Un éclat dans ses yeux

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13h05, le temps de parvenir au bâtiment situé à quelques centaines de mètres de là, elle serait certainement en retard.

Les éléments étaient contre elle en plus, pensa-t-elle en ouvrant son parapluie pour se prémunir de la pluie qui battait la chamade.

Pas de chance, avec 300 jours d'ensoleillement par an, ce genre de déluge n'était pas courant ici.

Elle s'élança en zigzagant entre les flaques, pour tenter d'arriver à pied sec, tout en se fustigeant d'avoir opté ce matin pour des richelieus à hauts talons.

Evidemment, lorsqu'elle arriva sous l'auvent, elle était trempée, l'eau qui ruisselait le long de ses mollets s'était immiscée jusque dans ses chaussures.

Une journée de merde, vraiment.

Trois heures de formation sur le bien-être et le climat de classe dispensées par des professeurs qui n'avaient pas mis un pied dans une école depuis des années, ça promettait de longs moments d'ennui.

L'écran où défilait le programme des cours accompagné du numéro des salles lui apporta une autre mauvaise nouvelle.

Salle 32, cela signifiait qu'il fallait se rendre au dernier étage, par les escaliers bien sûr, puisque dans cette grande bâtisse construite sous Mathusalem, aucun ascenseur n'avait été prévu. Avec des chaussettes imbibées comme les siennes, ces quelques marches devinrent un calvaire à grimper.

Arrivée tant bien que mal en haut, l'heure dite était passée. Comme elle s'y attendait, tout le monde était déjà installé dans la salle, une vingtaine de jeunes femmes et deux hommes, discutant tranquillement avant l'arrivée du formateur.

Souvent, elle désespérait que la profession soit si féminine, elle aurait aimé un peu plus de mixité pour enrichir les échanges, mais il ne fallait pas se plaindre, deux hommes, c'était déjà bien.

Elle s'assit où elle put, au fond de la pièce, contre la fenêtre, près du radiateur. Frissonnante dans ses habits humides, elle pensait ainsi se réchauffer.

Mauvais calcul, l'université avait apparemment choisi de ne pas allumer le chauffage cet hiver, probablement pour réduire l'empreinte carbone de ses activités.

Dommage pour elle, elle en serait quitte pour un rhume.

Enfin, le cours commença et un Powerpoint fut projeté, déroulant ses pages de théories qu'elle avait déjà vues et revues pendant son année de stage.

Même le paysage urbain grisâtre sous l'averse offrait un spectacle moins triste que ces successions de redites sans rapport avec sa pratique professionnelle, songeait-elle en regardant les gouttes ruisseler sur les vitres poussiéreuses.

— Mise en situation ! annonça brusquement le formateur, la tirant de sa rêverie. En binôme, vous proposerez une séquence en se basant sur les préconisations du BO.

Bon sang ! Il fallait faire quelque chose maintenant ! A l'heure de la digestion, sans avoir bu de café... les choses allaient de mal en pis...

— Enchanté, je m'appelle Florian, l'interpella son voisin de table, qu'elle n'avait pas remarqué jusqu'alors.

Elle croisa un regard d'un noir où s'abîmait toute lumière, taches sombres sur une peau hâlée, sous une épaisse chevelure brune.

Un italien, se dit-elle, mais cela n'avait rien d'étonnant dans une ville où plus des trois quarts de la population avaient une ascendance ligure ou piémontaise.

Sa large carrure écrasait la chaise d'écolier, mais sous cette apparence un peu brute, se cachait un tempérament cordial qui la mit tout de suite à l'aise.

Une discussion agréable qui n'avait rien à voir avec le sujet abordé s'engagea, et le temps s'envola.

Déjà, c'était le temps de la pause, ils n'avaient rien fait mais ils descendirent sur le perron pour fumer. Il suffirait de baisser les yeux quand le formateur demanderait qui voulait présenter son travail.

Avec un peu de chance, ça passerait crème.

Florian baissa son masque pour allumer sa cigarette et quelque chose la frappa immédiatement.

Son visage aux traits typés faisait écho à la romance qu'elle écrivait, pendant son temps libre.

Une histoire de mafiosi qui se déroulait à Naples.

Le protagoniste, elle l'avait exactement rêvé comme ça, et elle l'avait maintenant devant elle.

Ses scènes d'amour avaient longuement dépeint ce regard intense, sa peau dorée, son corps aux muscles épais, légèrement enrobés, sa gouaille méridionale.

En les décrivant, elle avait vécu par procuration ces étreintes torrides avec cet amant de fiction, insatiable et passionné, dans le secret de ses draps.

Et voilà qu'il était là, en chair et en os, face à elle, lui souriant. Elle piqua immédiatement un fard en imaginant un corps à corps autrement concret avec son personnage.

Brûlant de se blottir contre sa poitrine puissante et de goûter à ses lèvres charnues, elle tâchait néanmoins de se maitriser pour maintenir une conversation sensée.

Dès lors, elle savoura chaque seconde, chaque échange avec son collègue, tout en tentant d'étouffer les images de scènes érotiques qui l'assaillaient.

Elle savait qu'il y avait peu de chances qu'elle le revoie, elle voulait donc fixer chacun de ces intants dans sa mémoire.

Tenterait-elle quelque chose ? Non, cette brève rencontre était parfaite ainsi, et elle ne voulait pas la gâter avec les petites déceptions qui accompagnaient inéluctablement la réalité.

Quand elle ressortit, la pluie avait cessé, mais une nouvelle sensation d'humidité gênante avait inondé sa culotte.

Incommodée par le désir qui l'habitait toujours, elle repartit en se dandinant, roulant involontairement des hanches, mais planifiant déjà de soumettre son héros à toutes sortes d'acrobaties sexuelles.

Elle se sentait en veine d'inspiration.

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