Chapitre 4. BURRY

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Wendy était morte dans la nuit du vendredi au samedi, j'avais reçu la lettre le lundi et l'enterrement eut lieu le mardi.
Je me réveillai couchée sur le plancher, tombée de ma chaise. Wendy était assise sur mon lit et me regardait d'un air impatient.
- Habille-toi ! me pressa-t-elle. C'est tout de même ma fête aujourd'hui !
- Je sais, ton enterrement ! Mais s'il te plaît laisse-moi le temps de me lever...
Ma mère ouvrit la porte de la chambre :
- À qui parles-tu, Debbie ?
- À Wendy, répondis-je.
Ma mère me dévisagea et je m'aperçus que je parlais à un lit vide.
- Oublie. Tout va bien.
Je cherchai durant de longues minutes la tenue idéale pour accompagner ma meilleure amie jusqu'à sa tombe en un jour de si beau temps. Et, au bout de mes innombrables hésitations, je trouvai satisfaction. Je m'habillai et descendis pour déjeuner. Mon père portait son habituel costume d'enterrement, comme pour tous ceux qu'il avait organisés. Ma mère portait un tailleur noir qui avait dû coûter une fortune avec son T-shirt noir – habituellement utilisé pour jardiner – où elle avait ajouté une broche plaquée argent pour lui donner meilleur goût et des chaussures à talons aiguilles en cuir gris. Rebecca avait revêtu un jean, un débardeur où étaient dessinées des têtes de mort et, pour suivre son style décontracté, des baskets de ville en daim. Samantha avait enfilé une jupe type écossaise avec des carreaux noirs et blancs, un chemisier gris chine à manches courtes et avait chaussé des ballerines noires avec le dessin au bout d'une petite étoile blanche.
- Tu es somptueuse Debbie ! s'exclama Rebecca.
J'avais mis une courte robe noire sans bretelles avec un corset, ornée d'une fleur en tissus au sein gauche et qui bouffait vers le bas. Quand aux chaussures, j'avais opté pour une paire de bottes noires vieilles d'un an que j'avais un jour ouvertes sur tous les côtés intérieurs aux jambes pour y mettre des lacets. Malgré les nombreux compliments sur ma tenue, je restai très gênée. J'avais en mémoire cette scène : ma mère, entrant dans ma chambre, et me découvrant en pleine conversation avec le fantôme inexistant de Wendy. Elle devait maintenant penser que le décès de ma meilleure amie m'avait rendue complètement folle. J'espérais que cet incident serait vite oublié.


Il restait un peu de temps avant l'heure de l'enterrement. À ma demande, mon père me conduisit auprès de Wendy avant que le cercueil ne soit refermé. Je restai seule avec le cadavre. Autour de nous, une pièce sombre et humide, située derrière l'église où devait avoir lieu la cérémonie. Elle était étendue dans cette boîte en chêne massif avec des poignées en or. Elle avait les yeux clos, un sourire serein. Elle était toujours semblable à cette poupée aux traits si doux et à l'existence si parfaite. Elle donnait une impression d'éternel bonheur. Même morte, elle resterait Wendy, la fille la plus heureuse ! Et pourtant, maintenant, j'étais consciente que de terribles souvenirs se cachaient derrière ce sourire serein. À ce moment, je vis Wendy se redresser dans son cercueil et ouvrir des yeux pleins d'effroi. Mais ces yeux emplis de crainte avaient toujours été masqués par ce paisible sourire. C'était seulement en face de son cercueil, de son corps mort et qui jamais ne s'était redressé, que je me souvins de ses yeux. La voix de Wendy résonna dans la pièce.
« Ne cherche jamais ! Ne cherche jamais !... »
Je devenais folle. Je pris ma tête entre mes mains et tentai d'éloigner mes visions. Mais seule Wendy aurait pu me les ôter, et elle n'était plus de ce monde. Bien décidée à chercher, à l'encontre des demandes du fantôme, je sortis de la pièce et retrouvai mon père à l'extérieur.


L'heure où je devais voir mon amie disparaître définitivement sous terre était arrivée. Le temps était magnifique. Sans doute le soleil déversait-il sur nous ses plus beaux éclats en l'honneur de la défunte Wendy. Durant la messe, je n'osai regarder que le sol. J'espérais, bien que je susse que c'était inutile, que j'entendrais des exclamations, je lèverais la tête et verrais Wendy sortir, vivante, de son cercueil. Comme à son habitude, elle aurait eut un sourire épanouie. Elle nous aurait regardé, pensant que nous étions naïfs, et aurait éclaté de rire en disant :
- Je vous ai bien eu ! Je suis vivante !
Mais jamais, à aucun moment, Wendy ne regagna le monde des vivants.
Quand on sortit dans le cimetière, le ciel été bleu azur, aussi profond que l'avaient étés les yeux de la belle Wendy. Une grande partie des élèves du lycée étaient à l'enterrement. Des hommes amenèrent le cercueil, le tenant fermement mais soigneusement par les poignées d'or. Quelques minutes plus tard, le corps de Wendy avait disparu sous terre. Pendant qu'on finissait de l'ensevelir, je remarquai un homme parmi la foule. Cet homme, il était avec la mère de Wendy. Il avait les cheveux bruns, très bruns, et les yeux noirs perçants. Il était grand et plein de force. Ses mains étaient semblables à deux roches mobiles et son regard était glacial. J'ignorais pourquoi, il me faisait peur. En fait, le plus effrayant à penser était qu'il s'agissait du père de Wendy. Pourtant, à la fin de la cérémonie, l'homme posa sa main de géant sur mon épaule.
- Toi aussi elle te manque ?
- Oui, répondis-je timidement.
- J'aimais vraiment ma fille !
Après ces quelques phrases échangées, l'homme me fit beaucoup moins peur et je retrouvai ma sérénité.


Depuis l'enterrement de Wendy, j'avais pris conscience que je ne la reverrais plus jamais. Et pourtant, j'avais toujours l'impression qu'elle était avec moi. Mais, contrairement à la plupart des gens, je ne cherchais pas à perdre mon regard dans le ciel, entre les nuages, la cherchant parmi un éventuel paradis. Non, je la sentais sous mes pas, je fixais inlassablement le sol. Car c'était bien là que reposait Wendy : sous terre et non pas dans le cosmos.

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