La page blanche

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  Derrière la grande fenêtre du bureau, la nature bat la mesure, inébranlable et bien peu soucieuse de celle qui se déroule à l’intérieur. De son côté, inconfortablement assise sur son fauteuil, Clotilde hésite entre son envie de prendre l’air, de se joindre à la danse des arbres et du vent, et les lignes de son document Word.

  On est dimanche, et rien n’a vraiment daigné sortir du clavier. Pourtant cette semaine, elle s’y était prise relativement tôt, notant ses idées dans son calepin et quelques phrases bien tombées. Dans son esprit, tout était clair, elle allait vous parler de Crystal, cette jeune britannique qui entreprenait un voyage dans sa propre mémoire. Mais au fil de ses mots retapés proprement, le fil était trouble, les rubans étiolés. Quelques lignes satisfaisantes formant un patchwork mal assemblé. Un joyeux méli-mélo, un capharnaüm bigarré de métaphores. Bref, l’ensemble n’était pas à la hauteur de ses attentes et, si la jeune femme s’accordait une certaine marge de manoeuvre, deux textes bâclés l’un après l’autre n’était franchement pas acceptable.

  Cherchant à saisir mieux son personnage, ses doutes, ses faiblesses, les questions auxquelles seule elle-même pouvait répondre, Clotilde revit défiler les personnages qui avaient pris vie dans son esprit. Avec une nostalgie qui la surprit, elle y repensait comme on pense à de vieux amis. Certains détails, certaines anecdotes parfaitement précises, les contours des visage tout à fait nets, et d’autres complètement flous, les prénoms même oubliés, effacés, ne restant que cette vague impression que leur non-existence faisait partie intégrante de la sienne. Et pour cause. Si Clotilde ne livre que des bribes de leur expérience, dans sa tête, tout est tracé. Tout ou presque. Les personnages sont presque palpables.

  La plupart d’entre eux, elle les rencontre au détour d’une page de journal, d’un podcast, de l’histoire d’une amie, les aperçoit à une terrasse de café, au détour d'un trottoir… Elle les entrevoit subrépticement, puis elle les nourrit. Elle les nourrit, de ses frères et sœur, de ses ami.es, des gens qui passent. Elle les nourrit de ses propres peurs, de ses propres frustrations, de ses rancunes, de ses rancœurs. 

  Le goût de Clotilde pour la rédaction, elle voudrait pouvoir dire que c’est avant tout la passion des lettres, l’amour du bon mot. Elle pourrait vous dire « j’écris pour vous ». Ce serait non seulement mentir, mais surtout bien prétentieux. Non, si Clotilde écrit, c’est avant tout pour elle, par égocentrisme, car, même déformant, l’écriture est son miroir.

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