Prologue

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Amérius attendait patiemment dans le couloir de l'hôpital. Le ciel les avait graciés, ses amis et lui. Ils avaient pu revenir à temps pour que l'on prodigue des soins d'urgence à Zahya, l'épouse de son ami, touchée au combat.

Adossé au mur, les bras croisés, ses cheveux roux lui tombaient sur les yeux, masquant ainsi son regard courroucé. Il s'efforçait d'ignorer les murs nus du bâtiment. Leur blancheur lui évoquait celle d'un suaire, ce qui n'était pas de nature à le réconforter. Il ne songea à se redresser que lorsqu'Aswad, un autre de ses camarades remonta le couloir pour arriver à sa hauteur.

— Ce n'est que maintenant que tu arrives ? Où traînais-tu ? demanda Amérius en baissant les yeux vers lui, sentant le besoin irrépressible d'étaler sa mauvaise humeur.

Le dénommé Aswad, d'une tête et demi plus petit, nullement intimidé, l'observa un instant. Le petit homme ne s'offusqua pas de la brusquerie et de la mauvaise humeur de son confrère. Elles étaient constantes chez lui. Surtout au vu des événements de la veille, qui avaient de quoi ébranler le plus brave des hommes. Il répondit tranquillement :

— J'avais une affaire urgente à régler dans mon propre royaume, je me suis donc absenté d'une heure. Tu comprendras, j'en suis certain. Comment va Zahya ? ajouta-t-il.

Amérius expira bruyamment, comme las.

— Je n'ai aucune nouvelle, la porte est close depuis que je suis sorti, voilà maintenant une heure. Il...

— Je ne pense pas me tromper en affirmant qu'Assad et toi vous êtes encore querellés, l'interrompit-il, un air malicieux sur le visage. N'est-ce pas ? C'est pour ça que tu restes seul en dehors de la chambre... Décidément.

— Tu le connais ! s'écria Amérius. À la moindre étincelle, il s'enflamme brusquement !

Aswad eut un petit rire, qu'il réprima aussitôt en voyant le regard noir d'Amérius.

— Certes, dit-il en tentant de maîtriser sa voix, mais précisément, l'étincelle en question, c'est toi.

Le petit homme craqua et repartit dans un grand éclat de rire, en voyant l'air offusqué de son ami.

— C'est ça, persifla ce dernier, très spirituelle comme remarque, très...

Il se tut aussitôt, tout comme Aswad, car la porte s'ouvrit rapidement et une femme en sortit, l'air profondément soulagé. Amérius fit un pas en avant, soudain inquiet.

— Ah, vous voilà ! Les guérisseurs nous ont assurés qu'elle sera très vite sur pied. Elle est tirée d'affaire !

Amérius se sentit plus léger, et soupira. Toute la tension accumulée venait de s'évaporer, Zahya était tirée d'affaire. Tandis qu'il ressassait ses pensées, écoutant d'une oreille distraite les questions d'Aswad, il sursauta lorsque la nouvelle-venue pointa vers lui un doigt réprobateur.

— Ne cesserez-vous donc jamais de vous chamailler, Assad et toi ? le houspilla-t-elle, exaspérée. J'espère que tu as bien réfléchi, seul dans ton coin.

— Néalia, pas ici, marmonna Amérius, les dents serrés, piqué au vif.

— Ce pauvre Assad... soupira la Néalia. Voir sa propre épouse au seuil de la mort, il y a de quoi être à fleur de peau ! Tu aurais pu, au moins, juguler ton tempérament bilieux, et éviter d'être désagréable.

S'étouffant d'indignation à la mention de ce "pauvre Assad", le coeur d'Amérius rata presque un battement lorsqu'il s'entendit être caractérisé de bilieux. Ainsi donc, même Néalia prenait la défense d'Assad ?

— Je ne veux plus avoir à tempérer vos ardeurs, contrôle-toi, je t'en prie.

Aswad s'amusait beaucoup devant les expressions faciales indignées d'Amérius. Il intervint néanmoins.

— Que faisons-nous, maintenant ?

— Eh bien, répondit Néalia en se tournant vers lui, Assad nous a demandés de rejoindre le vaisseau d'ici trois heures. Là-bas, nous nous réunirons tous pour convenir de la suite.

— Pourquoi pas maintenant ? s'étonna Aswad. Il faut vite agir, pourtant !

Embêtée, Néalia haussa ses épaules.

— Zahya tenait à tout prix à assister à la réunion, même dans son état d'extrême faiblesse, elle s'est levée à moitié, et bravement, elle a insisté longtemps.

— Décidément, Assad ne peut rien refuser à son épouse, ricana Amérius. Ce n'est pas bien grave, je la comprends... Allez, je rentre. Je reviendrai plus tard, Aswad, il vaut mieux la laisser se reposer.

Ce dernier acquiesça et lui souhaita un bon retour. Il restait à Sultakara pour sa part.

☾☾☾

La nuit avait beau avoir chassé le soleil à grands coups de pied et enveloppé les cieux de son étoffe obscure, il ne s'arrêtait pas de courir, nullement incommodé par la visibilité réduite. Il détalait du plus vite qu'il le pouvait comme s'il désirait mettre le plus de distance entre lui et une créature des ténèbres qui l'aurait pourchassé.

Dans sa course effrénée, il ne fit pas attention à une racine réfractaire et son pied se coinça dedans. Il s'affala durement par terre où il demeura prostré. Vaincu. On l'avait encore vaincu. Il sentait un souffle susurrer à son oreille d'une voix suave des malédictions terribles. Il agrippa ses mèches noires et les tira à les en arracher. Une terreur familière le saisit, et il se mit à hurler comme en proie à une intense douleur.

— Laisse-moi ! Laisse-moi ! Je ne veux plus... C'est... Assez ! ASSEZ !

Ses yeux fous et injectés de sang tournaient dans leurs orbites. Saisi de haut-le-coeur, il se mit à quatre pattes en inspirant goulûment l'air frais de la soirée. Il se serait donné en pâture aux lions s'il en avait été capable, tant il ne supportait plus cet asservissement. Sa folie le rendait malade, une gangrène qui achèverait bientôt de le dévorer tout entier.

Tremblant comme une feuille, il se redressa faiblement. Il fit un pas hésitant vers l'avant, en prenant l'appui sur l'arbre qui l'avait jeté à terre. Il fit un autre pas vers l'avant, plus assuré, puis il reprit sa marche. De temps à autre, il se retournait, une expression d'effroi plaquée sur le visage, comme s'il s'attendait à ce qu'un démon ne surgisse de la pénombre et ne se jette sur lui.

Il atteignit rapidement le sommet de la colline et en l'aval de celle-ci, une large bâtisse aux grandes fenêtres se dressait. Une brise légère souffla vers lui, faisant virevolter allègrement sa longue chevelure noire. Il se réarrangea un instant et resserra sa cape avant d'entamer la descente, comme si de rien n'était, un masque de froideur sur le visage.


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