De poussière...

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La silhouette décharnée se lève de son trône. Debout devant le brasero, ses mains tremblent. Il n'ose pas se retourner, préférant rester dans la chaleur de la flamme vascillante, dans le déni de sa propre fin qu'il ne tente même pas d'éviter. Alors que je brise les immenses jarres une à une, leur liquide nauséabond coulant sur le sol et coulant hors de la salle vers l'escalier, il ne bouge toujours pas. Quand le feu vient lécher ses jambes, il reste récroquevillé sans rien dire, les yeux toujours rivés sur son oeuvre, impuissant. Les seuls mots qu'il prononce avant d'être engloutit par les flammes sont :

— Nous étions les derniers...

Je cours dans l'escalier, loin du feu qui dévore déjà le plafond de la tour. En contrebas, la mélée a cessée. Je vois les matons au sol, le crâne enfoncé avec leurs propres gourdins. au milieu d'un amoncellement de corps dépouillés, poussés contre les murs mouchetés de rouge. Des visages perdus, couleur rouille, se lèvent à mon passage, certains ont déjà remarqué le torrent noir qui se déverse depuis l'étage. Le liquide sombre et collant se mêle au fluide incarnat répendu au sol, ils y plongent leurs mains sâlies, certains s'en recouvrent le visage, d'autre le portent à leurs lèvres. Dans sa cage, Samson n'a pas bougé, sa tête cabossée posée sur ses genoux cagneux. En courant, j'attrape la masse de l'une des brutes étendue sur le ventre et fais sauter une attache de la prison du géant. Dans mon dos, la fournaise commence à faire rage, j'entends des hurlements, une odeur abominable me saute aux narines. La deuxième attache saute à son tour et je m'élance dans le vide, au dessus du feu qui siffle et des corps qui se tordent de douleur.

De justesse, mes mains agrippent les barreaux inégaux de l'imposante cage, Samson s'acroche lui aussi. Pendant que la boite d'acier tordu décrit un arc de cercle vers le mur opposé, je me pose des questions sur ce colosse. Est-il né dans sa cage ? Pourquoi n'est-il pas devenu maton comme les autres gros bras ? Qu'a-t-il de plus comparé aux autres ?

La cage heurte le mur de plein fouet, Samson et moi sommes projetés en avant, la cage se tord et quelques barreaux éclatent. Je saute à terre, la fournaise prend de l'empleur et le choque contre le mur vient de déloger plusieurs pierres, le sable commence à se répendre à l'intérieur de la tour. Un signe à Samson qui s'extirpe d'entre les débris et il m'emboite le pas dans l'escalier que j'avais emprunté plus tôt en arrivant. Nous ne croisons personne, mais le feu est sur nos talons, nous courrons aussi vite que possible pour atteindre la salle des condamnés. Samson tourne le levier actionnant la trappe au mur.

— Qui vous z'êtes ? C'est quoi ce merdier ?

Se sont les gardes de l'entrée, certainement venus s'abriter de la tempête de sable. Je plonge avant qu'ils ne réalisent quoi que ce soit. L'un mord la poussière, tenant sa poitrine à deux mains, le deuxième lâche un pauvre gargouilli et le troisième prend peur et préfère courir en direction du brasier. Je l'entend hurler quelques instants plus tard. La tour tremble, la trape est ouverte, j'ordonne à Samson de sauter et nous roulons dans le sable alors que le bâtiment s'éffondre sur nous. 


Je me relève dans la chaleur molle du désert, si famillière. Une odeur de brûlé emplit l'espace, des débris carbonisés tombent encore de la tour d'où s'échappe une épaisse fûmée noir. Mais l'incendit ne durera pas, le sable a déjà envahi l'entrée et dévore la structure petit à petit. Je contemple le fin de mon périple. Les derniers...

Puis je vois Samson. À genoux dans les décombres, couvert de cendres et de sang qui coule d'une multitude de coupures, ses énormes bras ballants, la tête levé vers le ciel. Il sourit. Il sourit à ce ciel bleu profond. Il sourit au soleil qui lui brûle la peau, au sable qui caresse ses jambes meurtries, au vent qui parcourt les dunes. Du sourire innocent de celui qui vit pour la première fois. 

En voyant ce sourire, je sais maintenant pourquoi je l'ai choisi, pourquoi,lui, devait vivre. Je m'avance et lui tend la main. Il la saisit en se levant au dessus des gravas fumants. Nous marchons côte à côte dans la lumière du soleil.

Je leur ai donné une seconde chance, voyons ce qu'ils en feront.

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