Panique

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La mer est à tout le monde. Je fais partie du monde. La mer est à moi.

J’aime regarder ma Méditerranée, jouir de son calme et de ses reflets, me laisser bercer par le bruissement de ses ondulations. Je suis de ceux que les Bretons aux traits burinés vilipendent et traitent de petite quéquette, eux qui luttent contre les rouleaux écumants, confrontent leur corps rougi aux quinze degrés de l’océan en hurlant des chants virils puis mettent un point d’honneur à périr au large pour que je puisse agrémenter de la chair claire du hareng l’incarnat des tomates que je viens de récolter dans mon jardin.

Quelques déchirures de basilic, deux copeaux de parmesan pour rapprocher les côtes italiennes, des conversations simples autour d’un verre de rouge frais, ma vie est faite. Les papilles gorgées de parfums méditerranéens, il me reste des monceaux de temps pour me livrer à une passion dévorante, regarder la mer. Quand le moment est venu, je la rejoins doucement et m’immerge et elle et moi nous communions. Ce ne sont pas que des mots, nous communions vraiment. J’aime à penser qu’elle m’accueille dans ses flancs avec gratitude. Je ne suis plus alors cette âme indécise qui traverse la vie des hommes en se laissant avoir à ses jeux de pouvoir, d’ambition, de jalousie. Je deviens courant, grain de sel, iode, tandis que je me laisse porter par ma mer.

Hier, elle m’accueillit de fort méchante humeur. Que se passe-t-il ma belle ? Quelques vacanciers et gens du cru avaient déserté le rivage pour se rapprocher de la digue. Un homme de haute taille à la poitrine velue pointait son doigt en direction d’un endroit flou de l’horizon vers lequel, je l’appris, un baigneur trop confiant venait de disparaître. Un sauveteur sifflait d’un air dissuasif, en jetant des coups d’œil inquiets dans son dos. Chaque minute, ma Méditerranée semblait enfler comme sous le coup d’une allergie. En total désaccord, le ciel demeurait limpide.

Elle ne se ressemblait pas.

Moi qui connaissais ses humeurs sur le bout des doigts, je commençais à me poser des questions. Ses vagues, dans leur discrétion légendaire, ne haussaient le ton que rarement – quand les hommes l’avaient vraiment mérité. Ici, elles écumaient de rage, grondaient, se ramassaient en rouleaux océaniques toujours plus hauts qui venaient déverser leur colère sur la plage.

L’homme au sifflet s’époumonait toujours plus en nous hurlant de reculer. Nous n’avions pas besoin de lui, déjà nous décampions non sans l’avoir averti à grands cris, par une inversion des rôles, de la hauteur de la vague qui gonflait dans son dos. Une lame de fond, haute quatre fois comme un homme, aspirait l’eau pour en repaître sa large carcasse liquide. En courant vers la digue, Zoé sous un bras, je pris dans l’autre creux de coude un enfant tombé à terre, fillette en pleurs que récupéra sa mère quelques mètres plus loin en m’inondant de mercis, en couvrant sa petite de coupables baisers d’excuse. Le sol trembla quand la déferlante s’abattit sur la plage et la mer envahit bientôt le sable, le parking puis la route. Quand l’eau se retira en tentant de m’agripper les chevilles, je me retournai un bref instant vers une Méditerranée grimaçante. L’homme au sifflet avait disparu. Déjà de nouveaux rouleaux préparaient leurs prochains assauts.


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