14 février 2014, La Baule-les-Pins

J’ai trop fumé, trop bu ce soir, et mes cachetons me font de l’œil.

Je ne pensais pas que ce serait si difficile de revenir ici, « Villa Carmin », après tant d’années passées à fuir cet endroit, cette maison qui m’a vu grandir, petite fille puis adolescente.

La chambre de mes souvenirs est telle que je l’ai laissée quand je suis partie vivre à Paris avec ma mère, lorsque mes parents ont divorcé. Les posters de mon idole placardés sur les murs, la chaîne hi-fi et la tour de CD qui la voisine, les cadres-photos… Rien n’a bougé. Non, rien n’a vraiment changé, sauf moi.

Que reste-t-il de la gamine que j’étais, aussi heureuse qu’espiègle, de cette jeune femme en devenir, assoiffée d’indépendance et éprise de liberté ? Des années durant, je me suis oubliée, esseulée dans les carcans que mon geôlier a progressivement érigés autour de moi, pour m’isoler, pour que je n’appartienne qu’à lui. Jusqu’à ce que je brise mes chaînes et trouve refuge ailleurs que chez moi, chez lui… Grâce à Virgile. C’est lui qui m’a donné la force de me rebeller, de me défendre par instinct de survie. De m’enfuir aussi... En ce jour de Saint-Valentin, c’est avec lui que je devrais être, mais il est encore trop tôt pour moi. Parce que j’ai besoin de temps pour panser mes blessures...

Pensive, je jette un bref coup d’œil dans le miroir de mon existence. La voix de Whitney Houston qu’égrène la platine me ramène près de vingt ans en arrière ; la nostalgie de mes amours défuntes m’envahit peu à peu : Florian, puis Cédric, mon David Silver (1) à moi…

David Silver… La référence me fait sourire, elle le faisait sourire aussi. Le ferait sourire aussi, sans doute. Il faut dire qu’il avait les mêmes cheveux, la même coupe, la même musculature que le Brian Austin Green de l’époque. Il lui ressemblait presque trait pour trait. Seule la couleur de ses yeux, plus sombre que celle de l’acteur, différait.

***

1er mai 1993

Nos corps nus lovés l’un contre l’autre, ma main caressant ses pectoraux, je n’en finis plus de le dévorer du regard.

— Ça devrait être interdit d’être aussi bien foutu, aussi sex’… déclaré-je en promenant mes doigts sur son abdomen en direction de sa verge, tendue d’excitation à la perspective d’un second ébat.

— Ah ouais ? Mais tu sais, je peux te retourner le compliment, ma jolie ! me rétorque-t-il tout aussi malicieusement en palpant mon séant. Ça devrait être interdit d’être aussi désirable…

Nos lèvres se rejoignent, s’épousent tandis que nos langues se mélangent brièvement...

***

Cédric, mon amour de jeunesse... Je me surprends à l’imaginer plus âgé, à l’âge qu’il aurait aujourd’hui. A me demander s’il aurait aussi bien vieilli que la star américaine, si je le reconnaîtrais d’emblée au détour d’une rue, à La Baule ou Saint-Nazaire. Peut-être n’habite-t-il plus ici d’ailleurs…

Un soupir, des remords. Avec lui bien sûr. Surtout avec lui. Si seulement c’était encore possible, si l’on pouvait tout recommencer ce soir, effacer tout ce qui a pu nous séparer lui et moi, se retrouver sur « notre » plage vingt ans après !

Ô mon Cédric, y retournes-tu parfois ? Y seras-tu cette nuit, lorsque j’en foulerai le sable ? Seras-tu là ? Si une silhouette s’approche de moi au clair de lune, j’en aurai la certitude, je saurai que c’est toi. Celui que j’ai tant regretté avoir quitté. Et je courrai vers toi me réfugier dans tes bras. Comme avant...

(1) : David Silver, incarné par l’acteur Brian Austin Green, est l’un des personnages principaux de la série américaine 90 210 Beverly Hills, diffusée entre 1990 et 2000.