Le guide de la bonne épouse

3 minutes de lecture

(The Housekeeping Monthly, 1955)

Dialogue à sens unique

Nancy Callaghan se dressa d’un bond, le tintement métallique du portail annonçait son arrivée imminente. Elle défroissa les plis de sa robe vermillon et se précipita devant le miroir du buffet. Elle sentit sa poitrine se serrer en constatant l’état de sa coiffure : trois quarts d’heure devant le tutoriel de Vanity Fair pour faire le chignon de Rita Hayworth, à avoir des crampes aux poignets tout ça pour un fouillis de mèches blondes éparpillées et ébouriffées. La voix de sa mère tonna dans sa tête : « petite débraillée ! » Elle enleva les épingles et les coinça entre ses lèvres, plaqua les mèches rebelles et les fixa à la hâte. Elle se pinça les joues, et elle remit généreusement du rouge à lèvres corail.

Elle entendait ses pas sur le perron. Le réveil de sa douleur aux pieds la fit grimacer, ses escarpins à brides lui cisaillaient le cou-de-pied et lui broyaient les orteils à chaque pas ; depuis que ses pieds étaient si gonflés, elle avait renoncé à les porter, mais elle s’était résolue à lui plaire ce soir.

Elle balaya le salon du regard une dernière fois et repéra une tâche sur la table basse en acajou. Elle tira sur sa manche pour la récurer et elle se figea en entendant le grincement de la porte d’entrée. Elle courut aussi vite qu’elle le put et malgré sa nausée grandissante, afficha le plus large sourire que sa physionomie lui permettait.

Bonsoir mon chéri, je suis contente que tu sois rentré. Je commençais à m’inquiéter…

Oh un bouquet de roses ! Tu n’aurais pas dû !

Pour ta mère ? Je croyais qu’elle passait la semaine en Caroline.

D’accord, je n’y touche pas.

Donne-moi ton manteau.

Nancy se retrouva aussitôt seule et grelottante, la soirée était glaciale. D’un geste des hanches, elle referma la porte d’entrée ; dans ses bras, s’étaient amoncelés un manteau, un chapeau et une écharpe détrempés. Elle faillit glisser dans les flaques de neige fondue, mais se retint au porte-manteau de justesse. L’entrée, qu’elle avait frottée au savon noir et à la cire d’abeille dans l’après-midi, était devenue une vraie pataugeoire.

Elle projeta sa voix dans le couloir :

J’ai préparé ton gin-citron dans le salon.

Elle se réjouissait à l’idée de pouvoir bavarder ce soir. Elle ne savait pas par quoi commencer tellement elle avait à dire. De retour dans le salon, elle vit Charles sur son fauteuil en face de la cheminée, le visage caché par son journal.

Tiens, voilà tes pantoufles.

Comme son ventre était devenu trop gros pour qu’elle puisse courber l’échine, elle se mit à genoux pour glisser les pantoufles une à une aux pieds de son époux.

Oh, tu as les pieds gelés !

Nancy se précipita vers la cheminée et rajouta du charbon dans l’âtre jusqu’à ce que la flambée lui brûle le visage.

As-tu assez chaud ? Tu devrais te rapprocher, tes pieds sont engourdis

Je vais réchauffer le repas. Je suis désolée si le gigot est un peu sec. Je l’ai arrosé en attendant que tu rentres, mais je me suis endormie sur le fauteuil…

Nancy revint au salon s’asseoir en face de Charles, ce dernier était toujours absorbé par son journal. De sa place, elle pouvait lire les titres du New York Times et apercevoir la partie haute du visage conjugal.

Ta journée s’est-elle bien passée ? J’espère que l’on ne t’a pas trop ennuyé, surtout ce Monsieur Smith qui a l’air tellement pénible… Ça serait bien qu’il soit muté…

Les sourcils noirs et broussailleux de Charles se froncèrent, Nancy regretta aussitôt ses paroles.

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