2 février 2020,

 Théo,

Je vais passer sur le Adrinana de ta lettre précédente et supposer que tu es subitement devenu fan de la quatorzième lettre de l'alphabet. Je vais mettre de côté tes blagues ridicules destinées un atmosphère lourd de non-dits. J'oublierais, une fois cette phrase rédigée, les auto-compliments sur ton physique.

Mais, par contre, je ne peux pas épargner le paragraphe où tu te moques de ta propre copine. Je pense pouvoir compter sur mes doigts le nombre de fois où tu as dit autre chose qu'une prière d'adoration pour désigner Christy. Ce n'est arrivé que trois fois.

La première, on avait un ballon de foot, un terrain abandonné et un après-midi de libre car on savait que nos mères, occupées à caqueter comme à leur habitude, ne nous appeleraient pas avant deux heures. Nous avions constitué deux équipes avec des gamins du quartier. Bien sûr, chacun de nous était capitaine de sa propre équipe. Voilà trente minutes que les Tigres à dents d'épée affrontaient les Tyrannosaures à grands bras lorsqu'une fillette à fait son entrée sur le terrain vague. Elle portait d'absurdes sandales à talons couleur fuschia qui s'étaient crottées à peine un pas effectué dans la parcelle. Les volants de sa robe se prenaient dans les planches de la palissade et sa chevelure blonde, bouclée à la perfection, accueillit un discret bourdon qu'elle ne manqua pas de chasser. Voyant qu'il y avait des garçons, elle s'est avancée de deux pas, à prit une pause façon star-du-tapis-rouge et a déclaré : « J'ai des glaces, venez ! ». Son ton était impérieux, sa moue, dédaigneuse et tu n'as pas résisté à l'envie de rétorquer à voix basse : « Mais pour qui elle se prend, madame Princesse ? ». Ce n'était même pas une gausserie ! Tu as quand même fini par la suivre. Lorsque, moi, j'ai voulu te rejoindre, elle m'a barré le chemin avant de déclarer : « C'est pas pour les bouseux. » Puis, d'une main, elle m'a poussée à terre dans une flaque de boue tandis que de l'autre, elle rejettait sa chevelure en arrière. On avait même pas douze ans que déjà, je savais que c'était une peste.

Toi, tu ne t'en ai rendu compte qu'à tes seize ans. Et encore, tu étais saoûl le jour où elle t'a joué son plus mauvais coup. Je sais que tu n'en a plus aucun souvenir. Je ne vais pas retranscire ici le long monologue composé de gros mots mis les uns à la suite des autres sur lequel tu deversais toute ta haine. Qu'est-ce que j'étais heureuse, ce jour-là ! Malheureusement, le lendemain, ma joie s'est vite effacée : vous vous étiez remis ensemble ! Bien sûr, tu avais tout oublié, de son sale coup à notre discussion.

La troisième et dernière fois, tu la connais, elle est dans ta dernière lettre, paragraphe trois, première phrase.

Tout cela, uniquement pour te poser une seule et unique question : Sais-tu qui elle est ? Car, si tu réponds oui, je saurais que je t'ai perdu, à jamais. Une fille comme elle ne peut pas te convenir. J'anticipe ta réaction en sachant que, dans ta grande compréhension, tu t'accorderas à dire que Christy est une fille comme les autres même si elle peut avoir certains travers peu communs.

  Réfléchis-y, Théo,

     Adri

PS : Devine qui est papa ? Ce bon vieux Josh s'est marié il y a deux ans et ils viennent d'accueillir leur premier enfant.

PPS : Ce petit chou s'appelle August et je suis sa maraine.

PPPS : Il y a un peu trop de sang et de nudité à mon goût sur ces photos (oùsont passés les vêtements ?). Mais ce n'est que mon avis de petite professeure.

PPPPS : Ton nez a toujours eu un je-ne-sais-quoi qui n'allait pas.