Wolfgang 1/3

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Wolfgang tournait son idée dans tous les sens en s’approchant de l’enclos des loups. Aujourd’hui, le vieux mâle allait être isolé de la meute. L’homme savait que seul, loin des autres loups, son ami se laisserait mourir.

Le directeur du parc animalier n’en démordait pas. L’ancien devait quitter l’enclos. Un autre couple avait pris la place de dominant. Le nouveau mâle alpha arrivé d’un autre parc depuis quelques semaines se montrait hargneux envers Groß Grau. Sa femelle était morte le mois dernier. On avait jugé le moment opportun pour apporter du sang nouveau. König voulait régner en maître sur la meute, au point où certains mâles n’ayant pas réussi à s’entendre avec lui avaient dû être envoyés dans d’autres lieux. Groß Grau n’avait pas d’avenir loin de sa meute. Jamais il ne serait accepté dans une autre. Il se faisait tout petit devant le nouveau dominant, mais cela n’avait pas suffi au directeur qui trouvait l’image peu réjouissante vis-à-vis du public. Le cœur de Wolfgang se serra devant la cage de son vieil ami.

La première fois qu’il avait croisé son regard, c’était à l’infirmerie animalière. Sa mère avait mis bas une portée trop grande. Elle n’avait pu nourrir tous ses louveteaux. Deux d’entre eux moururent dès le premier jour. Groß Grau avait été récupéré en piteux état. Le grand-père de Wolfgang travaillait aux soins des loups. Il transmit sa passion à son petit-fils qui attendait toujours la fin des cours avec impatience pour rejoindre son ami le loup, au point que les humains lui étaient presque devenus étrangers.

*

Je sais ce que les humains vont faire. Mon frère m’en a parlé. Je sens la peine qui habite son corps. Je ne peux rien pour lui. Je comprends que je vais vivre seul. Je suis moins triste que1/ mon frère. Je sais qu’il est là pour moi. Maintenant et toujours.

Quand Wolfgang entre dans ma cage, je me lève et m’approche de lui doucement. Les autres humains ne sont pas un danger. Ils sont juste différents. Je me méfie de leurs peurs. Je suis mon frère. J’entre dans la boîte. Les humains me portent loin de ma meute. Si loin que je ne sens plus son odeur. Mon nouvel espace est petit. Pas un brin d’herbe pour être mon ami. Mon frère entre par la porte des humains. Il s’accroupit et me murmure des mots tendres. Sa compassion m’emplit de paix. Il me dit qu’il trouvera un moyen de me faire sortir de là. Il n’est pas un mâle premier, mais il est le mien. Je vais attendre le jour de ma liberté.

Je sens une odeur inconnue. Mon frère la sent aussi. Il sort de mon nouvel espace. L’un des humains ferme la porte pour que je ne sorte pas. Ils partent. Ils me laissent seul avec mon frère.

Il cherche l’odeur. Il va dans une tanière pour humains. Je sens que mon frère n’est plus ici.

*

Wolfgang ouvrit la porte du local technique sans comprendre d’où pouvait provenir cette odeur bizarre. Il appuya sur l’interrupteur sans résultat. Il franchit le seuil et entra…

…de l’autre côté.

*

Il fit quelques pas avant de constater la disparition de l’entrée du local. La pénombre l’entourait. Il avançait calmement, pas après pas. Il les vit à quelques mètres de lui.

Elle, à la fois immense et pulpeuse, toute recouverte de fourrure gris clair, plus ou moins épaisse suivant les endroits. Ses oreilles de louve dépassaient d’une toison aux reflets bleus, verts, violets. Sa queue lui faisant comme une traîne sortait d’un sarouel ouvert sur les côtés extérieurs et intérieurs des jambes. La tunique poncho légère et multicolore dévoilait son ventre au pelage presque blanc. Ses pieds nus n’étaient pas vraiment des pieds sans être toutefois des pattes. Ses mains longues et fines semblaient finir en griffes.

Lui, dépassant d’une bonne tête sa femelle, avait tout du dragon. De la couleur grisâtre, aux ailes gigantesques, à la gueule quelque peu aplatie, sans oublier la queue qui sortait également d’un sarouel identique à celui de la louve. Une tunique en toile crème lui moulait le torse.

Wolfgang ne sut pourquoi, à ce moment-là, il eut le sentiment d’être arrivé chez lui. Il inspira profondément, s’enivrant de l’odeur de la forêt qui se dévoila, peu à peu, à ses yeux s’accommodant très bien au manque de lumière.

— Je dois retourner chercher mon ami, chuchota-t-il.

— Le moment venu, le passeur ouvrira le portail pour toi et ton frère loup, répondit la femme-loup dans un filet de voix si fin, qu’elle aurait bien pu n’avoir rien dit. Pour l’instant, il est plus en sécurité dans sa cage qu’ici. Ne t’inquiète pas pour lui, il se sera passé un instant, à peine quelques jours quand tu le reverras.

Le couple changea progressivement d’apparence devant un Wolfgang aussi médusé qu’ébahi.

— Demat’dit frère de l’autre monde. Mon nom est Esteban, dit l’homme avec douceur.

— Demat’dit frère, dit à son tour la femme. Mon nom est Fanchon.

Elle lui tendit la main droite. Wolfgang s’apprêta à la lui serrer, mais contre toute attente, Fanchon lui prit l’avant-bras droit et posa sa main gauche son l’épaule droite du jeune homme.

— Quand quelqu’un te saluera de cette façon, alors tu sauras qu’il est l’un de tes frères, expliqua Esteban. Tu sauras qu’il est un mi-loup.

Le couple sourit avec bienveillance à ce jeune homme d’à peine vingt ans et dont les yeux s’illuminaient de compréhension. Il ne savait pas encore s’il devait en éprouver de la joie, mais aucune peur ne vint habiter son esprit. Des larmes commençaient à perler. Fanchon lâcha l’avant-bras de Wolfgang et tendit la paume en dessous de son menton. Les larmes se mirent à briller. Elles glissèrent de ses joues pour finir au creux de la main de la femme qui les transforma en une perle d’un vert sombre aux reflets roux. Elle prit la main gauche du jeune homme et l’y plaça.

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