Visite Nocturne

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Tu viens, camouflée dans les silences, courant d'air mélodieux. Tu viens, déguisée en larmes de pluie, sèche, comme mes yeux. Tu viens, encore celée dans ton repos, hanter chaque nuit insomniaque. Oui, quand le sommeil m’a abattu, tu viens visiter, à pas feutrés, mon jardin enfoui. Tu éclos entre les rosiers, leurs épines plus grandes que leurs pétales flétris ; ta peau se perd dans la mélancolie des iris, voilés de tulle noire. Comme une traînée d'or, tu t’immisces dans les ronces, les nappes de ta beauté, à peine effilochée. Alors que devant toi, la lumière lugubre se pare de reflets d’argent ; que les ombres, amères et menaçantes, s’évaporent, tu resplendis dans ta robe lactée. Dans mes songes, tu poursuis, ta danse vaporeuse, douce trace hurlante, douleur soyeuse. Et tu saisis ma main entre tes lèvres, et tu croises tes doigts dans mes cheveux avant de t’allonger sur la terre brûlée. Sur la terre brûlant encore de nos braises.

  Ferme tes paupières, dors, et laisse-moi te rejoindre. Toi, ma déesse, mon ange. Mon ange de désolation, déployant tes ailes de marbre, tu projettes leur halo sur mes sols pleureurs. Glisse tes bras dans ma mémoire, étouffe ton absence de baisers envolés. Crève les nuages mornes, encore, et couvre-nous de ton linceul, que nous nous aimions comme sous nos draps.

Dès que le vent mêlera nos âmes de son satin pourpre, dès que le temps aura tourné son œil persan, nous ferons diversion, nous tiendrons en suspens le glas retentissant ; nous serons enfin réunis, et tu m'emmèneras, loin, mon cœur blotti contre le tien ; nous fuirons, enlacés, dans mes rêves, et tu effaceras d’un revers de cils, et les erreurs, et les tourments. De ta voix de coton, tu ouvriras les barbelés qui griffent le capiton qui nous sépare.

Tu sais maintenant, les heures se bousculent, et l’éveil est sanglant. De ce côté du monde, on étouffe. L’air y est si brutal, la chaleur suffocante. Tous les rires réunis n’ont pas la force des tiens, mais l'odeur du soufre. Et leurs mots n’ont de sens que lorsqu’ils les taisent. Tu n’es plus là pour donner leur essence radieuse aux brumes étourdissantes, tu n’es plus là qu’en écho de verre éclaté contre les parois de mon palais de glace. Et le cristal brisé jonche encore ma langue, et s'incruste au tréfonds des chairs, et les bris de poussière torturent mes entrailles.

  Que nous partions et nous ne verrions, en direct, nos cœurs en dissection, ciselés de leur mépris. Et nos amours jetées, dans leurs paniers à ordures, leur noirceur éperdue et perdue dans les méandres de nos jours heureux. Il y aura dans leurs mensonges habiles, 510 versions de toi, 510 versions de moi et tellement plus encore de nous deux. Des versions aux versants montagneux, rocailleux. Des versions aux versants tapissés de fougères grimpantes et de gui tortueux. Ainsi ne garderont-ils que celles qui leur conviennent, pour nourrir leur cortège aux dents longues et acérées, pour engraisser les porcs, ces monstres enchantés de notre sort. Ces hommes assoiffés de sang, à épandre sur les champs de bitume ; ces hommes au désir de sacrifier nos ébats, de nous deux vieux amants, et de ne laisser qu’une traînée de cendres ardentes. Moi je brûle de partir, fuir ces fous qui se drapent de mes larmes. Alors tu restes là, dans mes nuits sans soleil, gisant sur tes oeillets en berne.

Dors mon ange, reste encore, les yeux clos, dors, sur mon épaule tremblante, que tes yeux se fondent dans ma peau. Dors mon ange, repose-toi encore, ta robe de lys blanc berçant mes idées noires, dors sur mon tapis de feuilles mortes, que tes cheveux s’empreintent dans leurs limbes. Dors mon ange, aime-moi encore, sous les rayons de ton nimbe, dors dans ma solitude, que les roulements de ton cœur rythme mes heures éteintes. Car dans ton absence irréelle, l'éternité nous appartient, que dans notre passion éternelle, chaque seconde la contient. Tant qu’il n’y a que toi pour parcourir le néant de ma vie somnambule. Que toi pour ensevelir le ciel sous tes bouquets de joies, que toi, en dernière étincelle de soie, pour panser les blessures funambules.

  Tu fleuris dans ma mémoire, derrière chacun de mes pas ton ombre s’allonge, aussi scintillante qu’illusoire... Dis-moi, te souviens-tu des splendeurs nocturnes et des rires fous ? Je les avais déposés en étendard sur ta juca. Les as-tu emportés dans ton voyage dans l’au-delà ? Comme je garde inhumées en moi tes inflexions de voix et le battement de tes yeux ? Et dans l'iris en deuil, plantées comme des poignards, des spinules en gerbe ont suivi le cercueil. Des fragments de mon coeur et des éclats de rires rien qu'à nous, ont surgis des écueils.

  Dans la somnolence de mon jardin en friche, une dernière fois, dors mon ange de désolation, hante mes nuits blanches d’élégies onctueuses. Rien ne pourra jamais te dépouiller de ta splendeur, rien ne pourra jamais enlever à ma chair nos frissons. Tu peux maintenant t’assoupir sans crainte. Si dans mon coeur encore résonne la complainte, je sais qu’à mon tour je me joindrai à tes étoiles sifflantes, et qu’ensemble on mixera enfin la voûte céleste avec le macadam, qu’on couronnera l’asphalte de notre amour en flammes .

Et tu m'emmèneras, et des baisers chrysanthème l’on semera.

italique : paroles complètes (j'ai pris une liberté, j'avoue) de : Ange De Désolation, Horizon, Détroit

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