Djibril 2/3

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Djibril eut droit à la grande visite. Malgré leurs différences, les trois sapiens s’entendirent à merveille. L’histoire de la transformation subie par Jack mit le doute dans l’esprit de l’Arabe. Il lui suffit de se retrouver nez à nez avec un dragon pour faire disparaître toute incrédulité. Pour le coup, sa foi vacilla l’espace d’un instant. Mais ses convictions étaient plus grandes que ses doutes. Son esprit cheminait pour trouver une explication à l’inexplicable.

La curiosité de Djibril, son besoin de tout comprendre, de tout savoir, furent bien accueillis. Mais à peine deux jours après son arrivée, il enchaîna plusieurs maladresses.

La première arriva vite. S’il acceptait qu’une femme dirigeât la cité, il en était tout autrement pour les dragonnières. Il exprimait sans détour l’inconvenance de leurs vêtements. Il remettait en cause leur place au milieu des hommes, notamment celle d’Eoline. Il comprit vite son erreur quand Melchior se planta devant lui. Le père de la jeune femme n’eut pas à prononcer un seul mot pour faire fuir le sapiens.

La deuxième erreur qu’il commit fut quand il chercha une femme pour lui laver son linge. Un mur d’incompréhension s’érigea devant lui. Il fut conduit à une sorte de lavoir creusé à même la roche, autour duquel la majorité des personnes était des hommes. Il tendit son paquet à laver à l’une des deux femmes s’y trouvant avant de vite se raviser. Wolfgang et Jack, qui avaient eu leur part de surprise en constatant que la lessive était une affaire d’homme dans ce monde, avaient bien ri en voyant leur nouvel ami se démener à frotter une tunique qui finit plus sale que propre.

La peur de Djibril de manger du porc entama la patience des hommes et des femmes préparant les repas. Azia vint à son secours. La guérisseuse prit sous son aile cet homme qu’elle trouvait passionnant, malgré ses idées incompréhensibles. À ses côtés, il comprit vite la place de la femme dans ce monde.

Il commit sa dernière erreur en parlant de son dieu. Hommes et femmes se mirent à l’éviter.

Toutefois, Azia tint tête à son compagnon tentant de la soustraire à l’enseignement de celui qui cherchait à la convertir. Il sembla comme une évidence à Djibril que cette femme devienne la mère des croyants au sein de ce nouveau monde. Il n’en fallut pas plus pour le conforter dans son choix lorsque la guérisseuse accepta de porter un foulard, cachant ainsi ses cheveux.

*

Azia n’en démordait pas. Elle était convaincue que son homme devait passer du temps avec ce jeune sapiens qui bousculait le calme qui régnait habituellement dans l’esprit et le cœur de Gobos. Elle avait la sensation que des trois, Djibril n’était venu que pour son vieux forgeron. Elle n’eut aucun mal à obtenir de Hawa de faire accompagner Gobos par le sapiens, quand il dut partir pour chercher des potions à Cautos. N’ayant pas encore rencontré Fanchon, Djibril fut, malgré tout, du voyage.

L’homme à la peau sombre qui ne voulait absolument plus entendre parler d’un quelconque dieu et l’imam qui voulait semer la parole d’Allah, comme le vent portant sa voix au-delà de l’horizon, furent transportés à dos de dragon dans la cité du savoir absolu de ce monde. Cordelia avait accepté d’être la dragonnière, autant que la protectrice du sapiens. Azia lui avait fait promettre de tout lui raconter en détail sur le comportement de son compagnon. Bien que Cordelia n’appréciât pas cet homme prêt à juger et condamner celles et ceux qui étaient différents de lui, elle consentit avec joie à la tâche que lui confia la guérisseuse. Elle avait presque hâte de voir les confrontations permanentes entre les deux hommes.

*

S’il y a des lieux exceptionnels, méritants émerveillement et admiration, Cautos en faisait indubitablement partie. En cet endroit, l’architecture était à nulle autre pareille, tout en courbes, en vagues. La structure des bâtiments avait été modelée pour se confondre avec la nature, au point qu’il était impossible d’en deviner la forme générale. Quel que soit l’endroit d’où on la regardait, elle offrait des surprises, soulevait mille et une questions. Dans cette école, il se croisait toutes les sciences et tous les arts. Tous les corps de métiers y étaient enseignés. Pas une connaissance n’y manquait. L’arrivée de l’imam y fut d’autant mieux accueillie qu’il portait en lui l’une des connaissances les plus étranges que renfermait le monde des sapiens.

Des maîtres en tous genres buvaient les paroles de Djibril et les notaient scrupuleusement dans un livre spécialement confectionné pour elles. L’imam pouvait aisément répandre les dogmes de son dieu et de son prophète, au grand déplaisir de Gobos qui ne savait comment réagir.

Dans la matinée du second jour, Djibril aidait le maître des onguents à préparer leur paquetage pour Cobannos, quand eut lieu le tremblement de terre. L’école n’en souffrit pas, car bâtie avec soin au fil des cycles. Elle était préservée des épreuves qu’imposait la nature notre mère. Si l’école resta debout, il n’en fut pas de même pour les habitations alentour.

Djibril était de tous les bords. Il soulevait les décombres pour en sortir les personnes s’y trouvant prisonnières. Il mit le peu de ses connaissances des premiers secours au service des blessés. Il aida à la distribution de nourriture, allant jusqu’à donner son propre repas.

À genou sur un tapis de fortune, il priait, quand l’impensable se produisit.

Un bloc de pierre immense dévala la colline qui surplombait le campement des soins, avançant inexorablement vers un groupe d’enfants. Chaque pas qu’ils faisaient pour y échapper semblait dévier la course du projectile dans leur direction. Mu par un instinct incompréhensible, Djibril se campa volontairement entre les enfants et l’éboulement. Il fit face au bloc et tendit la paume de sa main comme pour lui ordonner de s’arrêter. Au lieu de l’écraser, le rocher explosa à moins d’un pas de lui. Un halo de lumière entoura le sapiens quelques instants, avant de disparaître.

Djibril, lui-même, n’avait pas vraiment compris son geste. L’hébétude pouvait se lire dans ses yeux. Il resta quelques secondes à regarder dans le vide, avant de s’évanouir.

À son réveil, Cordelia avait couvert sa tête d’un foulard, cachant l’intégralité de ses cheveux. La dragonnière, encore sous le choc de l’événement, souhaitait ainsi remercier cet homme venu d’ailleurs qu’elle avait si mal jugé. D’autres femmes firent de même, sans forcément comprendre la portée que ce geste avait pour l’imam.

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