L’épreuve 1/4

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Jack était de plus en plus perturbé par sa transformation en femme. Il lui courait des envies lubriques. L’idée de coucher avec d’autres hommes lui avait traversé l’esprit, mais ceux de ce monde voyaient en lui au-delà de l’apparence.

Il n’intéressait pas les homosexuels, nommés les hommes à homme ; ni leurs homologues, les femmes à femme. Son apparence en inadéquation avec sa véritable nature semait un certain trouble dans leurs esprits.

Jack laissa ses mauvaises habitudes prendre le dessus et tenta de forcer l’une des femmes sans se demander quelles seraient les conséquences d’un tel acte de ce côté du passage.

Il se promenait aux abords de la dragonnerie quand il la vit, jeune, frêle, le teint clair. Son sarouel, trop grand pour elle, remonté au-dessus de sa tunique, lui couvrant la poitrine et tenant par une ceinture de cuir, la faisait presque ressembler à une Japonaise. Ses yeux légèrement bridés contribuaient à compléter cette impression.

L’esprit de Jack s’embrouilla pour ne laisser que le mauvais des sapiens prendre toute la place. Pensant que son statut de messager sauveur de ce monde lui donnait tous les droits, il ne fit pas dans la dentelle. Son approche fut directe, presque grossière, sans réelle brutalité, mais à la limite de l’agression. La jeune femme ne chercha pas à fuir, comme l’aurait fait une sapiens. Jack n’eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait ; il se retrouva jeté au sol et battu par une multitude de pieds, de poings, de bâtons, et de tout ce qui était passé à la portée des femmes qui le rouaient de coups. Quand l’une fatiguait, une autre prenait sa place. Il ne fut plus que douleur, avant de perdre connaissance.

Jack se réveilla en plein milieu de la fosse, enchaîné à un piquet. Les membres de la dragonnerie exécutaient leurs tâches comme si l’Américain était invisible, passant parfois si près de lui qu’ils auraient très bien pu lui marcher dessus.

Quand Fanchon et Esteban se plantèrent devant lui, il ne sut comment réagir. Le couple eut un mouvement synchrone et fluide et ils se retrouvèrent assis en tailleur l’un à côté de l’autre. Jack regarda tour à tour, l’homme et la femme. Il revint à Esteban, pensant qu’il allait donner son jugement. Le sourire du géant silencieux le perturba, mais beaucoup moins que d’entendre Fanchon.

— Qu’as-tu appris aujourd’hui, Jack ?

La voix de la femme ne portait aucune colère. Sa douceur et sa bienveillance troublèrent l’homme et firent remonter un souvenir d’enfant enfoui profondément en lui. Le visage de sa grand-mère s’imprima devant lui, son regard et son sourire avaient tout de ceux que Fanchon lui adressait en cet instant. Il se sentit tout petit dans ce grand corps douloureux des blessures occasionnées par la furie subite des femmes de Cobannos.

— Ici, les femmes ont toujours raison, dit-il presque amèrement.

Esteban pouffa. Ses épaules tressautaient et son rire grave et sonore envahit la fosse, se propageant avec écho. Fanchon couva son compagnon de ses yeux lumineux, débordant d’une tendresse infinie. La scène sembla irréelle à Jack qui n’avait jamais vu une telle symbiose entre ses parents. Il leva la tête. Les femmes et les hommes qui déambulaient plus haut étaient paisibles, souriants. Deux femmes portant un panier semblaient peiner, quand un homme arriva à leur niveau et les déchargea de leur fardeau. Les deux femmes partirent en continuant à papoter, suivies par leur porteur. Jack pivota vers la forge, il croisa le regard fixe et pénétrant, mais sans animosité de Féréol. Eoline apparut près de lui. Féréol mit un genou à terre, comme l’aurait fait un chevalier devant sa princesse. La toute petite prit son compagnon dans ses bras. La même tendresse que celle exprimée entre Fanchon et Esteban coulait de chacun de leurs gestes.

— Les femmes sont des êtres précieux qu’il faut respecter et choyer, murmura Jack.

— Je ne l’aurais pas dit comme cela, répondit Fanchon. Nous avons toutes et tous droit d’être respectés. Toutes et tous besoin d’être choyés.

Fanchon laissa quelques minutes s’écouler avant de reprendre.

— Ce que tu as essayé de faire à cette jeune femme est passible de mort dans ce monde.

Jack fut saisi par la douceur de la voix, malgré la brutalité des mots.

— Je ne dirais pas qu’aucune femme n’y a jamais subi de violence ; ce serait mentir. Ce comportement est plus que prohibé. Il est inconcevable. Quand Pandora ou Hawa te feront libérer, ne t’étonne pas si les personnes se comportent avec toi comme si tu n’existais plus. La seule raison pour laquelle tu es toujours en vie vient du fait que tu sois un sapiens. Il t’est accordé le bénéfice du doute.

— Ce n’était quand même pas si grave, dit Jack plus pour se convaincre lui-même.

— Qu’est-ce qui n’était pas si grave ? demanda Fanchon.

Jack plongea son regard dans celui de cette femme étrange. La colère fit rage en lui. Elle bouillonna jusqu’à faire place à un feu qui enveloppa Jack au point qu’il en ressentit réellement la brûlure de ses flammes. Il en prit conscience ; la peur se mit à envahir l’espace laissé par cette haine étrange. Quelque chose n’allait pas chez lui. Cette constatation lui coupa la respiration. Une onde le traversa ramenant le calme et la sérénité. Jack fixa à nouveau Fanchon. L’image de l’Okami sous sa forme de femme-loup lui fut révélée. À ses côtés, Esteban transformé en homme-dragon se tenait droit et imperturbable. Cette vision provoqua un « cloc » dans le crâne de l’Américain. Un battement de paupière effaça tout. Fanchon et Esteban redevenus humain lui souriaient tels deux statues de Bouddha.

Ils restèrent ainsi pendant un moment. Quand les douleurs physiques de Jack disparurent et qu’il s’endormit, le couple se leva sans bruit et partit.

*

Hawa se planta bien droite et se concentra.

— Libérez Jack, faites venir les sapiens, et sonnez le gong de la protection. Que chacun se mette à l’abri, clama-t-elle.

Pandora se dirigea d’un pas vif vers la fosse. Les dragons avaient ressenti les vibrations de la terre. Leur attitude avait alerté les anciens qui firent préparer les bêtes et les dragonniers. Les têtes se tournèrent vers la maîtresse de Cobannos à l’instant même où elle atteignit le bout du promontoire.

— Messagers et veilleurs, prenez votre envol, s’exclama-t-elle de cette voix puissante et froide qui avait vu le jour avec les premières catastrophes.

Le gong retentit à plusieurs reprises, tandis que les six dragons et leurs dragonniers battaient le ciel, suivis par les protecteurs de ce monde. Les hommes-dragon sortirent de toute part, devant les yeux effarés des sapiens, encore loin de s’imaginer de ce qui les attendait.

Si le temps dans le monde caché des dragons pouvait être nommé, un instant fut ce qu’il fallut au peuple de la cité pour se blottir au creux de sa montagne. Toutes les personnes n’y ayant pas leur gîte s’engouffrèrent dans celui de leurs voisins. Pour celles et ceux n’habitant pas près de son flanc, la course pour rejoindre la grotte des maîtres fut rapidement effectuée. Chacun avait apporté de quoi alimenter les feux allumés pour l’occasion dans la grande salle.

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