VII - Le Vol de la Saphirslame - Partie 1 

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  Soignés, repus et reposés, le voyage du retour fut plus agréable pour Assad et ses amis. Le Saphir Bleu arriva vite en Adrastée, et Assad joua au chauffeur, et déposa Amérius, Aswad et Fenrir dans leurs pays respectifs. Finalement, il atterrit avec soulagement à Sultakara, arrivant au moment où le premier rayon du soleil perçait dans les cieux. Il laissa Shems raccompagner son épouse et sa fille, et les mécaniciens du quai s'occuper de l'aéronef. Le roi se précipita alors vers le bureau d'Adja, la première ministre du royaume.

— Adja ? appela le roi en toquant à sa porte, une fois arrivé.

Assad poussa les battants de la porte, mais ceux-ci étaient verrouillés.

Où est-elle ?

— Votre Majesté ? Est-ce bien vous ? l'interpella soudainement une voix féminine.

Assad se retourna, et vit Grenat s'approcher de lui. Surpris, le roi vit qu'elle portait une livrée noire impeccable, avec un splendide et fier lion bleuté rugissant en guise de blason. C'était l'uniforme que portait normalement l'actuel gouverneur de Sultakara. En sa qualité de roi, Assad arborait toujours une telle tenue. Cependant, lorsqu'il était absent, l'autorité qui gérait le pays se mettait dans se drapait pareillement.

— J'étais certaine d'avoir entendu Le Saphir Bleu se poser, et j'ai aperçu Shems, qui m'a dit que la princesse est en vie. Je suis heureuse de voir que vous allez bien, également.

— Moi de même, ma chère Grenat, vos propos me vont droit au coeur. Outre nos soucis, je n'ai cessé de me faire du souci pour le royaume. Dois-je en conclure, ajouta-t-il, en engageant le pas, qu'Adja est absente ?

— Elle devrait bientôt arriver à Yaqutane à l'heure qu'il est, acquiesça la générale.

Assad s'arrêta brusquement, et tourna sa tête vers elle, les yeux ronds.

— Pardon ? Que ferait-elle là-bas ?

— L'inauguration du Rubis Rouge à Yaqutane, votre Altesse, vous souvenez-vous ? Comme les affaires du château vont un peu mieux, la ministre s'est rendue à Yaqutane pour honorer la promesse de présence de Sultakara. L'inauguration est prévue pour aujourd'hui. Le directeur de l'Académie Magico-Scientifique nous a invités, vu que nous disposons du premier prototype de cette série de vaisseau.

— Ah... Tout s'explique, elle m'a remplacée. Cependant, le premier vol est prévu pour après-demain, non ? demanda le roi, en se frottant les tempes.

Il avait assez à faire avec son royaume, Lunera n'arrangeait rien.

— Certes, mais le directeur de l'Académie Magico-Scientifique a préféré avancer l'évènement. Pour les derniers réglages notamment.

Assad hocha la tête, puis il reprit sa marche, Grenat à ses côtés. Ils descendirent dans les jardins du palais, profitant de l'air frais et de la rosée du matin pour discuter en paix. Le roi lui expliqua comment ils avaient sauvé la princesse, et ce que Lunera s'apprêtait à faire. Tout comme eux, Grenat fut choquée en apprenant que Saphir faillit être la Sacrifiée d'un Rituel. Il lui conta également l'aide de Talius, et leur discussion de la veille.

— Saphir sait, maintenant, pour Darkodem, dit-il à mi-voix. Désormais, il est inutile d'être vigilant en sa présence. Amérius m'a fait comprendre que Saphir était... tout autant impliquée que nous, ajouta-t-il avec un air résigné.

— Si vous me permettez la remarque, je pense que c'est une bonne chose.

— Certainement, certainement... Maintenant, renseignez-moi sur le royaume, Grenat. Que s'est-il passé après l'incendie ? Quelle est l'ampleur des dégâts ?

Le regard de la fière générale s'assombrit.

— Un bilan bien effroyable sans conteste. On note un peu plus de deux cents victimes - beaucoup plus que ce que l'on croyait au début - avec dix-huit blessés, dont quatre, grièvement. La fouille des décombres a été effroyable. Certains cadavres étaient si calcinés, qu'ils en étaient presque méconnaissables. La grande place est en très mauvaise état, les boutiques ravagées, et le moral au plus bas. Mes troupes et celles du chevalier maître ont aidé les civils du mieux qu'ils purent, pour retrouver un semblant de vie normal. Bien sûr, les esprits restent vraiment marqués.

Assad acquiesça, l'air grave. Qu'allait donc penser son cher peuple à son égard ? Il avait été incapable de les protéger.

— Quand les enterrements ont eu lieu ?

— À vrai dire, rien n'a été fait.

Assad se tourna vers elle, étonné.

— Le peuple sultakarois a exprimé la volonté de vous avoir à leurs côtés. Les corps ont donc été remis à la morgue. Ils sont attachés à vous, dit la générale avec douceur, et vous aiment beaucoup.

Malgré la gravité de la situation, Assad se sentit revigoré, comme s'il avait bu un sacré remontant. Une vive chaleur se diffusait en son sein. Il expira longuement, et ses traits se firent résolus.

— Bien... Il est de mon devoir d'aider ces braves gens. Les réparations vont prendre du temps, sans aucun doute ! Continuez, générale Grenat, à envoyer vos troupes pour aider le peuple, ordonna le roi. Je transmettrai directement mes ordres au chevalier maître, et je pense même dépêcher la milice spéciale.

« Je vous demanderai également de prendre une cinquantaine de soldats et de prévenir Sultakara pour les obsèques. Préparez le nécessaire pour tout, j'agirai de mon côté pour faciliter les procédures, et permettre la mise en place des enterrements pour ce soir, à vingt heures. Je vais également appeler les chevaliers à la frontière de la capitale, et fermer exceptionnellement les portes ce soir. Sultakara se replie sur elle-même, le temps de se recueillir, et de prendre soin de ses enfants tombés sous la tyrannie de Lunera.

— Comptez sur moi ! s'écria Grenat, avec détermination.

☾☾☾

Plongée dans un lourd sommeil, emportée par la foudroyante colère qui l'avait saisie, rien n'aurait pu réveiller Lunera. Rien, si ce n'était l'haleine glaciale des vents de janvier. Ceux-ci, avec une ardeur redoutable, venaient lacérer la fine peau de la fille pour y laisser des zébrures bleutées. Une morsure redoutable, au venin paralysant qui engourdissait les membres.

Ah ! Même quand elle dormait, on ne la laissait pas tranquille. L'esprit embrumé, les doigts frigorifiés, Lunera se releva. Enragée par la fuite de ses ennemis, elle avait déchaîné ses pouvoirs, saccageant ainsi le vestibule du palais. Tant d'énergie gâchée, qu'elle s'endormit, anéantie, à même le sol sur le tapis troué qui avait subi son courroux.

La jeune fille traîna sa vieille carcasse jusqu'à la cuisine, en espérant y trouver quelque chose de comestible. En chemin, elle ne cessait de jeter des regards mauvais, comme si chaque objet de son humble demeure était responsable de ses malheurs : ah ! Cette défaite était si frustrante. Ce n'était pas un défaut de puissance, certainement pas. Avoir autant de rats dans les pattes compliquaient les choses. Et puis Aswad était fort. Saphir aussi, une fois éveillée, pensa Lunera de mauvaise grâce. De toute manière, tout était détruit, si on omettait les superbes statues draconiennes à l'entrée, immaculées.

Tout en se servant un bol de lait, Lunera reprit la lettre de son père, qu'elle gardait toujours près d'elle. Lui apportant un certain réconfort, elle avait l'habitude de la lire tous les matins. Bien qu'elle contribuait à attiser le feu virulent de sa vendetta endiablée, cette lettre permettait à Lunera de voyager dans des rêves impossibles, où une vie heureuse lui était accordée, en compagnie de sa famille. Peut-être était-ce dû à l'état étrange dans lequel elle était, mais cette fois, un passage attira son attention.

« Je désirais étudier le Coeur Arkhale. Sais-tu pourquoi m'intéresse-t-il autant ? De ce que mes recherches m'ont apporté, ce cristal permet de modifier la vie, de supprimer des personnes ou de ramener leurs âmes. Cet objet m'intrigue. Modifier la vie pour moi, c'est devenir immortel. Transcender le temps. Se détacher du passé, du présent et du futur. Être dans l'essence la plus noble qui soit. »

— Ramener leur âme... lut-elle, le visage stoïque, tandis que ses méninges tournaient à vive allure.

Soudain, ce fut comme si un vent céleste était venu chasser la brume qui paralysait son cerveau. Un éclair de lucidité la traversa.

— Et si... Père... Peut-être que... Non... Je dois en avoir le coeur net !

En renversant sa tasse, Lunera se hâta vers la chambre de Darkodem, ses derniers mots en main. Une fois là-bas, elle fureta partout à la recherche d'un objet dont son cher père lui avait parlé quelques temps auparavant. Il s'agissait d'un livre caché dans ses quartiers, qui contenant des informations précieuses que l'on ne trouvait « nul part ailleurs ».

Elle eut beau la fouiller de fond en comble, renverser le lit, vider les armoires, et donner des coups de pieds au mur, Lunera n'en trouva pas moins le grimoire. De désespoir, avec la terrible sensation qu'un élément primordial lui échappait, Lunera s'assit par terre, ne trouvant que faire. Elle s'allongea à même le sol, et son regard dériva vers le plafond.

Étrangement, c'était la seule pièce où il n'y avait aucun de ces superbes lustres de cristal qui ornaient les salles du palais. Le plafond était décoré de fresques représentant des chérubins à la peau rosée, qui voletaient autour d'une nuée de dragons aux ailes puissantes. Au centre, une dame auréolée de lumière tenait un globe dans ses mains. Lunera plissa ses yeux. Il s'agissait de la lune. Elle tenait l'astre lunaire entre ses doigts, et de son autre main, elle indiquait un coin de la fresque où la lumière semblait plus vive encore.

La lune te guidera toujours.

Toujours allongée, Lunera tendit sa main, et sans même qu'elle ne commandât sa magie, elle la sentit traverser son bras, fourmiller dans ses veines, ne faire qu'un avec son corps, avant de sortir de ses doigts, par de minces filaments argentés. La lune tenue par la femme rougeoya. L'habituel symbole inconnu, le croissant de lune qu'elle voyait si souvent ces temps-ci brilla quelques instants, d'un éclat purpurin, avant de s'évanouir. Le plafond tout entier vibra, et irradia de clarté. Lunera se releva, émerveillée. Elle se rangea sur le seuil de la porte, et observa sa magie entrer en résonance avec celle du palais.

Décidément, père est fou !

Le plafond disparut aussitôt et un escalier de lumière se forma, invitant Lunera à le gravir. De là où elle était, elle ne put voir jusqu'où il montait. À hauteur du plafond, une brume lumineuse empêchait toute visibilité. Lunera demeurait troublée. Où allait-on l'emmener ? Qu'avait manigancé Darkodem ? Surtout que de l'extérieur, l'aile du palais lui étant réservée n'abritait aucun étage...

Qu'est-ce que père attend de moi ?


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