30. Élodie & Cédric : Comment se dire adieu ?

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Le corps d’Élodie fut restitué à sa famille. Comme Costa s’y était engagé auprès de Laura Tourneuve, la mère de la victime, il se chargea d’organiser les obsèques de son premier amour. Avec autant de dignité que d’élégance et de respect envers cette défunte si chère à son cœur, il y mit toute son âme pour lui rendre le plus beau des hommages. Celui qu’elle méritait à ses yeux.

***

19 février 2014

10 heures 40, l’église Sainte-Thérèse de La Baule est bondée ; j’ai l’impression que c’est tout un quartier, toute une ville qui est venue saluer une dernière fois l’enfant du pays. Au premier rang, ses proches bien sûr. Virgile Corman et moi-même y sommes également conviés pour l’avoir sincèrement aimée. Audrey et Guillaume, main dans la main, sont aussi dans l’assistance. Pas Sarah, estimant avec raison ne pas avoir sa place à l’enterrement de sa rivale.

En plein cœur de la nef trône un immense portrait d’Élodie. Un cliché sur lequel elle arbore malgré elle un air un peu trop sérieux, presque mélancolique, même si elle y est toujours aussi sublime qu’auparavant. Ses yeux gris-bleus, son carré ondulé, nappé de couleurs automnales, son sourire évanescent, si renversant, irrésistible ; toute sa beauté s’affiche là, devant nous, pour qu’on ne l’oublie jamais. Seulement, il manque quelque chose d’impalpable à ce portrait en 2 D, toutes ces choses qui faisaient intégralement partie d’elle, participaient de son charme. Tout ce qui m’a rendu fou d’elle, irrémédiablement, et qui est désormais figé dans le passé pour l’éternité : ses éclats de rire, si mémorables dans nos moments complices, sa voix cristalline, ses mots, sa gestuelle si élégante, si féminine, le toucher de sa peau contre ma peau, sa fragrance, sa si lumineuse présence, son intelligence, sa joie de vivre, tout… Tout ce qui faisait d’elle cette femme d’exception que j’ai tant aimée.

Les minutes s’égrènent et me ramènent à la perfection de cet office sans fausse note, tel que je l’ai souhaité. Le choix des textes, des musiques, je l’ai fait en pensant à l’Élo de ma jeunesse, celle qui croyait à un certain Au-delà, à une vie après la mort. A de possibles retrouvailles avec sa sœur dans des cieux insondables pour le commun des mortels. Quelque part entre ici-bas et ailleurs.

***

La voix de Whitney Houston scandant Jesus loves me conclut la célébration mortuaire avant que la défunte ne rejoigne sa dernière demeure, au cimetière Mermoz, à quelques encâblures de Sainte-Thérèse. Puis, vint le temps des fleurs et des condoléances dans un ballet d’anonymes. Un cérémonial qui asphyxia Costarelli, l’étouffa. Il eut soudainement besoin de s’extraire de tout ça, de se retrouver en tête à tête avec son amour de jeunesse sur « leur » plage. Il se mit alors à courir jusqu’à sa voiture pour s’y engouffrer et démarra sur les chapeaux de roues, roulant à tombeau ouvert jusqu’à destination.

Ivre de fatigue et de chagrin, l'homme esseulé s’effondra à genoux sur le sable, face à l’océan. Il ne s’était pas préparé à ça, à ce que les souvenirs de leur idylle lui jaillissent en pleine figure, le submergent dès lors qu’il s’autorisait enfin à ouvrir les vannes de son incommensurable tristesse, à se laisser aller sans aucune pudeur. Seul au monde avec sa douleur, ce trop-plein d’émotions qu’il avait gardé en lui durant la toute dernière partie de l’enquête finit par déborder de toutes parts. Ses sanglots éclatèrent avec violence et résonnèrent en écho en ricochant sur le gris des vagues. Un vertige le cueillit par surprise ; il suffoquait presque de désespoir, comme si tout devait s’arrêter aussi pour lui, ici. Là où tout avait commencé...

Et puis, la douceur d’une main familière qui se posait sur son épaule l’emporta loin de cette insupportable réalité, comme dans un rêve cotonneux, nostalgique. Ses yeux s’emplirent encore davantage de larmes, sa vue se troubla sur l’instant et pourtant, il la voyait distinctement dans le ciel. Il voyait son si joli visage, il l’entendait lui parler.

Cette voix, ces mots, c'étaient ceux d’Élodie...

— Ne pleure pas, Cédric, ne fantasme pas sur ce qu’on aurait pu être si on était restés ensemble, toi et moi, si on n’avait pas rompu ; tu sais aussi bien que moi qu’on ne réécrit jamais le passé. Au fil du temps, je me suis rendu compte que j’ai fait des tas d’erreurs dans ma vie, et les deux premières te concernent directement. Et je suis sincèrement désolée qu’elles t’aient autant blessé, te demande pardon pour toute la peine que j’ai pu te causer, mais les regrets que l’on traîne derrière soi comme des boulets ne servent qu’à se pourrir l’existence et à broyer du noir en se lamentant sur son sort. Ils ne te seront d’aucun secours pour avancer, je parle en connaissance de cause ! Non, pour aller de l’avant, Cédric, il faut que tu me laisses partir… Pour ta femme, pour ton fils. Et pour toi… Crois-en mon expérience, ne laisse pas le bonheur te filer entre les doigts par négligence, saisis-le avant qu’il ne soit trop tard ! Sarah et Nathan, ce sont eux ton avenir, pas moi. Moi, je serai toujours en toi bien sûr, je ne te lâcherai jamais la main et t’accompagnerai jusqu’au bout, en filigrane, comme quelqu’un qu’on a profondément aimé et qu’on a perdu. Parce que je t’ai profondément aimé et perdu… Mais je ne serai plus au premier plan, ce n’est plus ma place. Alors adieu, mon David Silver, et prends bien soin de toi, soin des tiens. Et qui sait, on se retrouvera peut-être un jour, dans cet Au-delà auquel tu n’as jamais cru...

Elle le toucha en plein cœur ; les rivières lacrymales de Costa n’en finissaient pas de dévaler ses joues et il lui sembla furtivement percevoir le même trouble dans les iris de celle qui s’adressait à lui depuis les cieux. Il aurait aimé qu’elle poursuive sa tirade, la supplia vainement de ne pas l’abandonner une nouvelle fois. Seulement, il la sentit se dérober, s’étioler doucement dans son regard à mesure qu’il essayait de la retenir, de la toucher, de l’embrasser, jusqu’à ce que son image se floute définitivement avant de disparaître totalement. Ne subsistait que sa voix fredonnant leur chanson fétiche, l’une des plus célèbres de Whitney : I will always love you (1).

***

« Bittersweet memories /

That is all I'm taking with me /

So good-bye /

Please don't cry /

We both know I'm not what you, you need /

And I will always love you... » (2)

***

La nuit tombe sur « notre » plage ; Élodie n’est plus. J’ai versé toutes les larmes de mon corps et la douleur s’estompe peu à peu. Dans la pénombre, je me résigne à quitter mon amour et ce lieu où l’on s’est rencontrés adolescents, à rejoindre mon auto pour rentrer chez moi et retrouver celle qui m’attend depuis près de vingt ans.

Dans notre appartement, Sarah patiente sur le canapé, devant une émission nocturne qu’elle écoute distraitement, en sourdine. Je m’assois à ses côtés et lui prends tendrement la main en plongeant mes prunelles dans les siennes.

— Ça y est, tu lui as dit adieu ? s’enquiert-elle, inquiète.

— Oui… balbutié-je.

Un bref silence gêné, quasi anxiogène. Mon épouse le brise pour me poser cette question qui lui brûle les lèvres depuis si longtemps.

— Et est-ce que… Est-ce que tu crois qu’on a encore une chance, toi et moi ? Une chance d’être heureux ensemble ?

La tendresse d’un baiser appuyé en guise de réponse.

Celui de la renaissance amoureuse entre deux êtres qui tentent d’éviter le naufrage de leur couple, de le sauver.

Celui d’un nouveau départ, d’une autre vie.

Loin du fantôme d’Élodie et de toute obsession peut-être.

Peut-être...

FIN

(1) : Titre phare de la bande originale du film Bodyguard, écrit et composé par Jermaine Dupri et Manuel Lonnie Seal.

(2) : « Nos souvenirs doux-amers /

Sont tout ce que j'emmène avec moi /

Alors adieu /

S'il te plaît, ne pleure pas /

Nous savons tous les deux que je ne suis pas celle dont toi tu as besoin /

Mais je t'aimerai toujours... »

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