Chapitre 37 (deuxième partie)

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Au matin, je me réveillai de fort méchante humeur. J'avais très mal dormi, mon sommeil avait été peuplé de visions dans lesquelles les morts de Culloden avaient tous les visages de mes proches et ce n'était pas la tête de Julian Fairbank qui avait roulé à mes pieds, mais celle d'Héloïse. J'avais beau savoir que ce n'était qu'un cauchemar et que ces images du combat me hanteraient jusqu'à la fin de mes jours, j'y percevais aussi une lourde prémonition. Je devais retourner à Inverie, coûte que coûte, mais pas au prix de la vie de Hugues, de celles de Bethany, de Laura et de l'enfant à venir. Je ne pouvais pas leur faire courir un tel risque, ce qui signifiait que j'étais condamné à rester à Dalcross tant que la paix n'aurait pas été proclamée ainsi que la fin des troubles. Mais le roi Georges semblait bien réticent à faire cesser les exactions de son fils.

Lorsque j'entrai dans la bibliothèque, avec l'intention d'y lire un peu pour me changer les idées, j'y trouvai Bethany. Je faillis faire demi-tour, je ne me sentais pas vraiment d'humeur à discuter et je voulais retrouver mon calme avant d'échanger à nouveau avec Hugues. Elle me sourit avec gentillesse et me dit :

- Bonjour, Kyrian, je suis heureuse de vous trouver ce matin. J'aurais aimé parler un peu avec vous, si vous l'acceptez.

Elle était si gentille et avenante dans ses propos que les restes de ma colère disparurent comme par enchantement.

- Bonjour, Bethany, je m'excuse d'avoir tenu de tels propos hier soir. J'étais en colère.

- Je sais. Et je comprends votre colère. Les choses auraient été plus simples si vous aviez pu repartir tous les deux, n'est-ce pas ? Si...

Elle fit un vague geste de la main.

- Hugues est digne de votre confiance et de votre cœur, Bethany. Et vous méritez quelqu'un comme lui, même s'il est plus âgé que vous. Je sais qu'il veillera sur vous et sur Laura.

- Sans oublier sur son propre enfant, comme vous le savez désormais.

- Oui, et j'y tiens. Je ne veux pas qu'il vienne avec moi, dans les conditions que nous connaissons aujourd'hui, alors que vous attendez un enfant. Même si, en tant qu'Anglaise, vous ne courez pas particulièrement de risques à demeurer à Dalcross.

- J'ai réfléchi, Kyrian. J'ai pensé à une possibilité et j'en ai parlé avec Hugues hier soir. Il pense que c'est une bonne idée. Et ma grossesse n'est pas encore trop avancée, pour cet aspect des choses, cela me semble possible.

Elle prit une longue inspiration et dit :

- Nous pourrions partir tous les trois, avec quelques domestiques. Nous vous ferions passer pour des domestiques vous aussi. Et je prétexterais me rendre auprès de la famille de Julian.

- C'est de la folie, Bethany ! Vous ne pouvez pas nous accompagner à Inverie !

J'avais les yeux écarquillés.

- Si, dit-elle. Bien sûr que si. Sauf si vous ne voulez pas de moi à Inverie.

- Là n'est pas la question. En temps normal, vous seriez la bienvenue en mes terres. Mais que vais-je y trouver ? Peut-être que les Anglais ont tout mis à feu et à sang...

- Alors, si c'est le cas, vous aurez besoin de nous pour faire face, pour sauver ce qui pourra l'être. Et si les vôtres s'y trouvent, peut-être que tous n'ont pas survécu et là aussi, vous aurez besoin de moi, de nous. Vous devez laisser Hugues aller avec vous, Kyrian. Indépendamment de moi.

Je la fixai un moment, puis je dis :

- Ma sœur, aussi, a insisté pour que son époux me suive lorsque Charles a appelé au rassemblement des clans. Il a failli succomber lors d'une bataille. Je refuse que Hugues vous quitte.

- Alors, je viens avec vous et mon idée n'est pas si mauvaise que cela, n'est-ce pas ?

Je soupirai. Bethany n'avait pas une once de sang écossais dans les veines, elle n'avait pas la ténacité française d'Héloïse. Mais elle savait être têtue elle aussi...

**

Juillet étirait maintenant ses longues et belles journées. Nous avions quitté Inverness quelques jours après le solstice d'été. Le voyage serait plus long que celui qu'Héloïse et moi-même avions effectué pour assister aux fiançailles de la jeune femme qui se trouvait dans la voiture, car nous étions régulièrement arrêtés par des patrouilles anglaises.

Nous avions parlé et reparlé de cette idée de nous faire voyager en nous faisant passer pour des domestiques, Hugues et moi. Ainsi, lors des étapes ou si nous rencontrions des troupes anglaises (ce qui risquait fort d'arriver en descendant le long du Great Glenn), nous ne serions pas obligés de parler. Filip, le majordome, qui présentait bien, se fit passer pour le cousin de Bethany, l'escortant jusqu'en Angleterre où elle retournait soi-disant chez les siens. Nous n'étions pas obligés de faire savoir que le voyage s'arrêterait avant la frontière... frontière qui n'existait désormais plus.

Avec nous venaient aussi Julia, la jeune femme de chambre, et deux cochers. Je passais pour le troisième et Hugues pour un homme de main, ce qui lui permettait de voyager dans la voiture, ce qui était quand même plus confortable compte tenu des douleurs qu'il ressentait encore parfois, suite à ses blessures. La petite Laura complétait notre équipage.

Il avait fallu trouver une solution pour nous faire passer pour de vrais serviteurs anglais. Nous portions donc des livrées adéquates et nos kilts avaient été abandonnés à Dalcross. Compte tenu des mesures prises à l'encontre de tous signes d'appartenance à un clan qui n'étaient là que les mesures purement administratives que déployait la Couronne britannique pour mettre les Highlands au pas, il valait mieux ne pas circuler avec le moindre petit morceau de tartan. De même, nous y avions laissé nos armes et tout autre signe prouvant notre appartenance au camp des vaincus.

La couleur de mes cheveux et de ma barbe avait posé problème et si j'avais envisagé un moment de les raser complètement, ce n'était pas le plus facile à entretenir pour un voyage. C'était finalement Julia qui avait trouvé la solution en concoctant une teinture qui tenait assez bien, à condition de ne pas se trouver sous une pluie battante. En cette saison, je pouvais espérer non passer entre les gouttes, mais garder une couleur de barbe et de cheveux bien noire. C'était aussi la raison pour laquelle j'avais laissé pousser ma barbe avant notre départ, tout en me disant que je remettrais de l'ordre dans ma tenue une fois rendu à Inverie.

Il va sans dire que l'absence de nouvelles en provenance de mes terres avait accentué la nécessité du départ. La grossesse de Bethany ne se voyait pas encore de trop, d'autant qu'elle portait des jupes assez amples. Cela nous éviterait quelques questions embarrassantes, même si elle avait préparé soigneusement une fable tout à fait acceptable.

Nous étions en vue de Fort William et je me demandai si Luxley y sévissait encore et combien de pauvres diables il avait fait passer par les armes, la corde ou le fouet, au cours des mois écoulés. Nul doute que cette ordure avait su profiter de la situation pour laisser libre cours à sa violence. J'espérais seulement qu'il ne lui était pas venu à l'idée de pousser jusqu'à Inverie.

Hugues et moi avions longuement discuté de notre itinéraire. Bien entendu, nous aurions pu passer par la côte, pour éviter la vallée du Ness qui grouillait de soldats, mais cela signifiait traverser des zones dévastées où nous n'aurions trouvé aucun confort. Si je pouvais supporter cela sans difficulté, il n'était pas question d'imposer à Bethany de telles conditions de voyage. Ensuite, sachant que les clans du nord-ouest avaient payé le plus lourd tribut de la défaite, nous aventurer sur les terres des MacKenzie n'était pas une solution. Nous allions rentrer chez nous par la route la plus directe, tout en évitant les terres de Logan Campbell.

Pour l'heure, nous avions passé les différents contrôles sans rencontrer trop de difficultés. Bethany et Filip jouaient leurs rôles à merveille, et l'histoire d'une jeune Anglaise au maintien tout britannique retournant dans sa famille près de Leeds était des plus plausibles. Les soldats cherchaient des rebelles, des combattants, et non des civils anglais.

Le dernier jour du voyage, entre Glenfinnan et Inverie, fut bien entendu le plus long, du moins pour moi. Il me tardait d'arriver. Cette partie de nos terres semblait avoir été à peu près épargnée et j'espérais qu'il en serait de même en avançant plus vers l'ouest. Bien entendu, nous avions vu par endroits des fermes incendiées et traversé quelques villages abandonnés, mais finalement, les pillages et destructions étaient moins nombreux que dans le nord.

Certains jours d'été ressemblent à une triste journée d'automne et ce fut par ce temps que nous arrivâmes en vue d'Inverie. Je ne pouvais m'empêcher de trouver cette bruine poisseuse de mauvais augure, et encore plus quand elle se transforma rapidement en grosse pluie d'orage. Mais quand j'aperçus des gens aller et venir autour du village, quelques vaches paître dans les champs, je me sentis soulagé : la vie demeurait là.

La voiture remonta l'allée menant au château. La cour était déserte, ce qui n'était pas étonnant par le temps qu'il faisait. Nous franchîmes le porche et alors que la voiture s'arrêtait devant les écuries, je pus voir que la balançoire était toujours à sa place. Ce signe infime de la présence d'enfants me réjouit.

La porte du château s'ouvrit alors que Hugues descendait déjà de la voiture pour aider Bethany à faire de même. J'avais sauté de l'arrière et je vis apparaître Héloïse sur le pas de la porte, hésitante et inquiète face à cette arrivée inattendue. Mon soulagement fut tel qu'un instant, je demeurai immobile, figé. Elle était vivante ! Et je crus bien alors revivre notre rencontre au château de Lures. Car si elle avait reconnu immédiatement Hugues, il n'en allait pas de même pour moi, du fait de ma tenue et de mes cheveux noirs. Elle se précipita vers lui en criant, comme elle s'était précipitée vers François à l'époque :

- Hugues ! Tu es vivant ! Où est Kyrian ?

Il se tourna vers moi, mais avant qu'il ait pu dire le moindre mot, je m'avançai en tendant les bras vers elle :

- Tu ne me reconnais pas ?

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