Chapitre 8

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Dahut ouvrit les yeux quand elle sentit quelque chose la secouer. Un souffle chaud sur son corps. Un hennissement inquiet finit de la réveiller. Morvar'ch.

— Laisse-moi, marmonna la princesse.

Elle voulait retourner à son sommeil éternel.

Pour toute réponse, l’étalon lui donna un coup de naseau. Une vision envahit son esprit. Albéric, un sourire aux lèvres, s’enfuyant sur une barque. Les Ysiens hurlant d’épouvante alors que l’eau engloutissait leurs maisons. Dahut flottant à la surface.

— Je sais tout ça déjà…

À nouveau, l’image du traitre l’assaillit. La princesse frémit, traversée par un éclat de colère. Elle passa son bras autour de l’encolure du cheval.

— Tu as tout à fait raison ! Je ne peux pas le laisser s’en sortir ainsi !

D’un geste fluide, elle grimpa sur son dos. Morvar'ch galopa aussitôt sur l’océan qui recouvrait désormais l’île.

Le toit du palais dépassait à peine de l’eau, tout comme les murailles impressionnantes des korrigans. Pourtant, le niveau continuait de s’élever.

Un cri retentit soudain. Dahut fit signe à l’étalon de s’approcher. Derrière le toit, une femme, un nourrisson dans les bras, appelait à l’aide. Quand elle aperçut la princesse, elle s’immobilisa.

— Qu’avez-vous fait ? Pourquoi nous détestez-vous à ce point ?

Son visage était déformé par l’incompréhension.

— Ce n’est pas moi.

— Pas vous ? Tous les Ysiens savent que vous êtes la seule à pouvoir ouvrir les portes des digues.

— J’ai été piégée…

— Vous ? Regardez-vous ! Vous êtes en sécurité sur le dos de votre étalon alors que votre peuple est mort noyé ! Ce n’est pas vous qui avez été piégée !

— Venez, ordonna sèchement Dahut.

— Hors de question ! Je préfère mourir ici que d’être sauvée par une égoïste de votre genre !

— Venez, implora cette fois la princesse.

La femme grimaça et étudia son enfant avant de lâcher un soupir.

— Ne pensez pas que cela rachètera vos crimes.

— Je n’ai jamais dit le contraire....

Elle prit le nourrisson dans ses bras tandis que la mère grimpait dans son dos. Des gémissements retentissaient encore dans la ville immergée. Dahut ferma les yeux, tentant de les ignorer. Elle ne pouvait sauver tout le monde à la fois. Malgré ce que disait la villageoise, elle avait essayé.

Dans un silence pesant, Morvar'ch les ramena dans la baie de Douarnenez. La femme descendit de l’étalon sans prononcer un mot de plus, et, après un dernier regard noir en direction de Dahut, tourna les talons et s’éloigna dans le sable humide.

La princesse retourna près de l’île pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres rescapés à sauver. Mais les gémissements s’étaient estompés pour laisser place à un silence de mort.

Dahut glissa du dos du cheval et laissa sa magie la transformer en sirène. Le cœur ravagé, elle plongea dans l’océan qui recouvrait désormais sa ville. Des corps restaient en suspens dans l’eau. Hommes, femmes, enfants, et même quelques korrigans. Tous morts.

La colère l’envahit. Elle n’était pas responsable. Albéric l’était.

Elle nagea rapidement et chercha une quelconque trace de navire. Plus elle s’éloignait d’Ys, moins elle rencontrait de cadavres. Elle aperçut l’ombre d’un bateau. À la surface, elle découvrit une poignée des rescapés qui crièrent d’effroi quand ils la virent.

Sans leur donner la moindre explication, Dahut replongea. L’infinité bleue de l’océan l’appelait. Jusque-là, elle avait ignoré ses tentations. Trop heureuse sur son île. Désormais, tout son être n’aspirait qu’à rester dessous. Pas encore. Sa vengeance n’attendrait pas.

Presque sur la côte, une barque s’apprêtait à accoster. Lorsqu’elle sortit sa tête de l’eau, elle reconnut les passagers : l’évêque et Albéric. Ensemble.

Dahut se lécha les lèvres d’anticipation. Parfait !

Le druide fut le premier à l’apercevoir. Une grimace traversa son visage. D’un geste, il signala se présence au religieux qui blanchit.

— Majesté, la salua Guénolé d’une voix faible.

Albéric lâcha :

— Te revoilà !

Déjà, ses mains rejoignaient ses poches, sûrement à la recherche de runes gravées. La princesse réagit, avant. Elle se concentra sur son noyau magique puis ordonna :

— Ne bougez pas.

Aussitôt, les deux hommes s’immobilisèrent. Les yeux écarquillés de Guénolé brillaient de frayeur.

Dahut lâcha un rire froid.

— Moi aussi, je peux vous contrôler magiquement.

D’une main, elle effleura la joue de son ancien amant, songeant comme elle avait détesté qu’il lui fasse.

— Je l’ai toujours pu, mais j’ai rarement utilisé ma magie ainsi. Voyez dans quelle position vous me mettez. Quand je pense que je t’ai fait confiance ! Et vous…

Elle s’approcha de l’homme à la toge blanche et se planta en face de lui.

— Vous souhaitez bannir la magie, mais vous payez un magicien pour le faire. Vous n’êtes qu’un hypocrite.

Elle cracha au pied d’Albéric.

— Comment peux-tu détester autant tes semblables pour détruire ainsi le seul endroit où la magie est utilisée librement ?

Son absence de réponse l’agaça. Elle se souvint qu’il ne pouvait pas bouger.

— Réponds-moi ! ordonna-t-elle en donnant une impulsion magique à sa voix.

Aussitôt, l’homme articula :

— Mes semblables sont les druides. Et grâce à moi, ils seront toujours à l’abri des chrétiens.

— À l’abri ? Que veux-tu dire ?

— J’ai conclu un marché avec l’évêque. Les druides auront le droit d’exercer leur art sur les terres bretonnes. Et nous bénéficierons d’une aide financière.

Dahut secoua la tête. Comment pouvait-il être si égoïste ?

— Mais que fais-tu des autres ?

— Je n’en ai rien à faire.

La princesse serra les poings et se tourna vers l’évêque.

— Qui d’autre est au courant de votre accord ?

— Juste moi. C’était ma mission, je n’ai prévenu personne que j’avais fait appel aux services d’un druide.

— Parfait.

Un sourire se dessina sur les lèvres de Dahut.

— Souffrez !

Les deux hommes se tortillèrent de douleur sur le fond de leur embarcation. La princesse savoura le moment. Chaque minute en hommage à l’un de ses habitants. Soudain, elle songea qu’elle pouvait les faire souffrir aussi longtemps qu’elle le souhaitait. Personne ne les chercherait.

Elle n’avait jamais testé l’étendue de ses pouvoirs d’envoûtement. Jusque-là, elle s’était refusé d’utiliser ce côté sombre d’elle-même. Mais elle ne résista pas à la tentation.

— Arrêtez ! lança-t-elle. Plongez avec moi.

Les hommes obéirent et sautèrent dans l’océan.

— Suivez-moi !

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