Le chêne sur la colline

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Au cœur des grandes forêts du nord, sur le tertre aux alouettes se dressait un grand chêne. Fait insolite, il était Le seul feuillu au milieu de tous ces conifères et trônait sur la colline herbeuse comme un roi au milieu de ses sujets. Il tendait sa ramure vers la lune et les étoiles dans l’espoir de remplacer ses feuilles perdues par ces astres brillants. Près de la cime, sur une branche, à peine essoufflé d’avoir grimpé si haut, Plikiplok scrutait l’horizon. À chaque exhalaison un léger voile diaphane s’échappait de sa bouche.

Seigneur Hiver arrivait. À deux jours de marche, au septentrion il enserrait de ses grandes ailes brumeuses les pics de Setermoen et déposait sur les roches sombres de lourdes écharpes blanches. Sa tête aux contours vaporeux dodelinait de gauche à droite, et à chaque oscillation un vent froid accrochait des aiguilles de givre à la flore environnante.

Plikiplok rejoignit le sol avec agilité – ce qui n’avait rien de surprenant pour un elfe sylvestre. Les villageois attendaient son retour, désireux de connaître l’instant où la neige s’installerait pour des mois dans les rues du bourg. Il fallait empiler les dernières bûches, garnir les dépenses et se blottir chaudement aux creux des chaumières.

Alors qu’il s’apprêtait à partir, il se sentit retenu. La manche de sa tunique prise dans un rameau le fit se retourner. Il brisa le fautif afin de se libérer.

— Aïe ! fit une voix grave et profonde, as-tu la moindre idée du temps que cela m’a pris pour la faire pousser ? Je t’aurais lâché si tu me l’avais demandé.

Plikiplok hoqueta de surprise aux paroles du grand chêne.

— Tu… tu parles ?

— Cela n’a rien d’exceptionnel, nous conversons souvent entre nous. Seulement, vous n’entendez que le bruit du vent dans le feuillage.

— Ah, et de quoi parlez-vous ?

— Le plus souvent nous chantons, mais là n’est pas le sujet. Tu m’as blessé, en compensation tu me dois un service.

— Vraiment ?

— J’ai besoin de ton aide. La source étincelante cachée au fond du tertre s’est tarie. Si tu ne peux en trouver la cause et y remédier, seigneur Hiver m’emportera. Je le sens tout proche et avec lui la fin de mon chemin.

— Cette contrepartie me semble un peu déséquilibrée.

— Hum… Tu as raison, accepte et tu auras un étonnant présent.

— Entendu !

Ces mots tout juste prononcés, au pied du chêne racines et broussailles s’écartèrent et dévoilèrent un sombre passage.

— Suis la lumière quand c’est possible.

Sur ce conseil sibyllin, Plikiplok s’engouffra dans la trouée.

Dans la pénombre, une galerie s’enfonçait doucement au creux de la colline. Un entrelacs de racines maintenait la terre des parois et de la voute. Par endroit, des radicelles luisaient faiblement.

Suis la lumière pensa Plikiplok, le « quand c’est possible » m’inquiète un peu.

Il percevait des senteurs de terre mouillée et de végétation en décomposition. Il prit appui un instant sur la paroi. Au travers des racines rugueuses, il éprouva la force vitale de l’arbre, de lentes pulsations rythmaient encore le flux de sève. Parfois des échos étouffés par la distance parvenaient à ses oreilles pointues. Mais il lui fut impossible d’en déterminer l’origine. Était-ce une voix, un bruit anodin ? Il remit cette question à plus tard.

Plikiplok s’avançait dans le passage principal, délaissant les embranchements qui apparaissaient ici ou là. De toute façon, les ténèbres emplissaient ces boyaux secondaires ce qui diminuait considérablement leurs intérêts. Le corridor décrivait une spirale le long des flancs de la bute et sa pente s’accentuait. De temps à autre, Plikiplok traversait une aire obscure où l’on devinait à peine au détour d’une courbe le prochain lumignon. À ce moment, son cœur battait plus fort et il se pressait de rejoindre le halo lumineux.

Les sons devenaient plus forts, Plikiplok descendit les derniers mètres rapidement et déboucha soudain dans une grotte. Au centre, une construction en bois aux planches mal jointes, laissait passer par les interstices un intense chatoiement.

La source ! se dit Plikiplok.

Un peu plus loin, un curieux personnage s’affairait sur une cuisinière en maugréant sans cesse.

— Maudite clarté, peste soit de la lumière !

Plikiplok l’interpella. L’instant de frayeur et de surprise passé, elle lui offrit le thé. Pour une fois qu’elle avait un visiteur.

La vieille grand-mère taupe s’était installée au printemps précédent sous la colline. Elle écrivait des histoires pour les enfants, et cet endroit calme et isolé convenait à ses réflexions. Mais cette satanée lumière l’avait empêchée d’écrire quoi que ce soit. Elle avait donc cloisonné, du mieux qu’elle avait pu, cette fichue source.

— Grand-mère, si nous ne libérons pas la source, le grand chêne sur la bute mourra.

Plikiplok observa la vieille dame. Derrière ses lunettes, elle semblait triste.

Il eut soudain une idée.

— Grand-mère ! Dans mon village un artisan fabrique du verre teinté. Il pourra certainement en équiper vos lunettes.

Elle sourit et Plikiplok démonta joyeusement le caisson de bois. La source flamboyait.

Ils sortirent tous deux en empruntant une petite porte située à la base de la colline.

La nuit était limpide, la neige recouvrait le sol et les sapins alentours. Le chêne sur son tertre, resplendissait. Des étoiles avaient quitté le ciel et reposaient sur ses branches. La lune couronnait la cime de l’arbre et dardait de fins rayons.

Nous étions le vingt-quatre décembre, et le premier arbre de Noël sur terre illuminait la forêt.

Ce fut aussi ce jour-là que l’on inventa les lunettes de soleil.

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