Chapitre 5 : La naissance d'un rêve

8 minutes de lecture

« On se demande souvent comment, en ayant fait allégeance à l’Imperium, ne connaissant rien aux coutumes et traditions Fremen, Pardot Kynes a réussi à convaincre le peuple le plus libéral de l’univers de s’embarquer dans un projet commun aussi immense. D’accepter pour la première fois une union des tribus sous le commandement d’un individu. La réponse est peut-être que Pardot Kynes était habité par un rêve bien plus grand que lui. Le seul rêve à la hauteur des exigences du peuple Fremen. »

Extrait de : Histoires et mythes du désert.
Par la princesse Irulan.


    — Quand j’ai rencontré le planètologiste, il n’était qu’un fardeau que je devais déposer aux pieds de mes amis, dit Hamaad.

    Un homme qui voulait voyager dans le désert et qui me semblait fou et stupide. D’habitude, j'achève ce type d’étranger avant qu’il offre son eau à Shaï-Hulud. Mais cette fois-ci, j’ai découvert que sa disparition  avait de l’importance pour les Harkonnens.

    La plupart d’entre nous auraient haussé les épaules avant de le tuer, mais je voulais d’abord savoir quel réel danger il pouvait représenter pour les hommes du Baron.     

    … Et, un cadavre est toujours plus facile à transporter quand il marche volontairement à vos côtés.

    L’Agora est soudain réveillée par des rires dans la foule...

    — Je me suis rendu compte que cet individu n’est pas fou et encore moins stupide. C’est l’un des savants de l’empereur. Nous savons tous combien il tient à garder les sciences sous son contrôle.     S’il paraît avoir perdu la raison, c’est parce que cet homme ne pense qu’à une seule chose, la planétologie. Sur ce sujet, il est intarissable.     Pendant notre voyage, il m’a parlé de celle-ci. Elle est pour lui une ligne de conduite. Croyez-moi ou non, mais il y a de nombreux points sur lesquels sa science rejoint nos traditions.     Il m’a par exemple, démontré avec ses mots de scientifique que Shai-Hulud a éduqué notre peuple. Pour nous, c’est une des bases de notre religion, telle qu’elle est écrite dans le Kitab al-Ibar. Mais pour lui c’est une vérité scientifique.    C’est également un cheminement scientifique qui justifie dans l’esprit de Pardot Kynes la discipline de l’eau. Il a juste replacé à l’échelle de l’homme des nécessités environnementales et des liens de cause à effet qui découlent de l’écologie d’Arrakis. C’est la raison pour laquelle il a toujours fait attention à bien porter son distille. Il est conscient de la valeur du don qu’il a fait à notre tribu en sauvant Momhul, ou en nous offrant l’eau de ses victimes Harkonnen.        — Tout ça, c’est que des mots ! Dis un homme dans la foule.

    — Je ne vais pas parler de science... Je n’y comprends rien et je ne me risquerais pas à donner mon avis sur la faisabilité des projets de cette personne.

    Je viens exprimer ici, ce qui, à mon avis, est le plus crucial pour notre peuple. La véritable valeur de cet individu est... stratégique.

    Un léger brouhaha envahit doucement l’Agora.     — S’il vous plaît ! Dis le Naïb, pour faire taire la foule.

    — Oui, vous avez bien compris, selon moi cet homme nous apporte un réel avantage tactique. Il peut nous permettre de retourner les armes des Harkonnens contre eux-mêmes, continue Hamaad.

    La force des Harkonnens, c’est leur maîtrise de l’eau. C’est grâce à cette eau qu’ils peuvent enchaîner les tribus vivant sur Arrakis.     Ne pas donner d’eau aux Fremens de la ville est équivalent à une sentence de mort. Le planètologiste appelle cela du... « Despotisme hydraulique ».     C’est parce qu’ils disposent de plus d’eau que nous, que les Harkonnens peuvent assurer leur mainmise sur notre planète. Nous sommes nettement plus nombreux. Mais nous ne pouvons pas assumer une dépense d’eau supérieure à celle des quelques escarmouches qui nous opposent aujourd’hui.     Si les Fremens veulent réellement entrer en guerre avec les Harkonnens, nous avons besoin de disposer de suffisamment de ressources en eau pour le faire.

    — C’est vrai, dit une voix dans la foule.

    — Je pense que Pardot Kynes nous dit la vérité lorsqu’il affirme qu’il va trouver de l’eau sur Arrakis.     Je considère que Stilgar a raison, lorsqu’il dit que participer aux projets de cet homme peut nous assurer l’accès à cette eau. C’est pour cette raison que les Harkonnens et l’empereur veulent sa mort. Nous donner de l’eau, c’est garantir notre indépendance vis-à-vis de l’Imperium.

    Nous ne disposerons peut-être pas de la somme d’eau qu’il faut pour soutenir une guerre tout de suite. Il faudra peut-être plusieurs années pour y arriver. Mais, en fin de compte, il nous suffira d'anéantir les ressources des Harkonnens, tout en nous appuyant sur les nôtres.     Comme l’enseigne l’attitude du couteau, détruire une ressource c’est la contrôler !

    De nouveau, un brouhaha se fait entendre, suivi de quelques appels au silence prononcés à gauche et à droite.      — Le… euh... « despotisme hydraulique » sera alors en notre faveur.  Nous pourrons chasser les Harkonnens d’Arrakis. Nous pourrons reprendre à notre compte l’extraction d’épice et assurer les livraisons destinées à l’Imperium, pour éviter que l’empereur n’envoie ses Sardaukar reconquérir notre planète.

    Encore une fois, l'assemblée s’agite.

    — Taisez-vous, dit le Naïb en se tournant vers l'auditoire en faisant un geste d’apaisement. La tranquillité s'impose peu à peu dans l’Agora.    Une fois le silence revenu Hamaad fait face à la foule en faisant mine de regarder chaque Fremen dans les yeux.

    — Condamner Pardot Kynes... c’est priver notre population de la meilleure, opportunité stratégique, que nous n’ayons jamais eue !     Condamner Pardot Kynes c’est déposséder notre peuple de l’espoir de prendre en main sa destinée.     Pensez-y lorsque vous lèverez la main pendant l’Aswat alssamt !

    Hamaad regagne sa place auprès de Stilgar alors que ses dernières paroles résonnent dans le mutisme qui s’impose dans l’agora. Son intervention clôt les débats et le Naib lance aussitôt le vote silencieux.

    Si le suffrage s’est, bien entendu, révélé en défaveur du planètologiste, il a quand même réservé quelques surprises lorsqu’une dizaine de mains se sont levées pour sauver sa vie. À la stupéfaction générale, la Sayyadinah et le Naib du Sietch Tabr faisaient partie de celles-ci.

    N’ayant pas encore affronté la Mihna (l’épreuve du passage à l’âge adulte), Hamaad et Stilgar ne purent voter pour sauver la vie de Pardot Kynes.

    — Nous avons fait ce que nous pouvions, dit Hamaad à Stilgar. Mais nous savions tous les deux qu’il n’y avait aucun espoir.

    Oui, aucun espoir non plus, pour les Iduali, pense Hamaad en pleurant intérieurement sur cette opportunité perdue pour les siens.

    Prenant acte de la décision prise lors du vote, le Naib prononce l’Istislah et explique les modalités d’exécution de celle-ci.

    Il demande un volontaire pour accomplir le meurtre rituel. Sur les sept mains qui se lèvent, le Naib choisit celle d’Uliet (Liet l’ancien), un des guerriers les plus expérimentés du Sietch. Un combattant pouvant tuer Pardot Kynes sans souffrance inutile ni verser plus de sang qu’il n’en faut.

    Lorsque le Naib réclame deux autres volontaires, pour recueillir l’eau du planètologiste et assister Uliet dans son rituel, Hamaad lève la main et invite du regard Stilgar à faire de même.

    — Uliet, Stilgar et Hamaad, je vous attends ce soir à la tombée du jour pour définir les derniers détails et vous remettre les objets consacrés...


    La nuit était déjà bien avancée lorsque le bourreau et ses deux assistants arrivent à l’Agora du Sietch où plus de 500 Fremens écoutent Pardot Kynes en train de discourir en marchant de long en large.     Il décrit des dunes maintenues par l’herbe, des palmeraies où l’on pourrait cultiver des dattiers, des qanats à ciel ouvert sillonnant le désert...

    Le planètologiste n’a pas fait attention à l’augmentation soudaine du nombre des auditeurs attirés par spectacle prévisible de sa fin. Il parle, parle, parle sans cesse, inconscient du danger qui approche.

    Suivi par ses deux assistants, tenants le distille de mort à gauche et à droite à un pas derrière lui, l’homme au couteau s’avance et se trouve face au planètologiste.

    — Ôtez-vous d’ici ! Dis Kynes, et il continue de parler en évoquant des pièges à vent secrets. Il passe devant l’assassin et offre son dos au coup rituel.

    Hamaad sent brusquement comme une tempête qui le traverse de part en part et retourne chaque fibre de son être.     Le temps se fige sur l’hésitation du tueur et l’arbre des possibles de la prescience se referme sur une image. Cette scène Hamaad l’a déjà vue et il sait comment il doit agir. Agir pour permettre aux Fremens d'atteindre le rêve qu’ils appellent de leurs vœux. Agir pour offrir un futur aux Iduali et à leur potentielle vengeance.

    Hamaad fait un pas sur le côté. Il se rapproche d’Uliet en ayant l’air de perdre son équilibre. Dans la confusion, il saisit la main du tueur et retourne vers lui son couteau. Une fois le Krys rapidement planté dans le corps de cet homme il le pousse légèrement en lui faisant un croche-pied qui va le faire chuter à plat ventre sur la lame. Le distille de mort qu’il tient de la main gauche a masqué à l'assemblée sa manœuvre rapide.     À tout le monde, mais pas à Stilgar qui le regarde fixement, les yeux remplis d’incompréhension.

    — Tu l’as maintenant ton miracle mon ami, souffle-t-il dans l’oreille du jeune Fremen. Le suicide de son bourreau sera un présage qui va sauver la vie du planètologiste et lui apporter suffisamment d’autorité pour lancer son projet.     Il suffira de suggérer qu’Uliet a subitement compris ce que Pardot Kynes pouvait offrir aux Fremen. Qu’il a donné son eau pour que son plan se réalise ! Que Shai-Hulud a inspiré son geste.

    Hamaad se penche alors vers le bourreau en dispensant l’impression de vouloir l’aider à se relever. En retournant le corps, il remonte discrètement la lame vers le cœur d’Uliet pour être sûr que son meurtre sera bien traduit comme un suicide.     Il regarde la vie lentement quitter les yeux de sa victime, tout en ressentant une douce quiétude l’envahir. Hamaad ne s’était pas rendu compte, combien le besoin de tuer un homme l’avait taraudé ces derniers jours.

    Ainsi naissent les présages et… le reste appartient à l’Histoire...

    Pardot Kynes fut le premier chef de tous les Fremens. Le premier à unifier les tribus. Pardot Kynes ne pouvait pas imposer sa vision au Fremens. Mais grâce à son respect pour ce peuple et leur mode de vie, il put mettre en place son plan à long terme et organiser autour de lui les bases de l’ordre social Fremen.

    C’est sur l’héritage de cet ordre que les Atréides purent bâtir leur pouvoir et prendre le contrôle de l’Imperium.     Les Fremens travaillèrent donc pour l’Empereur répandant dans tout l’univers un nouveau Jihad en son nom.

    Selon les traditions du désert, Pardot Kynes devint le protecteur puis l’époux de Faroula la plus jeune femme d’Uliet.     Quand son fils naquit au sein du Sietch Tabr, Pardot Kynes le prénomma « Liet » en hommage à l’homme qui avait donné sa vie pour permettre l’adoption de son projet écologique par le peuple Fremen.

    Stilgar devint plusieurs années plus tard le Naib du Sietch Tabr grâce à sa force et à sa sagesse devenue légendaire.

    Quant à Hamaad, il disparut dans le désert le lendemain de la mort d’Uliet.     Certains disent qu’il a rejoint une bande de contrebandiers. Qu’il serait toujours secrètement ami avec Stilgar… 

    Mais... c’est une autre histoire...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Elijaah Lebaron ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0