Flirt dans le froid

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La vie a cette désagréable habitude de ne jamais nous donner ce que l'on veut quand on le veut.

Car ce soir-là, je ne voulais rien. Rien d'autre que passer une soirée avec des amis, à rire quand quelqu'un est stupide, écouter quand quelqu'un est intelligent, et parfois l'inverse.

Mais cela aurait été trop facile, trop calculé et pas assez déstabilisant. Alors la vie se joua de moi ce soir-là, en me confrontant à une femme aussi stupide qu'intelligente, qui prit donc toute mon attention.

Happé par ses premiers mots, ses premières blagues, et à peu près tout ce qu'elle dégageait, l'envie de savoir qui elle était m'incita à lui faire comprendre que son humour me plaisait. Car je crois bien que c'est ce qui me touche le plus chez une femme; l'humour. L'humour chez moi, suscite l'amour, mais devrais-je alors remplacer mes "je t'aime" par des "je t'hume" ?

Pour encore plus me foutre dans les cordes, cette petite bouche dégoulinante de comique était entouré par bon nombre d'éléments assez sublimes qui n'arrangèrent rien à mon affaire. Un nez taillé en petit triangle à la mathématique parfaite, dont les angles arrondis semblaient calculés au millimètre près pour trouver la forme qui transformerait ce simple réservoir à morve, en véritable objet de fascination pour un jeune auteur au romantisme ridiculement démodé.

Mais encore plus percutant, au dessus de son nez, comme pour beaucoup d'autres êtres humains, se trouvaient ses yeux. Deux ovales à l'iris hésitante entre le bleu, le vert et le gris, qui quand ils ne vous tétanisaient pas par leur splendeur, vous laissaient le temps d'apprécier la petite trace d'eye-liner noir placée à l'angle de chacun des ovales. Juste un petit trait, simple, timide, qui vous laisse presque l'impression d'être un privilégié lorsque vous le remarquez.

Au sommet de ce petit visage attirant par déjà beaucoup d'aspects, se trouvait évidemment une touffe de cheveux. Un espèce de carré mi-long, dont les méches bouclaient en frissotant, donnant à cette femme un côté enfantin et chic à la fois. Elle était décidémment, le subtil mélange de beaucoup de choses.

Avec un air légèrement hautain, assez cynique et plutot auto-dérisoire, elle avait la prestance d'une psychologue, qui parlerait avec un langage de littéraire candide. Quand sa bouche se taisait, c'était pour aspirer une bouffée de sa cigarette qui la suivait partout, approfondissant son allure d'un soupçon de mélancolie et de tristesse. Sans être petite, elle avait l'air minuscule, tout en prenant énormément de place. Elle s'étalait devant tout le monde, et riait aux éclats sans aucun contrôle sur ce qu'elle ressentait.

Puis vint le moment où le désarroi qui m'était causé par son visage se dissipa, et me permit de prêter une douce et quelque peu vicieuse attention à son corps. Sous des vêtements serrés, dominés par des teintes foncées, je remarquai sa taille de guêpe, qui sur moi fît mouche. Evidemment, on devinait sur ce petit corps deux seins timides, mais non moins attirant à mes yeux. Alors que son physique m'avait déjà transformé en idiot voulant user de ses mots pour le décrire, le cerveau sous la touffe aux couleurs d'automne me fit comprendre que je n'avais plus le choix que d'être abruti par la personne qu'il contrôlait.

A travers une partie de carte, j'appris peu à peu qui elle était. Je me fis battre à plate-couture, mais la défaite a meilleur goût, quand elle est accompagnée d'un regard et d'un sourire comme ceux qu'elle me lançait à chaque fois qu'elle me voyait m'enfoncer. Si échouer pouvait toujours avoir ce goût, alors je signerai pour être un éternel perdant.

Mais la soirée se transforma en nuit, et cette nuit, en aube. Le temps m'était venu de retourner à mon quotidien sans sa présence, et à essayer de l'immortaliser à travers un texte de bas-étage. Je partis, et elle en même temps; comme si par gentillesse elle me laissait profiter un peu plus du bien qu'elle me faisait. Dehors, luttant contre des vents glacés, nos têtes mutuellement enfoncées dans nos écharpes, j'avais pour la première fois, un moment seul avec elle. Mais que faire ? Que lui dire ? Lui avouer la fascination qu'elle avait su créer en moi ? Non, cela serait trop effrayant. L'embrasser ? J'en mourrais d'envie, je n'avais que ça en tête. Mais si je l'embrassais, et que par miracle elle acceptait ce baiser, elle ne parlerait plus. Et je voulais l'entendre, l'écouter, pendant encore des heures, pour comprendre qui elle était, ce qu'elle ressentait, et comment était-elle devenue cet être qui m'a déjà fait écrire huit-cent-trois mots.

En allant au métro, nous parlions. De tout, de rien, surtout de choses drôles pour nous deux. Avant d'entrer dans la rame, chacun une cigarette à la bouche, nous nous sommes tûs, les yeux dans les yeux, sans rien dire. C'était comme si sans nous concerter, nous avions décidé de prendre un court instant, pour figer le temps, pour simplement se perdre dans les yeux de l'autre, et se demander une bonne fois pour toute, si un baiser devait clore cette soirée. Je voyais déjà ma main glisser le long de son cou pour se couvrir de ses cheveux, et la sienne faire de même avec ma nuque. J'imaginais déjà son odeur se mélanger à la mienne, son corps se coller au mien, et nos bouches décider de ne plus fuir par des astuces comiques, et prendre un temps pour s'échanger autre chose que des mots.

Mais rien. Rien de tout ça ne se passa. Le silence fût coupé par ma stupide cervelle, qui décida de faire dire à ma bouche "Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Rien". Voilà sa réponse. Elle me répondit cela, et fuit mon regard, pour jeter sa cigarette, et entrer dans le métro. Je la suivis, me mis à côté d'elle, et notre dernier instant à deux fût comblé par l'observation des personnes alentours, pour deviner qui, comme nous, rentrait se coucher, et qui, à l'inverse, partait travailler. L'annonce de l'arrêt à mon quartier ne fût jamais aussi désagréable. Lâchement, nous nous embrassions les deux joues, échangions un dernier regard, un dernier sourire, et son "à très vite", fût le dernier soupçon d'elle qu'elle me laissa, et avec lequel je m'endormis, perdu entre la tristesse, la passion, l'espoir, et le désespoir.

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