les gens

3 minutes de lecture

Au téléphone. Chez moi (précision devenue obligatoire. Avant, on disait « t’es où ? » par curiosité polie, maintenant on annonce où on est, par civisme.) De quoi parle-t-on, pendant toutes ces heures tuées au bout du fil ? Des gens. Quelques extraits d’échanges avec copines :

— T’as vu, les gens… ?

— Non

— Ben, au supermarché, t’as bien vu tous les gens qui n’en ont rien à foutre des distances ?

— Beuh, non. Je ne me balade pas avec un mètre, je fais mes courses et je me tire.

Next :

— Il y avait un vieux, planté devant le rayon, en arrêt sur sa liste, nan mais quel sans-gêne ! Et moi j’attendais pour prendre ma confiture, tu crois qu’il se serait bougé ? J’ai failli l’engueuler. Comme s’il ne se rendait pas compte de la situation. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec des gens comme ça ?

— Je suppose qu’on peut lui dire poliment : excusez-moi, j’aimerais prendre un pot de confiture ? Comme on l’aurait fait le mois dernier ?

Encore (il y a moyen qu’il y en ait une qui cumule) :

— Ben moi il y a une connasse, j’étais au milieu de la route, et le gamin faisait du vélo sur le trottoir, elle m’est passée à 50 cm en faisant son jogging. J’ai failli l’insulter. Le jogging, je comprends pas qu’ils aient pas interdit.

J’imagine la joggeuse rentrée chez elle dire à son mari : « Je ne comprends pas qu’on autorise les gens à emmener leur gosse faire du vélo ».

Ma voisine, à travers la palissade, acide :

— Le feu, vous trouvez que c’est une bonne idée ?

— Désolée, j’avais coupé les arbres et la haie et ils ne ramassent plus, mais ce sera une seule fois, je vous promets.

On en parle de tes gamins qui geignent sous mes fenêtres à longueur de journée depuis deux ans et de tes travaux qui ont duré sept mois, morue ? Héroïquement, je l’ai retenu mais mes fils l’ont entendu, ils me regardent amusés.

Last but not least :

— Tu as vu la photo du périf ? Les gens sont tous en train de partir en vacances !

Le lendemain à la radio, le préfet se félicite de ce que les consignes ont été globalement bien suivies, et que les gens n’ont pas quitté la région parisienne. L’image aurait été cadrée de façon à ne pas faire apparaître le barrage de police, source de l’embouteillage.

J’ai un copain qui désinfecte ses poignées de porte plusieurs fois par jour. Il habite tout seul.

Une copine qui raconte tout ce qu’elle a vu les gens faire dans la journée, et je m’aperçois qu’elle a passé sa journée dehors.

Tout le monde a reçu en partage des exemples de comportements à risque, plus ou moins avérées, plus ou moins humoristiques. Telle cette question qui m’a beaucoup amusée : « Ma résidence principale se trouve à 90 km de ma résidence secondaire où je me trouve en ce moment. Puis-je aller tondre ma pelouse ? ».

Que fais-je d’autre avec ce texte, qu’ajouter un témoignage à l’édifice ?

Oui, il y a de l’inconscience, voire de l’indécence chez les gens. Cela nous autorise-t-il à nous ériger en dénonciateurs ? En milice ? En prédicateurs d’une doctrine mal établie, et donc sujette à interprétations ? Je crains que l’humanité ait plus à perdre qu’à y gagner : vandalisme anti-parisien, mesures anti-infirmières, timide annonciation de tracking (histoire de voir si ça pourrait passer dans la population, à la faveur du climat ambiant) …

Depuis quelques jours, je m’emploie donc à bannir cette expression « les gens », de mon vocabulaire. Et bien ce n’est pas facile ! Balayer devant sa porte, un concept à m’appliquer en priorité, pour éviter le piège de la moralisation.

3 avril 2020

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire carolinemarie78 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0