Pantomime

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Sa mort approche à petit pas mesurés. Ses mains frêles, presque maladivement pâles tiennent un plateau si joliment ouvragé qu’il siérait mieux dans un musée que dans les mains d’un serviteur.

Le monarque penche la tête, appuie sa joue contre sa main et cligne lentement des yeux. Le temps se dilatent autour de lui, le monde entier tourne au ralenti. Une coupe en or massif est posée près de lui, effleure sa main et il retient à grande peine un tressaillement.

Un verre de vin, empoisonné.

Il a toujours détesté le vin, dommage de mourir d’une boisson que l’on n’a jamais aimé. Ses boucles brunes s’échappent de sous sa couronne, lui chatouillent le front alors qu’il se redresse et pose ses coudes sur la table, ignorant toutes les règles de bienséance.

Il s’en fiche, il est roi. C’est lui qui créé les règles.

Sa majesté repousse son assiette, presque comme un enfant refuserait un plat, et attrape délicatement la coupe dorée, faisant lentement tourner le vin, admirant sans réellement le regarder sa couleur. Il n’a d’yeux que pour ses invités. Lesquels le fixent avec insistance, lesquelles l’ignorent. Qui, parmi cette joyeuse bande de hauts-fonctionnaires, vendrait sa famille pour le voir mort ? Qui, parmi ces hommes gavés de privilèges et d’orgueil, oserait ordonner à un maître empoisonneur de se rebeller contre son roi ?

Il y a forcément un mouton noir, dans le lot. Ce n’est pas le peuple qui veut sa mort, pas pour l’instant – prions pour que ça dure, il ne veut pas d’une révolution, il accepterait le changement si ses sujets le voulaient.

Non, le loup est déjà dans la bergerie, il est ici, tapi dans l’ombre.

Un sourire étire les lèvres du monarque. Autant jouer avec leurs nerfs avant de rendre l’âme. Sa main délicate saisit la coupe, la porte à ses lèvres – il a presque l’impression de voir le silence tomber sur la pièce – avant de la reposer sur la nappe blanche.

Ça y est, le traître est repéré.

C’est son ministre des armées. Évidemment. C’était presque trop prévisible !

Il ferme à demi les yeux et voit en filigrane son sort déjà scellé. Le poison ou l’épée. Qu’importe, il mourra.

C’est son destin, sa fatalité personnelle. Il le sait, il le sent. Comme si les fils brumeux de la causalité entourant son corps, sa vie entière, étaient visibles. Il imagine cette toile d’araignée immense, entourant ses poignets, sa gorge, ses jambes.

Il ne quittera pas cette pièce.

Autant finir ce jeu truqué dès maintenant.

Le monarque reprend sa coupe, fronce le nez quand l’odeur du vin vient chatouiller son odorat et même si un reste d’instinct de survie veut recracher ce qu’il sait être du poison, il se force à déglutir, à avaler d’un coup.

Il ne veut pas souffrir, c’est sa dernière volonté. Il veut mourir maintenant.

Les fils se resserrent autour de lui, compriment son cœur et les larmes lui montent aux yeux. Le monde se fait flou, ses ministres se dédoublent.

Son équilibre lui fait défaut, il s’écroule sur le sol, sa tête heurte durement le sol, sa couronne roule sur les dalles de marbres et vont se cogner à l’un des piliers de la salle dans un son cristallin. Une douleur atroce lui laboure les entrailles, lui agrippe la gorge, il n’arrive plus à respirer, il suffoque. Il veut pleurer, supplier, appeler à l’aide, mais sa voix reste coincée dans sa poitrine.

Même son dernier souhait ne fut pas exaucé.

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