25. L’audition de William Hatkins I

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Commissariat Central de Police de Saint-Nazaire

Il lui est profondément antipathique. Un a priori contre lequel il lui faut lutter pour ne pas qu’il perçoive sa trop grande proximité avec feu son épouse. Costa fait donc son maximum pour se contenir, et dès qu’il manque de déborder du cadre de sa fonction, son fidèle lieutenant met un point d’honneur à lui rappeler, d’un simple regard, leur nécessaire neutralité de flics pour conduire l’audition de William Henry Hatkins.

C’est d’ailleurs Guillaume Séverin qui s’est chargé d’accompagner leur suspect numéro un à l’institut médico-légal, officiellement pour reconnaître le corps de sa femme. Le jeune OPJ a ensuite rapidement débriefé avec son supérieur entre deux portes, lui confirmant ce que ce dernier savait déjà : contrairement à Virgile Corman, bouleversé le matin même face à cette défunte qui fut sa maîtresse, Hatkins est, quant à lui, resté imperturbable, complètement impassible devant la dépouille de celle qu’il avait épousée quelque douze ans plus tôt. Une attitude qui ne peut qu’interpeller encore un peu plus les deux enquêteurs.

Les néons de la salle d’interrogatoire sont rarement flatteurs pour le commun des mortels. Au demeurant, l’auditionné du jour semble déroger à la règle avec un physique certes imposant, mais globalement mieux mis en valeur que celui de Corman, notamment grâce à un costume taillé sur mesure, lui conférant ainsi une stature et une aura indéniables. Sa coupe de cheveux et sa manucure soignées, son assurance et ses petits yeux perçants renforcent même cette curieuse impression de charisme malsain qui émane de ce quinquagénaire de nationalité franco-britannique.

Élodie et moi nous sommes rencontrés en mars 2001, le 27 si j’ai bonne mémoire. C’était au cours d’une vente aux enchères à l’Hôtel Drouot. Nous convoitions la même pendule de cheminée victorienne, elle pour l’offrir à sa mère, et moi parce que j’étais mandaté par un client. Et c’est elle qui remporta la mise. Je me suis rapproché d’elle pour tenter de la lui racheter, mais elle refusa obstinément. Ce qui ne nous empêcha pas de sympathiser. On s’est revus par la suite, fréquentés… Et puis, on s’est mariés, une douzaine de mois plus tard.

Dans un premier temps, l’antiquaire du Marais s’échine à dépeindre un tableau des plus classiques, celui d’un couple bourgeois avec ses hauts et ses bas, comme dans tout foyer lambda.

Nous avions des tempéraments diamétralement opposés, elle et moi : Élodie était discrète, réservée, alors que je suis plus volontiers volubile et sociable. J’ai d’ailleurs de nombreuses obligations mondaines auxquelles je me plie avec plaisir ; ma femme n’en était pas très friande, consentant souvent à contrecœur à m’accompagner. Pourtant, elle savait briller en société…

Le lieutenant Séverin enchaîne sur une question dont l’intérêt échappe à Hatkins. Guillaume désamorce habilement les soupçons de l’auditionné sur leurs réelles intentions à son égard en justifiant l’apparente incongruité de son propos.

Le capitaine Costarelli et moi-même essayons de mieux appréhender le cadre de vie, l’état d’esprit, l’entourage de Madame Hatkins afin de cerner au plus près les circonstances qui l’ont conduite à croiser la route de son meurtrier à trois heures et demi du matin sur la plage de La Baule.

Et en quoi le fait qu’Élodie ait été sportive ou non vous éclairerait-il ?

Parce que le rapport du légiste relève notamment une fracture mal soignée de l’avant-bras ainsi qu’un hématome sous-jugulaire, tous deux antérieurs à son agression, le relaye Costa. Vous aurait-elle fait part d’une chute ou de toute autre cause pouvant expliquer ces blessures plus anciennes ?

Non… Non, mais Élodie ne me disait pas tout, je ne suis pas la Gestapo ! Une chute dans l’escalier peut-être…

Et vous n’aviez rien remarqué ? Physiquement, je veux dire, ça devait se voir, non ?

Ces derniers temps, on ne s’entendait plus très bien, concède l’interrogé. Il est possible que j’aie été moins attentif à elle et que ça m’ait échappé…

Guillaume Séverin, sentant le suspect sur le fil du rasoir, accentue la pression sur ce dernier.

C’est pour cette raison qu’elle prenait des anxiolytiques et des somnifères ? Qu’elle buvait ?

Élodie a toujours eu l’alcool mesuré : jamais plus de deux ou trois verres par jour. D’ailleurs, elle était mesurée dans tout. Maintenant, allez savoir quelle vie dissolue elle menait depuis qu’elle avait mis les voiles…

Costarelli profite de l’allusion au départ de Madame Hatkins pour rebondir.

Le 27 janvier, c’est bien ça ? C’est bien à cette date que votre épouse a quitté le domicile conjugal, n’est-ce pas ? C’est en tout cas ce que vous avez déclaré au lieutenant Séverin ici présent lorsqu’il vous a contacté par téléphone pour vous annoncer son décès. Vous confirmez ?

Tout à fait !

Selon vous, qu’est-ce qui a motivé sa décision ce soir-là ?

On s’est disputés…

A quel sujet ? Quel était le motif de cette dispute ?

Elle était rentrée plus tard que d’ordinaire alors que nous avions un dîner de prévu chez des amis, ça m’a agacé. Et oui, le ton est sans doute monté ; je présupposais qu’elle devait avoir un amant…

L’avez-vous frappée ?

Le rythme de l’interrogatoire s’accentue sous l’impulsion du capitaine Costarelli, les questions s’enchaînant quasi frénétiquement dans le but de faire plier l’antiquaire et lui faire avouer son forfait. Parce que dans l’esprit de Cédric, il ne peut qu’être coupable.

Frappée ? Comment ça, frappée ? Non, absolument pas, je n’ai jamais levé la main sur ma femme ! s’offusque l’imposant quinquagénaire.

Guillaume Séverin reprend les rênes de l’audition pour tenter de tempérer l’atmosphère qui se révèle de plus en plus explosive entre Hatkins et son supérieur.

Ce que le capitaine Costarelli veut dire, c’est que dans ce genre de situation, il n’est pas rare que l’on perde momentanément le contrôle de ses émotions et qu’une gifle nous échappe, geste que l’on regrette presque aussitôt. Cela pourrait même expliquer le départ précipité de Madame…

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