient plus.

Bien évidémment, cette catégorie n'échappe pas à la triste conclusion, que leur vie ne reste qu'une éternelle fuite de la peur, qu'ils ne sont maîtres de rien, et ne sont qu'une version d'eux-même tétanisés de peur, peut-être plus que les autres, une version d'eux-même sur-actives, mais qui n'est pas vraiment eux, car leur insouciance, leur passion, leur principe, n'a été crée que pour affronter la peur, comme un bouclier face à un coup d'épée.

Mais alors, existe-t-il un seul être humain sur cette Terre, qui ne soit pas qu'un agglomérat d'astuces pour mieux fuir la peur ? Existe-t-il une possibilité d'une vie, où chaque humain serait lui-même, et où la peur serait enfin vaincue ?

La réponse est malheureusement, non. Mais alors à quoi bon vivre dans un monde factice, où tout ne se fait que par peur ?

La réponse est qu'en effet, vivre dans ce monde ne sert à rien, n'a pas de valeur, et que tout ce que nous voyons, toutes les personnes que nous aimons, tous les avis prononcés, les passions étalées, tout cela n'est qu'une comédie, un théâtre absurde dans lequel chacun joue un rôle qu'il s'est écrit, en essayant éperdumment, comme un véritable acteur, de se convaincre non pas qu'il joue, mais qu'il est son personnage.

Tout est faux, mais alors pourquoi sommes-nous sur terre ?

Pour rien. L'être humain n'est pas spécial. Il n'est qu'un amas de bactéries, de chair, d'éléments que la plupart d'entre-nous ne comprennent pas. Il n'est que le résultat d'un mélange aléatoire, fait sur des milliards d'années, et son impact sur l'immensité de l'univers est ridicule, inconséquent, il n'est qu'un grain de poussière se prenant pour le centre du monde.

Ce bilan peut pousser à sourire, ou peut amplifier la peur se trouvant en nous. Il est difficile d'entendre que nous ne sommes rien, que notre vie n'a pas de valeur, et que nous ne sommes même pas vraiment nous-même. Mais alors une autre réfléxion peut se faire.

Oui, une autre lecture de la vie est possible ! Car maintenant qu'il est établi que nous ne sommes rien, que nous vivons dans un monde faux, avec des soucis mineures face à l'immensité du monde, la peur que nous subissons nous apparait alors comme profondément futile, et irrationnelle.

Car la poussière n'a pas peur. La poussière ne pense pas, elle agit comme bon lui semble, elle flotte et s'accumule à divers endroits, là où le vent l'amène, et ce qu'on la veuille ou non. La poussière n'a pas peur de ses congénères, et ne se demandent pas ce qu'elle est ! Elle n'est que poussière, et agit futilement, comme bon lui semble.

Et alors cette futilité que nous réprésentons, cette comparaison de l'être humain avec la poussière, m'apparait comme une libération. Car il est si dur de vouloir être parfait, et si aisé, de n'être rien. Si l'être humain n'est rien, alors ses actions sont inconséquentes peu importe ce qu'il fait. Nous ne valons rien, donc ne pouvons rien gâcher, et l'insouciance apparaît alors comme une délivrance !

Tous les actes nous apparait alors comme possibles, qu'ils soient bons ou mauvais. Et certains pourraient dire que cette conclusion, amène à dire que la souffrance que nous causons, que la mort d'un humain, le massacre d'être vivants, ne pose pas problème car il est n'est qu'un détail de l'univers.

Mais cela est le dernier piège à éviter. Car même s'il est vrai que la souffrance d'un humain peut paraitre inconséquente dans l'univers, elle n'est pas pour autant justifiable. La poussière agit futilement, elle ne se pose pas de question, mais la poussière ne nuit pas aux autres poussières, elle agit en groupe, et mène sa vie en subissant ensemble, grain par grain, ce que le vent lui fait subir.

La conclusion semble alors ridicule, car elle pourrait se résumer à : "Respecte ton prochain, ne juge personne, agis sans te poser de question, tant que tes actions ne blessent personne", et alors ce texte peut paraître bien imbécile, ma réfléxion bien idiote, et la solution donc, peu concluante.

Mais à ça je n'opposerai qu'une remarque : pourquoi la solution d'une vie heureuse se doit-elle d'être compliquée ? Après tout, la vie n'a que faire des mots, et des réfléxions poussées et complexes. La vie de la poussière n'est pas complexe, elle est simple et facilement expliquable, mais encore une fois la peur agit sur nos esprits, en nous faisant croire que non, tout ne peut pas être si simple.

Mais ces phrases que nous entendons depuis le plus jeune âge, dans les textes religieux, dans les principes d'éducations de nos parents, dans les "don't worry, be happy", dans les vieux principes philosophiques, sont en réalité plus forts que nous ne le pensons. Oui, la vie n'a pas de sens, nous ne sommes rien, mais alors vivons, aimons-nous, profitons, et fuyons la peur par de fausses passions, par une fausse joie, un faux intérêt et un faux nous-même. La comédie absurde est invivable que si nous refusons de jouer, car la vie n'est qu'un jeu, qu'une fiction que nous improvisons jour après jour avec 7 autres milliards d'acteurs, mais vivons cette pièce, tenons notre rôle jusqu'au bout, et ne nous posons plus de questions !

Je me doute que beaucoup de sceptiques ne voudront prendre ce texte au sérieux. Que l'on se moquera de mes paroles. Qu'on ne pourra croire qu'un jeune homme de 24 ans ait découvert le secret du bonheur, et à cela je répondrai qu'ils ont sûrement raison.

Car moi-même, je ne suis peut-être qu'un esclave de la peur, un enfant perturbé en éternelle détresse, qui essaie de fuir une soirée solitaire dans l'écriture d'un texte auquel il souhaiterait croire. Je ne peux savoir qui je suis vraiment, car j'ai été comme tout le monde emporté dans le théâtre incessant de la vie. Mon rôle est celui d'un jeune auteur, créateur d'art futile qui ne s'arrête jamais, dont l'art est devenu la seule raison de vivre. Mais tout ceci je l'ai choisi, je ne suis pas né en étant ainsi car au plus profond de moi, je ne suis qu'en recherche d'attention, de compliments, de réusssite. je n'agis pas par passion pure, mais par simple souci de me créer des boucliers pour contrer les attaques que la peur lance à mon égard !

Mais et alors ? La peur est irrationelle, et je ne suis qu'une poussière, qui n'a pas besoin d'être vraiment ce qu'elle prétend être. Alors je joue mon rôle à fond, je crée, je comble mes manques en m'auto-convaincant que je suis passionné, que j'aime lire, écrire, jouer, chanter, danser, alors que la vérité est simplement que j'ai peur !

Je lance ce texte à l'humanité comme si je pensais avoir raison, et les gens réagiront comme s'ils n'y croient pas, ou comme si cela a changé leur vie. Mais la conclusion reste la même, ils ont décidé, car leur goût ne fait partie que d'un personnage.

Accepter son personnage, c'est admettre la pièce de théâtre dans laquelle nous vivons. Et ainsi jouons, comme danse des grains de poussière, comme si tout ce nous vivons avait un sens. Car si l'illusion de notre personnage est assez forte pour nous rendre heureux, alors c'est que nous ne fuyons plus la peur. Mais que nous l'avons accepté, et qu'enfin, nous nous en sommes débarassés.

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