III - Menace Lunaire - Partie 2

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La nuit était déjà tombée lorsque Dracaena se posa sur une colline proche de la capitale de Sultakara. Lunera descendit de sa monture dorée, et observa les alentours. Il y avait quelques maisons au loin, hors des frontières de la grande ville, mais pas de villages à proximité.

Avec un peu de chance, personne ne me verra.

Elle demanda à Dracaena d'attendre sagement son retour. Celui-ci répondit par un bref grondement, avant de poser sa tête par terre, comme pour faire une sieste. Lunera entama sa marche, en regrettant de ne pas avoir pris d'écharpe. Dans la plaine de Sultakara, en janvier, il faisait plutôt froid. Traître, le vent glacial prenait un malin plaisir à planter ses crochets dans sa peau.

Malgré ces désagréments, la jeune fille prenait plaisir à regarder autour d'elle. La vue de l'extérieur, un extérieur autre que les environs du palais, l'émerveillait. Elle était si excitée, et craintive un peu, d'avancer dans un monde qu'elle n'avait jamais côtoyé. Ou plutôt un monde qu'elle n'avait connu que par le biais des livres et récits romanesques.

Lunera arriva aux limites de la ville, et constata, contrariée qu'il y avait une forte activité. Il se faisait tard pourtant.

Et moi qui voulait de l'obscurité, et du silence pour passer inaperçue... Il me faut une cape !

Elle traversa le checkpoint de la capitale, étonnamment peu surveillé, et longea quelques ruelles obscures, avant de déboucher dans le boulevard principal. Lunera fureta par-ci, par-là, veillant à ne pas se faire remarquer, avant de tomber nez-à-nez avec un magasin de prêt-à-porter. Lunera jeta un coup d'oeil à travers la vitre, et vit, sous la lumière renvoyée par les deux lustres à chandelles qui éclairaient l'intérieur, que la boutique était vide. Il y avait juste une vendeuse, assise tranquillement, qui épluchait ses comptes. Elle s'approcha de la porte d'entrée, et put lire sur un écriteau.

Bienvenue chez Boot & Sarwell

La commerçante était affairée près de sa caisse. Lunera attendit qu'elle ne disparaisse dans l'arrière-boutique, pour entrer et se précipiter vers les capes. Sans aucun scrupule, elle s'en empara d'une dotée d'un capuchon, et la vola. Mais au moment-même où elle s'apprêta à sortir, la dame revint. Elle observa Lunera avec des yeux ronds, avant de se mettre à hurler et crier au voleur. Lunera, alarmée, se retourna vers la femme.

Elle va alerter tout le monde !

Mutisma !

Le sortilège frappa la dame, la réduisant au silence. Puis, Lunera sortit en courant, et mit le plus de distance entre elle et le magasin. Elle préférait agir dans l'ombre pour l'instant, ne désirant nullement être au centre de l'attention. Cette cape était nécessaire pour sa couverture : il ne fallait surtout pas qu'on la reconnaisse ! Elle était une Sorcière après tout, que se passerait-il si quelqu'un à Sultakara s'en apercevait ?

Lunera enfila la cape, et releva le capuchon. Elle reprit sa marche vers le château, furtive et discrète comme une ombre. L'avenue étant encore plus animée que tout à l'heure, elle se demanda quelle pouvait bien être l'origine de cette agitation.

Elle n'eut pas à attendre longtemps pour obtenir une réponse. Deux jeunes femmes, marchant ensemble, parlaient fort, plus fort que toutes les personnes de la rue réunies. Les mots « dix-septième anniversaire » et « princesse » captèrent toute son attention. Elle les suivit tout en écoutant leur conversation, dans l'espoir d'en savoir plus sur les évènements actuels.

— Oui, oui ! acquiesça la première. Le roi a promis une fête demain. Je t'en avais parlée, tu te rappelles ?

— C'est vrai, se rappela la deuxième. Ce sera sûrement grandiose, surtout cette année, avec la disparition de ce renégat de Darkodem, mais aussi les dons de la Princesse ! Les jours sont tellement meilleurs depuis la mort de cet être abject, ajouta-t-elle à mi-voix.

Complètement scandalisée, Lunera se retint à grande peine de lui sauter dessus pour lui déchiqueter le visage.

— Absolument ! Peut-être même mieux que le jour de sa naissance, d'après ma mère.

La grande place était en vue.

— Elle m'a dit que jamais on n'avait vu de telles réjouissances, avec la naissance de la Princesse. Quel bonheur n'a pas été celui de Sa Majesté, quand sa fille est née le 27 janvier. Le chevalier Shems a accouru dans la grande place pour annoncer l'heureuse nouvelle. La Princesse serait née dans l'après-midi, peu avant le crépuscule. Sultakara tout entier fêta la naissance de la princesse Saphir pendant trois jours et trois nuits, grisé par sa nature Sorcière. Voilà plus de trois cent ans que Terhera n'a pas été bénie par l'arrivée d'une Sorcière Hératerra, personne d'autre qu'elle n'a eu ce privilège. Dire que Sultakara a été l'heureux élu pour accueillir cette douce enfant...

Lunera cessa brutalement de bouger.

— Ah ! Longue vie à la princesse Saphir ! Je dis toujours qu'elle aura un grand avenir.

L'expression figée, glacée, elle semblait avoir été frappée par la foudre. Les deux femmes s'éloignaient, et Lunera demeurait toujours tétanisée, étourdie par ces révélations. Elle s'était lourdement trompée. Elle eut presque l'envie de se donner des gifles. Comment avait-elle pu penser que tous savait sa nature Sorcière. En entendant la jeune femme nommée les élus du Coeur Arkhale, Lunera redoubla d'attention, s'attendant à tout moment de l'entendre prononcer son prénom.

Que suis-je sotte... Tout le monde s'en fiche de toi, Lunera ! Ainsi, la fille d'Assad serait née au jour de la transe du cristal... Elle au crépuscule, et moi à l'aube. Nous sommes comme des jumelles par le temps... Il ne manquerait que le lien de parenté.

Lunera secoua la tête à cette pensée, un air de profonde répulsion plaqué sur le visage, comme si l'idée de partager le même sang avec la progéniture d'Assad lui était absolument dégoûtante. Cette Saphir bénéficiait de son même pouvoir, de son même rang. Père n'avait cessé de lui répéter qu'elle était unique, comme les Trois Soeurs. Qu'elle était un être de choix, d'une grande importance. Que le monde entier ne pourrait rivaliser avec elle.

Mais à quoi bon rivaliser avec le monde entier, si celui-ci n'était même pas au courant de son existence ? pensa amèrement Lunera. Un sentiment terrible la saisissait depuis son abdomen, et remontait lentement vers sa poitrine, puis vers son cou, l'étouffant presque par son intensité. Une sensation qu'elle sentait parfois, lorsqu'elle songeait aux « autres endroits où Darkodem passait son temps ». De la jalousie, une jalousie maladive, dévorante, ardente, qui consumait sa chair et son coeur, et faisait bouillir son sang. Tout n'était qu'illusion. Elle était méconnue de tous.

— Eh ! cria une voix rocailleuse.

Un grand homme tenant de grands paquets la poussa brutalement, abruti par la lourde charge qu'il portait. Lunera le fusilla du regard, sa peine et sa colère ne cessant de croître. Méconnue, et même méprisée de tous ! En voilà la preuve même. Alors qu'à côté, auréolée de gloire, aimée de tous, connue de tous, demeurait cette Saphir. Sans aucune vergogne, elle venait lui voler sa grandeur et sa singularité.

Soudain, un des accès de migraine saisit Lunera. Un mal intense lui tortura le crâne, comme si on frappait dessus avec des marteaux. Sa vision se troubla, et elle tituba, incapable de garder une marche droite, hantée par des images terribles qui tiraillaient ses nerfs sensibles. Elle se voyait être condamnée à rester l'autre, l'inconnue, la damnée. Des ombres narquoises se moquaient d'elle, riant de sa faiblesse. Son père apparaissait et disparaissait sous le clair de lune. Elle voyait distinctement ce visage aimé, avant que celui-ci ne se transforme en un autre, aux traits féminins, d'une malveillance inquiétante.

Gémissant, Lunera tomba, et la douleur l'arracha de ces contemplations terrifiantes.

— Mademoiselle, vous m'entendez ? Mademoiselle ?

Un homme adulte s'était penché vers elle, et s'enquérait de sa santé, inquiet. Ses mains sur le visage, entrouvertes, laissaient ses yeux lorgner d'un regard fou le lieu où elle se trouvait. La grande place de Sultakara s'ouvrait devant elle. Par là, il y avait un homme tenait sa fille sur ses épaules, riant ensemble. Par ici, un couple de personnes âgées se promenaient avec leurs petits-enfants, tous heureux et sereins. Pas très loin d'elle, des jeunes filles de son âge s'amusaient à chanter sous un air de guitare joué par un de leurs amis. Là-bas, un saltimbanque donnait un spectacle en crachant des nuées de flammes sous les applaudissements enjoués de son public.

Tous étaient joyeux, profitant de cette soirée pour sortir et célébrer l'anniversaire de la princesse, chacun à sa propre manière. Ces sourires, cette joie, tout ce bonheur lui échappait. Ils étaient tous indifférents à sa souffrance, ne savant pas à quel point son coeur saignait. Sa jalousie de Saphir s'étendit à tout ceux qui étaient présents. Lunera sentit la magie fourmiller dans ses membres, emplissant chaque cellule de son corps d'un pouvoir, décuplé par la rage et la tristesse. Celle-ci semblait dotée d'une raison, tant elle s'agitait en elle, comme si elle voulait frapper ces visages euphoriques, et tordre ces sourires allègres. Lunera désirait leur montrer, à tous, qu'elle était là, qu'elle existe, et qu'elle écrasera cette Saphir !

— Mademoiselle ? redemanda le jeune homme.

Elle se releva, et d'une surprenante force, elle le poussa d'une main. Le pauvre homme tomba, ébahi, et surtout inquiet par le visage de la jeune femme. Ses traits, marqués et tirés par la folie, étaient durs.

Lunera avançait droit devant, se rapprochant à chaque pas du centre de la grande place. Elle n'entendait rien autour d'elle, seulement des bruits indistincts, dont elle ignorait l'origine, tant elle était concentrée. Animée d'un désir d'abîmer, de corrompre, de détruire, elle rugit en levant ses mains au ciel :

— Tirons du feu de la joie, un feu d'enfer ! PYROMÉTA BRASIEM !

Trois rayons rouges sortirent de sa main gauche, et trois encore de l'autre main. Ceux-ci s'étendirent en un arc de cercle frappant comme un fléau la grande place et provoquant une fournaise effroyable. Ce fut la panique totale. Les gens se mirent à hurler, les enfants à pleurer, et Lunera ne cessait d'attiser les flammes, en marmonnant des malédictions atroces. Ces gens-là espéraient peut-être oublier le passé en s'abandonnant dans le vin de la gaité, pouvant leur apporter un avenir radieux. Mais leurs souffrances n'étaient pas terminées.

Non... Elles ne font que commencer !

L'air frais s'était mué en chaleur étouffante. Le feu haineux flambait tout ce qui était à sa portée. Les maisons aux alentours, les arbres, les gens, la fontaine au milieu de la place, rien ni personne ne fut épargné. Des gens fuyaient dans l'espoir d'échapper à cet apocalypse soudain, mais Lunera ne s'accordait aucun répit, et ne se lassait pas de lever ses paumes, pour que le brasier vienne réduire leurs corps en cendres. Une fumée âcre et noire attaquait les poumons de quiconque la respirait. Mais ce n'était rien face à l'effroyable odeur de chair brûlée des malheureux habitants, dont le seul crime fut de s'être trouver sur le chemin de Lunera. Dénuée de compassion et de remords, elle ne cessait de rire, tant dévorer ces vies lui procurait une joie malsaine : le monde devait goûter à sa peine, c'était bien le juste ordre des choses, non ? Cependant, Lunera ne se rassasiait pas. Ces personnes l'indifféraient. Ce n'était qu'une entrée, en attendant le plat de résistance. Elle n'attendait que l'arrivée d'Assad et de Saphir.

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