L’humilité 1/5

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Tira se posa à la limite de la forêt de Lilith. Les femmes n’eurent pas à chercher bien longtemps le groupe formé par les smilodons et les hominidés qui avait trouvé refuge dans une grotte. Eoline et la tigresse se précipitèrent dans leur direction, mais la dragonne s’interposa. La jeune femelle fut plus vive que la petite femme et passa entre les pattes de Tira. Azia et Eoline regardèrent la tigresse avec effarement quand elle fut aplatie par une force invisible. Le cri d’horreur d’Eoline déchira le ciel. Elle avança autant qu’elle put pour se rapprocher de son homme. Une barrière invisible lui refusait l’accès, si loin, tellement loin de lui. Ses larmes coulèrent à flots, tandis que la femelle smilodon gémissait de désespoir. Les mâles se traînèrent à l’entrée de la grotte, totalement impuissants.

Wolfgang et Jack sortirent de la forêt en s’approchant d’Azia restée en retrait. Eoline accourut auprès d’eux pour savoir ce qu’il en était. Le fait qu’elle puisse les approcher confirma aux deux sapiens qu’ils n’avaient pas été touchés par les radiations. Wolfgang prit la petite dans ses bras, laissant Azia et Jack à leurs explications. La guérisseuse et le soldat parlèrent longtemps du mal dont souffraient Féréol et les smilodons.

Dans un regain d’espoir, Eoline et Wolfgang étaient allés chasser avec la tigresse. La viande et des fruits furent déposés à la limite invisible posée par l’imprégnation. Les femelles et l’Allemand reculèrent d’autant qu’avançaient Féréol et un des mâles les moins malades, préservant toujours la même distance de sécurité.

Azia prit une décision qui devait changer le cours de sa vie, à jamais. Elle sortit une fiole d’eau solaire et une boite contenant une poudre luminescente.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Jack.

Azia plongea dans des souvenirs lointains, avant de commencer son récit.

— Il y a vingt-cinq cycles, celle que nous nommons Fanchon était une autre femme. Le dragon du père d’Eoline l’a avalée et recrachée.

La surprise qui se lisait sur le visage de Jack arracha un sourire à la guérisseuse.

— Dans ce monde, être avalé par un dragon signifie devenir un Divarvel.

— Tu es en train de me donner le secret de l’immortalité, affirma Jack, qui avait entendu parler des Divarvel depuis qu’il se trouvait dans ce monde. L’immortalité et la perte de mémoire par la même occasion. Je devrais peut-être essayer. Enfin pour la perte de mémoire. Je ne suis pas sûr que j’aimerais être immortel.

— Eh bien moi, c’est l’inverse. Je voulais tellement vivre que j’ai commis l’interdit. Personne ne sait pourquoi, mais les anciens cheveux d’une personne recrachée se transforme en cristal.

— Et ce cristal… ?

— Redonne la jeunesse et la santé à celles et ceux qui la prennent dans de l’eau solaire.

— Tu vas pouvoir sauver Féréol et les smilodons ! s’exclama Jack sans réfléchir.

Son sourire s’effaça vite devant le grand vide qui semblait habiter Azia, en cet instant.

— Mais il y a un mais ? devina-t-il.

— Tu vas devoir aller à Andenken avec Eoline pour m’en rapporter un récipient solaire, acquiesça-t-elle. Il n’est pas sûr que ma petite fiole soit suffisante.

Jack fixa la guérisseuse avec attention. Il savait qu’elle ne disait pas tout. Quel était le prix à payer pour sauver Féréol et les tigres ? Il jeta un œil en direction de la grotte. Eoline se tenait entre elle et eux. Quand il regarda à nouveau Azia, il sut qu’elle avait fait son choix, qu’elle ferait ce qu’il faut.

Le doute se sépara de Jack comme un fardeau que l’on poserait. Il se leva et aboya presque l’ordre de partir à Eoline qui ne s’en formalisa pas. La nuit venait à peine de tomber quand Tira se posa avec délicatesse dans les jardins de la cité des Divarvel.

*

Malgré la pénombre, la somptueuse cité d’Andenken coupa le souffle au sapiens. Jack comprit tout de suite la nature de la femme sentinelle au salut qu’elle fit à Eoline. La petite n’attendit pas d’être auprès des maîtres des lieux pour expliquer sa situation. Elle resta pour s’occuper de sa dragonne. Jack fut conduit aux maîtres guides. La femme-loup qui les avait accueillis lui fit traverser des jardins aux odeurs enivrantes, des pièces grandioses, à l’architecture ouvragée. Autant Cobannos était dépourvue de fioritures, autant Andenken ne laissait aucun espace à la simplicité.

Arrivé à la salle commune, deux sièges trônaient sous une nef fabuleuse, toute recouverte de sculptures. La femme et l’homme assis sur chacun de ces fauteuils le regardèrent avancer avec la même bienveillance qui émanait de Fanchon.

— Demat'dit. Qui que tu sois, l’instant doit être grave pour que le maître de nos sentinelles te laisse nous approcher sans escorte.

— Il est arrivé avec Eoline, répliqua la femme-loup.

À cette simple information, les corps des deux Divarvel se tendirent comme pour mieux entendre.

— Parle, ordonna la Divarvel avec douceur.

Jack expliqua sans attendre tout ce qui s’était passé dans la forêt de Lilith et la raison de sa présence.

— La poudre de vie ne sera pas suffisante pour sauver Féréol et les smilodons.

La femme qui venait de prononcer ces mots et qui glissait dans sa direction était d’une beauté à couper le souffle. Elle s’arrêta à la gauche de Jack qui se sentit électrisé par sa simple présence.

— Demat'dit homme de l’autre monde. Mon nom est Cara.

Les maîtres guides, comme la sentinelle, marquèrent leur stupéfaction provoquant le rire mélodieux de la sublime apparition.

— Azia a demandé que je lui apporte un récipient solaire, se contenta de dire Jack, pour masquer son émoi.

— Et La Folle fait bien. Mais La Folle a beau avoir percé un des secrets de la poudre de vie, son sacrifice ne sera pas suffisant.

— Son sacrifice, répéta Jack. Alors je ne me suis pas trompé. Elle cachait bien quelque chose.

— Oui, souffla la belle Divarvel. Azia était une très, très vieille guérisseuse avant de prendre pour la première fois cette poudre de vie. Ses jours étaient comptés et son temps bientôt écoulé. Aujourd’hui, elle a choisi de laisser la place pour que survive l’imprégnation.

Jack fronça les sourcils d’incompréhension. La femme se tourna vers la sentinelle.

— Va, apporte-lui ce qu’elle a demandé.

L’homme-loup ne discuta pas l’ordre et fila sans attendre.

— Maîtres guides, dit-elle en se tournant vers le couple qui avait écouté sans broncher, excusez mon intervention.

— Ma sœur, tu as été une des maîtresses guides les plus sages de toute l’histoire d’Andenken, commença la femme en se levant, tu n’as pas d’excuses à faire, ni de pardon à recevoir.

La femme alla l’embrasser sur le front. L’homme se leva pour faire de même.

*

Au moment de se coucher, Jack sentit la fatigue l’assommer d’un coup. Eoline le réveilla avant le lever du jour. Cara les attendait aux côtés de Tira. Les vêtements qu’elle portait ressemblaient à ceux des mi-loups. Un autre dragon était arrivé de Cobannos amenant avec lui son dragonnier Vitalis et Djibril. Jack accueillit son ami avec autant de joie que de tristesse. Il ne savait pas pourquoi Fanchon jugeait la présence de l’imam primordiale, et il s’en moquait. Sa simple présence le réconforta. Baldric se joignit à eux. Sa tenue ne laissa à Jack aucun doute sur sa nature d’homme-loup. Il monta sur Tira avec Eoline et Cara, tandis que Jack et Djibril s’installèrent sur Sturm, un dragon d’un bleu Azur guidé par Vitalis. Les deux sapiens mirent à profit le trajet pour se transmettre les dernières nouvelles. Si celles de Jack n’étaient pas réjouissantes, celles de Djibril prêtaient à sourire.

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