Tempête d'idées

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« Bien, messieurs dames, je vous laisse en compagnie d’Henri pour la présentation sur Sapiex. Même s’il a l’air ivre mort ou fêlé, il a peut-être de bonnes pistes à vous fournir pour la rédac du site et du blog.. Alors prêtez l’esgourde. »

Suite à l’introduction sans fautes d’Alfred, emmitouflé dans son costume parfaitement repassé, Henri se dirigea avec nonchalance vers le centre du Cared, enjambant avec ironie un bureau puis une cloison avant de se poster au centre de l’open space comme le messie de la décadence. Il exhiba une brève grimace hésitante à l’égard de ses camarades puis farfouilla la poche intérieure de son veston bleu marine pour en extirper une Camel et distraire ses mains avec.

Sous le regard médusé de sa cohorte de rédacteurs, alchimistes reniés des grands offices et de plus modestes papiers ou ensemble de pixels et de mots alignés selon des statistiques bien rôdés ; Henri dressa la cigarette comme symbole de son discours. Il adressa un sourire convenu à Alfred Alpanro comme pour lui signifier un respect fastidieux des consignes de vie.

« Je ne la fumerai pas ici, pas la peine d’appeler la police ou les pompiers. Bien.. Donc Sapiex ? Ce sobriquet voisin de Durex nous vient tout droit du joli minois d’une ancienne travailleuse du plaisir qui a longtemps su jouer de ses courbes et de son charme. Qui a osé dire que ces femmes abandonnent leur vertu et leur intégrité pour accueillir le fluide tant apprécié de la vie hm ?

Outre le storytelling vu et revu de la femme qui s’est tuée au travail, qui s’est vendue, troquée à des hommes affamés et dépravés pour vivre ce petit miracle qu’est la vie, le concept qu’elle a apporté a toujours existé sans vraiment être exploité.

Le sexe est devenu une denrée banale, consommé ici et là pour des raisons différentes : pour oublier, pour les bienfaits de la jouissance, pour une vidange bénéfique, pour se rassurer, pour pouvoir ajouter un trait à la liste, pour guérir beaucoup de maux et parfois pour éprouver ou encore démontrer son amour. La baise, l’amour, le sexe, le cul, tout ce qui implique nos parties génitales s’est aujourd’hui complétement démocratisé -non pas que je sois contre- grâce au porno, aux mœurs, à nos parents vainqueurs de la libération sexuelle, grâce à ces dames qui ont su saisir l’égalité des sexes pour punir et maîtriser un patriarcat qui a duré bien trop longtemps.

Mandy, oui, ça sonne bien strip-teaseuse, a voulu apporter quelque chose de plus que des gémissements, du sperme et de la cyprine, elle veut apporter l’orgasme et l’ébullition aussi bien dans nos esprits que dans nos pantalons.

Nous pensons, nous aimons et il arrive même que nous nous tuions. Fumer, c’est comme payer une prostituée pour se faire fouetter ; certains apprécient et d’autres moins mais.. J’en arrive au but. Rien que d’en parler, je commence à durcir. Notre cerveau contrôle notre corps, nos pensées influent sur nos magnifiques organes reproducteurs.

Je vous évite l’anecdote sur mes débandades soudaines en plein ébat. Sapiex, c’est plus que la satisfaction du corps, c’est la satisfaction de l’esprit. C’est.. la compréhension de la grandeur humaine, de sa conscience et du Roseau de Pascal.

Mandy donc, a eu l’idée de créer une agence d’escortes d’un nouveau genre, un genre qui exploite la sapiosexualité. Elle a décidé d’exciter les neurones plus que certains membres ramolis, elle a décidé de fournir une complicité, un érotisme et une jouissance intellectuelle.

Notre boulot aujourd’hui, c’est de comprendre son client type, c’est de dresser un portrait de l’homme ou de la femme qui préfère copuler avec l’esprit plutôt qu’avec le corps.

Ainsi, toute l’équipe sera retenue toute la semaine pour créer son site, détailler son offre, trouver des partenaires et alimenter un blog. J’espère que vous êtes tous un minimum humide et excité car vous allez devoir explorer cette sexualité intellectuelle, la comprendre et l’exhiber. Affichez votre plaisir et.. donnez envie d’envies ! »

Les rédac’ abordèrent des réactions différentes, certains sourires se formèrent tandis que sur certains visages se dessina de la dérision ainsi qu’une pincée de mépris. La messe fut dite et le silence s’imposa jusqu’au départ du patron qui alla probablement s’enfermer dans la tour de son château au dernier étage. Les langues se délièrent progressivement et ce fut les prémices d’un brainstorming turbulant. L’équipe était composée de quatre hommes et de trois femmes, des demoiselles qui ne manquaient pas de répartie ni de commentaires tandis que les hommes étaient prostrés dans une réflexion intimement liée à leurs expériences sexuelles et à leurs prestations passées.

Satisfaction, désir, patience, mystère, murmure, orgasme, le chat et la souris. Ils élaborèrent avec une facilité déconcertante et un partage peaufiné les notions reliées au sexe, à l’intime, au désir. Sarah, la rédac cult’ évoqua une phrase qui plongea l’assistance en ébullition : « La satisfaction est la mort du désir ».

Une fois les enfants occupés à esquisser leurs pensées sous différentes formes et sur différents supports, Henri se mit en retrait pour profiter et abuser d’un grand fond de pastis qu’il noya d’eau à la fontaine dans le coin de l’open space. En plein songe alimenté d’alcool et de solitude, il perdit son regard sur la baie vitrée donnant sur la forêt de Sophia Antipolis. Zoé fit une brusque apparition et défia le rédacteur en chef d’un sourire charmeur.

« Jeff m’a dit que tu m’avais mis en équipe avec lui pour travailler sur le site. T’es bien au courant que je m’en serais bien mieux sortie avec le blog ? Je ne supporte pas de travailler avec ses développeurs. C’est trop pragmatique pour moi. »

Notre fameux écrivain la détailla du regard pour jauger de son sérieux, il en profita pour estimer la mise en valeur de ses formes avec son accoutrement, peine à abandonner ses hanches et parvint finalement à sonder ses yeux aux prunelles azurées.

« - Ce serait injuste de t’accorder une autre position. J’espère que tu ne vas pas me harceler sexuellement parce que je suis quelqu’un de très vulnérable.

- Toi, vulnérable ? Alllllez, mets-moi sur le blog ou ce qu’on a vécu hier sur le toit deviendra doucement un souvenir qui te fera douter de son authenticité.

- C’est véritablement.. mesquin mais qu’est-ce qui te fait dire que je voudrais réitérer cette.. mémorable expérience ?

- T’es un salaud, Henri. »

L’homme se cacha derrière son gobelet jauni par la bonté du Sud avant d’hausser une épaule. Il faufila une de ses mains sur la hanche de son interlocutrice pour lui souffler quelque chose à l’oreille avant de décamper en se frayant un chemin dans la jungle Openspace, observant distraitement les travaux à peine entamés de ses collaborateurs.

« Si vous avez des questions.. patientez jusqu’à demain. Pour le blog, je veux que Sarah et Matéo se penchent dessus, pensez aux premiers articles et aux lignes directrices pour leur évolution dans l’temps. Je vais m’interroger sur mes rêves et la façon dont ils se sont écroulés en sniffant un peu de coke et en regardant un bon porno. »

Henri fit mouche avec sa touche d’ironie et prit la porte de l’escalier après une fallacieuse courbette chevaleresque.

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