19 – 1 Parce que nous avons les armes

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— Mon fils ! Vous allez le tuer ! Mon fils !

La femme était entrée en furie dans la pièce, paniquée, explosant de terreur en tombant sur cette scène. Comment lui en vouloir de tenter de les interrompre ainsi ?

Tara jeta à peine un œil vers elle, laissa les autres la retenir comme ils le pouvaient, se concentrant rapidement sur le jeune homme au visage marqué par la souffrance en dessous d’elle, la sueur coulant de son front et ses veines saillants sous l’effort direct en contre-plongée.

Quelques jours plus tôt, elle faisait une pause sur la barrière, profitant du soleil de fin d’été, assise avec son bâton en appuie entre sa jambe relevée et son bras replié. C’est alors qu’il était venu à sa rencontre, comme d’autres depuis cette journée noire, depuis qu’elle avait crachée à la face du monde sa façon de voir les choses. Elle n’oubliait pas cette fameuse première rencontre avec ce nouvel ennemi. Depuis, son intuition lui criait que cela risquait d’être le début d’une longue série. Mais à son goût, parmi son équipe, lors des débats avec les autres dragons, et même Mahdi, ils étaient encore trop peu nombreux à y voir un danger latent.

Jusqu’ici, elle avait renvoyé tous les candidats potentiels vers Mahdi, Yahel ou Simon, le premier qu’ils trouveraient. Elle n’avait aucune envie de gérer cet aspect-là. Il serait toujours temps de découvrir à quel point ils étaient prêts à s’investir.

Pour lui, il y eut une différence.

— Toi aussi, tu viens pour intégrer les dragons ?

— Peut-être. Pas seulement. Je viens surtout pour ça.

Et il montra du doigt ses mains et son bras.

— Je voudrais en savoir plus, si ça ne vous gêne pas. Savoir comment vous avez eu ça. Cela peut m’intéresser.

Il éveilla son intérêt au point qu’elle fit l’effort de chercher à comprendre pourquoi il venait lui demander ça. Elle le regarda vraiment, et elle comprit. Pas des pieds, ni même des jambes en dessous du bermuda. Rien d’humain jusqu’au-dessus des genoux, juste des artifices de silicone et de métal.

— Je peux voir de plus près, lui demanda-t-il ?

Elle le laissa faire, tendant même le bras pour l’encourager à tripoter, tester, scruter, explorer en profondeur. Devant son air désappointé, elle préféra apporter quelques explications.

— Oui, tout est encore là, en dessous. C’était juste… un peu comme mort.

— Alors ce n’est pas tout à fait la même chose.

Tara réfléchit.

— Peut-être pas. Je connais quelqu’un qui saura mieux que moi te répondre.

Il hocha la tête, retrouvant l’espoir.

— Et ça vous a rendu plus forte ?

— Pour moi, oui. Selon les réglages, cela peut donner une force équivalente, ou bien plus importante qu’un corps humain puisse avoir. Sans aller dans l’excès, car cela ne doit pas déséquilibrer l’ensemble. Mais avant cela, il y a une chose que tu dois savoir… Tes jambes, c’est de naissance ou…

— Non, un accident stupide, dit-il en faisant la grimace. Avant.

— Je vois, dit-elle simplement, respectant sa discrétion. Donc tu dois déjà avoir idée de ce que c’est. Tu as même probablement dû atteindre des niveaux de souffrance dont je n’ai pas idée, dit-elle en fixant sa main ouverte devant elle.

Il confirma.

— Souhaites-tu vraiment revivre cela ?

— J’ai vu mon père se faire tuer, finit-il par dire après avoir pris le temps de réfléchir, et d’autres, qui m’étaient chers. Je ne veux plus être impuissant. Et je vous ai vu l’autre jour. On m’a dit de quoi vous étiez capable.

Et voilà comment ils en étaient arrivés là. Elle à genou sur la table d’opération, lui tenant les bras pour qu’il ne bouge pas, essayant de lui parler pour le détendre, face à ce mur de tissu vert. Elle avait juré de l’accompagner jusqu’au bout, mais de revenir dans cet abri pour l’opération, surtout pour y assister aussi activement… C’était une plongée directe vers le souvenir de son propre cauchemar. La seule différence était d’être placé de l’autre côté du miroir. Il suffisait d’un rien pour avoir une vue imprenable sur l’autre côté du pan de tissu.

La pauvre femme s’était effondrée à genou, pleurant sans discontinuer. Tara, son visage face à celui du jeune homme, mais à l’envers, vint poser son front contre le sien.

— John… Alors comme ça, tu ne lui as toujours rien dit… murmura-t-elle.

Elle ne pensait pas qu’il ait vraiment entendu, car ses derniers cris de souffrance avaient cessés bien brusquement. Au moment où sa mère avait déboulé, il avait dû tomber dans les vapes. Quelle horreur cela a dû être pour elle d’entendre son fils souffrir ainsi à nouveau.

— Comment vous pouvez lui faire ça ? Il a déjà assez souffert, gémit-elle.

Tara la regarda à nouveau, moins gentiment.

— Vous nous croyez vraiment cruels au point d’imposer ce traitement à quelqu’un ? Votre fils est adulte, qui plus est mature et responsable, m’a-t-il semblé. Il a fait son choix, en son âme et conscience. Il sait très bien ce qu’il fait. Maintenant, si vous n’êtes pas capable de le soutenir dans sa décision, sortez d’ici et laissez-nous faire.

C’est déjà assez dur comme ça, garda-t-elle pour elle.

La porte s’ouvrit à nouveau. Tara eut un soupir de soulagement quand elle vit qui était entré, alors que le jeune homme reprenait conscience.

— Mahdi, peux-tu l’aider comme tu l’as fait pour moi ?

Il resta silencieux un moment.

— Je vais essayer, finit-il par dire. Mais sache que cela ne marche pas aussi bien chez tout le monde.

Devant l’implication de ces mots, elle leva un sourcil, puis s’écarta pour lui laisser la place. Là aussi, cela lui parut étrange de voir ces gestes qu’elle avait uniquement ressentis. Cela prit plus de temps, mais John finit par se détendre un peu, le temps que l’opération se termine.

— C’est fini, mon gars, dit le chirurgien accompagnant Marc d’une voix aussi soulagée qu’épuisée.

Elle revint tout près du visage de John, et quand il rouvrit les yeux, encore assommé, elle lui parla.

— Bienvenue dans l’équipe.

Ils invitèrent sa mère à aller lui parler. Tara sortit, fit quelques pas, puis s’adossa contre le mur, s’apercevant qu’elle était essoufflée. Elle se laissa tomber, soulagée elle aussi.

Mylène arrivait. Elle stoppa devant Tara, assise au sol, les coudes sur les genoux relevés, lui envoyant un petit salut.

— Tiens, tu es de nouveau de la partie ?

— Oui, j’ai un peu d’expérience. Ça me changera. On a eu des cas très… difficiles l’an passé. La convalescence de certains et certaines de nos patientes a été très longue.

Tara voyait parfaitement à quoi elle faisait référence.

— J’en ai une petite idée…

— Même des gosses… Comment fais-tu ? Face à toutes ces horreurs…

Tara ne put louper son air fatigué. Elle avait tenu jusque-là, c’était déjà bien.

— Je ne sais pas. Je fais, c’est tout.

Silence.

— Prends soin de lui, il le mérite. C’est un brave gars.

Mylène opina, puis entra dans la salle.

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