Chapitre 34

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Ambre frissonne de la tête aux pieds. Sans comprendre pourquoi, la peur s’immisce dans tous les pores de sa peau, se déverse en flux continue dans ses veines, jusqu’à son cœur qui tambourine dans sa poitrine.

- Qui êtes-vous ? demande-t-elle d’un ton calme qui la surprend elle-même.

- Une vieille connaissance.

L’homme s’avance un peu plus dans la pièce. Le néon au-dessus de leur tête diffuse une froide lumière blanche. Une baisse de tension le fait clignoter. Ambre regarde la porte derrière l’intru, trop loin pour fuir. Sérieux ?! On dirait vraiment un mauvais film d’horreur, sauf que là ça devient un peu trop réaliste à mon goût. Mine de rien, elle se penche pour récupérer la chaise à ses pieds et la place innocemment devant elle en guise de protection. Elle sait que c’est ridicule et que s’il veut l’attaquer cela ne lui servira à rien, mais elle se sent plus en sécurité avec une barrière entre eux. Avec nonchalance, l’homme s’arrête, les mains dans les poches et observe la pièce. Il s’avance vers l’établi et passe un doigt sur le bois usé, traçant un sillon dans la sciure laissée après le travail de Noah.

- Alors c’est ça qu’il fait depuis tout ce temps… dit-il tout bas, pour lui-même.

Il lève le regard et aperçoit le sac de frappe usé dans le fond de l’atelier. Un sourire se dessine sur ses lèvres et il se retourne vers Ambre.

- Apparemment, il a besoin d’évacuer le petit. Serait-il tourmenté par des regrets ?

Ambre ouvre la bouche, mais ne trouve rien à répondre. Elle ne comprend pas qui se tient en face d’elle, ni comment il connaît Noah, et surtout ce qu’il cherche en venant ici. Elle se doute qu’ils se sont rencontrés dans sa vie passée, à la réserve. Et c’est ce qui l’inquiète. Elle n’a pas tous les éléments en sa possession pour gérer cette situation. Il faut qu’elle sorte d’ici et qu’elle prévienne Noah. Lui saura quoi faire. Elle s’empare de la chaise et se dirige d’un pas assuré vers la porte. Au dernier moment, l’homme lui bloque le passage.

- Où est-ce que tu vas ma jolie ? On n’a même pas discuté tous les deux.

- Pardon, mais je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous voulez et j’ai du travail. Donc sortez de chez moi et laissez-moi passer.

- Je dois dire que je suis déçu. On m’a dit qu’il avait trouvé une fille avec du caractère et du répondant, mais tu me fais plutôt penser à un petit chaton terrorisé.

La colère se mêle à la peur. Ambre respire de plus en plus difficilement. Tout ce qu’elle veut, c’est rejoindre les autres au plus vite. Elle pose avec force la chaise au sol et porte les mains à ses hanches.

- Le petit chaton terrorisé t’emmerde profondément, d’accord. Alors maintenant, pousse-toi de là et laisse-moi passer. Et d’ailleurs, tu me dois vingt dollars.

Le sourire arrogant de l’homme s’agrandit, dévoilant des dents jaunes qui font grimacer Ambre de dégoût.

- Ah je préfère ça… (il penche la tête sur le côté). Pourquoi vingt dollars ?

- Parce que tu n’as pas payé ta place pour le concert de ce soir et qu’ici ce n’est pas un open bar.

La jeune femme croise les bras sur sa poitrine, les pieds bien ancrés au sol, dans une posture qu’elle espère sûre d’elle. La réaction de l’homme la surprend. Il éclate de rire en rejetant la tête en arrière, dans un son roque et redevient sérieux en quelques secondes. Il la toise de toute sa hauteur, ne la quittant pas des yeux.

- Je n’ai pas d’argent sur moi… mais on pourrait trouver un arrangement…

- Je n’ai pas de temps à perdre avec des conneries, alors laisse-moi passer.

L’homme ne semble pas décidé à bouger. Il a l’air de prendre beaucoup de plaisir dans cette situation.

- J’avoue qu’en venant ici, je ne m’attendais pas à ça. Je suis même impressionné. Il a l’air de très bien s’en être sorti. Un métier, une belle maison, une femme sublime… A croire que ce qu’il a fait ne l’a pas tellement impacté… Quoi que, le sac de frappe tend à prouver le contraire.

- Bon, je commence à perdre patience là. Soit, tu me dis qui tu es et ce que tu veux, soit…

- Soit quoi ma jolie ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

L’intru sourit de toutes ses dents. Ambre est vraiment de plus en plus mal à l’aise. Elle sent que la situation lui échappe. La peur lui prend de plus en plus à la gorge. Il fait un pas vers elle. Instinctivement elle recule pour laisser le plus d’espace entre eux. Il recommence et elle s’éloigne encore. Un courtant d’air venant de l’extérieur lui fait parvenir l’odeur de l’homme, un mélange d’alcool fort et de cigarette froide qui lui donne envie de vomir. Tout chez lui la rend malade. Son visage dur et marqué le fait paraître beaucoup plus âgé. En le voyant de près et sous la lumière, il ne doit pas avoir plus de trente ans. Plus elle recule, plus la lueur dangereuse dans les yeux de cet homme devient intense. Des frissons viennent parcourir tout le corps d’Ambre quand elle comprend qu’elle est coincée entre lui et le mur. La panique la gagne alors qu’elle essaye de trouver une solution. Son portable est resté à la fête. Pourquoi il faut toujours qu’elle se retrouve dans des situations impossibles ?

- Tu as l’air bien pressée de partir… pourtant, je suis sûr qu’on pourrait s’amuser toi et moi…

Le sourire carnassier et le sous-entendu explicite clouent Ambre sur place. Elle n’ose plus bouger, même respirer lui semble douloureux. L’intru s’approche encore plus près, si bien qu’ils ne sont plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Dans la panique, Ambre recule et sent le mur dans son dos. C’est à ce moment précis qu’elle se demande où est passée sa chaise. Elle ne s’est pas rendu compte l’avoir posée. Résultat, elle se retrouve sans défenses. Bravo Ambre, quel esprit de survie ?! Elle en soupirerait presque d’exaspération, si la peur de ce qui peut lui arriver face à ce tordu ne prenait pas le pas sur tout le reste. Elle n’entend plus que les battements effrénés de son cœur, comme si les autres sons autour avaient été coupés. Elle ne sait pas depuis combien de temps elle se trouve à l’atelier. Elle a l’impression que ça fait une éternité, mais en même temps, elle est à peu près sûre qu’il ne s’est écoulé que quelques minutes. Ambre se souvient d’un article qu’elle avait lu sur le sujet, comme quoi le temps n’existait pas et dépendait de pleins de facteurs. Mais pourquoi je pense à ça, maintenant ?! J’ai vraiment un problème de priorités ! La sensation que son t-shirt est tiré de son pantalon la sort de ses réflexions. Le retour sur terre est brutal. Elle sent la main de l’homme effleurer son ventre. Il se penche vers elle pour sentir son cou. Ambre ne sait pas comment elle se retient de vomir. Son cerveau passe en pilote automatique. La seule pensée cohérente qui lui vient à l’esprit est qu’il faut qu’elle se tire d’ici, sinon elle va se faire agresser. Dans un état second, elle s’approche de l’inconnu, pose ses mains sur ses épaules. Pensant qu’elle est réceptive à son contact, il se penche un peu plus en avant. Elle s’appui de toute ses forces sur lui et lance son genou en l’air. Il vient rencontrer avec violence son entrejambe. L’homme pousse un cri de douleur en se pliant en deux. Ambre se précipite vers la porte à toute allure et s’élance dans la nuit. Sa progression est immédiatement stoppée. Elle heurte de plein fouet une surface dure, lui faisant perdre l’équilibre. Elle est sur le point de hurler, quand elle sent deux mains la retenir et la remettre debout. Une odeur sucrée de bois coupé, mélangée à celle enivrante d’une pluie d’été vient détendre tous ses muscles. Elle se jette dans les bras de Noah et le serre de toutes ses forces.

- Dieu merci tu es là !

- Oh là, doucement ma belle, tu m’écrases ! Qu’est-ce qui t’arrive, tu mets bien du temps pour une chaise ? Eh ! Qu’est-ce que tu as mon cœur ? Pourquoi tu pleures ?

Ambre ne remarque qu’à cet instant que les larmes dévalent ses joues. Elle s’écarte de Noah et s’essuie les yeux d’un revers de main. Elle doit ressembler à un panda maintenant. L’ébéniste la regarde d’un air inquiet, attendant une explication. La jeune femme ouvre la bouche, mais n’a pas le temps de parler. Le visage de Noah perd toutes ses couleurs. Ses yeux deviennent presque noirs et tout son corps se fige. On dirait une statue. Une statue dont toute l’attention est focalisée sur l’homme dans la pièce derrière elle. Ambre trésaille de douleur. Il est tellement concentré sur l’inconnu, qu’il n’a pas fait attention qu’il la tenait toujours par les bras. Ses mains s’enfoncent dans sa peau et lui broient les os.

- Noah… appelle-t-elle d’une voix douce pour attirer son attention.

Son amoureux n’a aucune réaction. Elle ne peut pas voir ce que fait l’inconnu, puisqu’elle lui tourne le dos, mais la crispation de Noah s’intensifie, lui arrachant un cri de douleur. Elle relève la tête vers lui pour voir son visage. Ce qu’elle voit dans ses yeux la terrifie. Ses expressions sont déformées par la rage et la colère, si bien qu’elle a du mal à le reconnaître. De nouvelles larmes viennent se mêler à celles qui étaient en train de sécher.

- Noah… s’il te plait… tu me fais mal, articule-t-elle péniblement.

La détresse dans sa voix a le mérite de lui faire baisser la tête. En la voyant, il écarquille les yeux d’incompréhension et la relâche, comme si sa peau l’avait brulé. Il ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Une tempête d’émotions à l’air de faire rage dans son esprit.

- Tiens, tiens, tiens, mais qui nous fait le plaisir de se joindre à nous ?

Le grognement qu’émet Noah n’a rien d’humain. Ambre ne l’a jamais vu ainsi. Qu’est-ce que cet homme peut-il bien représenté pour le mettre dans un tel état ?

- Tu n’as pas l’air de vouloir partager. Pourtant, ça ne te dérangeait pas avant.

Noah prend une inspiration saccadée. Ses mains tremblent contre ses flans et la veine sur son front n’a jamais été aussi proéminente.

- Je dois dire que je ne te reconnais pas. A croire que d’être un putain de lâche, ça t’a ramolli les couilles.

Ambre écarquille les yeux. En deux secondes, Noah la pousse sur le côté sans ménagement pour l’écarter de son chemin et se jette sur l’intru. Elle perd l’équilibre et tombe lourdement au sol. Une vive douleur s’empare de son coccyx et remonte dans son dos. Ses mains lui brulent, tout comme son coude, mais son attention est accaparée par la scène qui se joue devant ses yeux.

Noah a empoigné l’intru par le col de son t-shirt et le plaque contre le mur de l’atelier. Au lieu d’avoir peur, son adversaire rit aux éclats. Le peu de retenue qu’avait gardé Noah s’envole dans la seconde. Son poing vient percuter avec violence la mâchoire de l’intru, tordant son visage de douleur. Du sang se met à couler le long de son menton.

- C’est tout ce que tu trouves à faire ? Après tout ce temps. Tu es qu’une merde Noah, tu l’as toujours été !

Noah pousse un grognement et prend son élan pour le frapper à nouveau, mais cette fois-ci l’autre anticipe et se décale au dernier moment. Profitant de ce moment de faiblesse, il donne un violent coup dans l’estomac de l’ébéniste. Noah se plie en deux, le souffle coupé. Ambre plaque ses mains devant sa bouche.

- Tu t’es toujours cru supérieur, nous regardant de haut avec tes grands principes et ta morale, mais regarde toi, tu ne vaux pas mieux que nous.

- Comment oses-tu te pointer ici Zachary ? grogne Noah

- Je voulais voir comment tu t’en sortais dans la vie, après tout ça. C’est toi qui aurait dû être à sa place ! C’est ce que j’avais espéré s’il devait arriver quelque chose. Mais non, il a fallu que tu fasses tout foirer. Il ne méritait pas ça, pas lui ! Alors que toi, la loyauté tu ne connais pas.

Il accompagne sa phrase d’un crochet que Noah ne peut éviter. Il recule de quelques pas sous la violence du choc et porte la main à son nez. Du sang vient tacher ses doigts. Profitant de son avantage Zachary assène plusieurs coups à l’ébéniste, visant en priorité son visage ou son ventre. Ambre sort de son état de choc en voyant s’écraser au sol des gouttelettes rouges. Elle se relève péniblement et leur cri d’arrêter. Elle appelle Noah, mais il ne l’entend pas. Elle n’ose pas s’approcher trop près pour ne pas se prendre un mauvais coup.

- En tout cas, tu as trouvé une belle pute pour passer tes nuits et oublier ce que tu as fait ! raille Zachary.

C’est à ce moment que tout dérape. Noah hurle et se jette sur son adverse. Il lui fait perdre l’équilibre et il tombe lourdement au sol dans un bruit sourd. Une plainte de douleur remonte le long de sa gorge, mais le métis ne lui laisse pas le temps de l’exprimer. Il se place à genoux au-dessus de lui, les jambes de part et d’autre de son corps.

- C’est toi le lâche ! C’est toi qui aurait dû être à sa place !

Noah s’acharne sur Zachary, lui donnant coup sur coup, ne visant pas ses frappes. Il est pris d’une frénésie de violence que rien ne peut arrêter. Seul l’impact et le sang qui coule semblent lui donner satisfaction.

- Noah ! essaye de le stopper Ambre en se cassant la voix. Arrête !

Sans succès, l’ébéniste continue, rencontrant de moins en moins de résistance de la part de son adversaire, dont les plaintes se font de plus en plus désespérées.

- Tout ce qui est arrivé est de ta faute ! S’il ne t’avait pas rencontré, si tu ne l’avais pas enrôlé dans tes conneries, il… (sa voix se brise). Oui je l’ai abandonné, mais tu l’as laissé dans la merde ! Tu l’as laissé tout seul, putain ! Alors que tu étais présent ce jour-là ! C’est toi l’enfoiré de lâche qui a provoqué tout ça et tu n’as même pas eu les couilles de faire quoi que ce soit pour l’aider !

Noah s’acharne encore et encore sur un Zachary de plus en plus mal en point. La rage et la douleur a pris le pas sur tout le reste. Ambre a beau l’appeler il ne l’entend pas. Sauf que la jeune femme voit bien que l’homme en dessus est en train de perdre connaissance. Si elle ne fait rien, le pire peut se produire. Elle s’approche de Noah en l’appelant et essaye de retenir son bras. Elle n’a pas bien coordonné leurs mouvements, et alors qu’elle se penche, le coude de Noah rencontre son menton. Une vive douleur l’assaille, lui faisant perdre la vue et la notion du temps pendant quelques secondes.

C’est à ce moment-là, qu’elle perçoit du bruit derrière elle.

- Putain Noah, arrête ! Tu vas le tuer ! s’écrit Gabriel en accourant vers lui, suivi de tout le groupe.

Ils sont obligés de se mettre à trois, avec Logan et Alexis, pour stopper la folie de l’ébéniste. Ils le ceinturent et l’éloigne du corps inerte de Zachary. Salomé accourt auprès de lui pour vérifier son état et lui prodiguer les premiers soins. Ambre, elle, est dans un état second. Elle a l’impression de flotter, ne sachant pas trop ce qui se passe. Tout ce qu’elle voit, c’est le sang qui macule le sol de l’atelier et les yeux de Noah pendant sa folie. Ils n’étaient plus verts et lumineux, rieur ou joueur. Ils étaient noirs, durs et dérangeants. Elle a l’impression d’avoir rêvé ce qui vient de se passer. Elle sent qu’on la tire en arrière. On la fait s’assoir sur les marches de la terrasse. Quelques secondes plus tard, on lui recouvre les épaules d’un plaid moelleux. Elle ne s’était pas aperçue qu’elle avait aussi froid et qu’elle tremblait autant. Il lui semble que Lila lui parle d’une voix douce et rassurante, mais son cerveau n’arrive pas à se concentrer sur le sens de ses paroles. Elle fixe la nuit devant elle, se repassant le film de ce qui vient de se passer, inlassablement.

- Ambre, s’il te plait, répond ! lui ordonne Lila.

Elle tourne la tête vers elle et la fixe sans vraiment comprendre, puis comme si les mécanismes de son cerveau s’étaient remis à fonctionner, elle reprend petit à petit pied sur la réalité.

- Est-ce que tu es blessée ? lui demande Léo assis à côté d’elle.

- Non, non je vais bien.

Face au regard dubitatifs et inquiets de ses amis, elle baisse les yeux. Ses mains et son coude sont écorchés et une douleur sourde se réveille d’un coup quand elle touche son visage.

- Ce n’est rien, que des égratignures, essaye-t-elle de les rassurer. Où est Noah ?

Elle regarde autour d’elle mais ne le voit pas. Puis elle aperçoit sa silhouette dans la pénombre, encore entouré des garçons. Gabriel lui parle, énergiquement, sûrement pour lui faire entendre raison. Du mouvement sur sa droite lui fait tourner la tête. Zachary sort de l’atelier, soutenu par Raphaël et Salomé. Il ne tient presque plus debout. Son visage est gonflé et maculé de sang. En le voyant, Ambre réprime un haut le cœur. D’imaginer que c’est Noah qui lui a fait ça la rend malade. Ce dernier, en le voyant, essaye de l’atteindre de nouveau, mais Gabriel est plus rapide et le retient.

- Stop Noah ! Arrête tes conneries ! Ça suffit !

- Faites-le dégager de là, putain ! s’écrit Logan qui peine lui aussi à retenir l’ébéniste.

Léo se lève et va aider Raphaël à amener l’intru jusqu’à sa voiture. Juste avant de disparaître sur le chemin, Zachary se retourne le sourire aux lèvres et s’adresse à Noah.

- Tu vois, ta vraie nature ressors toujours. On sait tous les deux que cette vie pseudo parfaite n’est pas pour toi. Tu n’as pas ta place ici. Tu l’avais avec nous, mais tu l’as gâchée.

Noah gronde et les garçons raffermissent leur prise sur lui. Zachary se tourne ensuite vers Ambre et lui fait un clin d’œil.

- A très vite ma jolie ! J’ai été ravis de faire ta connaissance.

- Je t’interdis de lui parler ou même de la regarder. Tu m’entends Zach ! Sinon je te bute ! Je te promets, tu lui adresses encore la parole une fois et je te tue !

***

Lila s’est occupée de clôturer la soirée, avec l’aide d’Elma et de Léo, pour que personne ne se doute de l’incident. Bon, les cris d’Ambre ont été entendu par tous. C’est d’ailleurs ce qui a alerté le groupe d’amis. Heureusement que les garçons été là, parce que Ambre ne sait pas comment elle aurait réussi à arrêter son compagnon. Ils sont d’ailleurs toujours au côté de Noah qui n’arrive pas à se calmer. Il est dans un état second. Méconnaissable. De ce qu’elle a compris, il a explosé son sac de frappe, le rendant inutilisable tellement il s’est acharné dessus.

Ambre est assise sur le canapé. Elle tient dans les mains une tasse de tisane chaude. Soi-disant que ça doit l’aider à se détendre et à faire passer ses tremblements. Elle est épuisée et a encore du mal à comprendre ce qui s’est passé. Elle se repasse les évènements de la soirée pour essayer de trouver un élément qui expliquerait tout. Tout était parfait pourtant. Les gens s’amusaient, le concert était un succès, Noah était en forme, taquin et attentionné. Et puis l’arrivée de ce Zachary a tout détruit. Elle ne sait toujours pas qui il est. Elle n’en a jamais entendu parler. Son nom n’a jamais été évoqué dans aucune des conversations qu’elle a eu avec Noah ou même avec son père. Rien que de repenser à son regard et à sa main sur son ventre lui donne envie de vomir. Elle est vraiment passée à deux doigts de la catastrophe. Et puis ensuite, vient la réaction de Noah. Elle n’aurait jamais cru possible qu’une telle fureur pouvait s’emparer de lui. Elle a eu l’impression d’avoir un inconnu en face d’elle. Il était totalement hors de contrôle. Pour la première fois depuis qu’elle le connaît, elle a réellement eu peur de lui. Instinctivement, elle porte la main à son visage et grimace de douleur.

- Ne touche pas, ça va empirer les choses. Tiens, lui dit Salomé en lui tendant une poche de petits poids congelés enroulé dans un torchon.

- Merci.

Ambre l’applique sur sa joue et soupire.

- Ça va ? Tu tiens le coup ?

Elle hoche la tête, les yeux perdus dans le vide.

- Quelle soirée, dit la jeune médecin pour elle-même.

Ambre remonte les jambes sous elle et se cale contre les coussins moelleux. Dehors, des voix se font entendre, de plus en plus proches. Elles semblent agitées.

- Noah arrête ! Elle va bien, putain. Calme-toi !

- Tu vas lui faire peur si tu déboule comme ça.

La porte de la maison s’ouvre d’un coup et vient taper contre le mur avec fracas. Ambre sursaute et se tourne vers la droite. Noah arrive presque en courant. Il est méconnaissable. Son t-shirt blanc est couvert de tâches, certaines d’un rouge vif inquiétant. Ses cheveux sont en bataille, ses vêtements froissés. Ambre retient son souffle quand elle le voit de plus près. Sa lèvre est fendue et du sang perle en son coin. Sa pommette gauche comporte une belle entaille. Son nez est enflé. Des marques sombres sont apparues un peu partout sur son visage, notamment sous son œil droit qui ne s’ouvre pas en entier.

Il s’assoit à côté d’elle sur le canapé et prend son visage dans ses mains.

- Ambre est-ce que tu vas bien ?

Sa voix est roque et pressante. La panique est clairement en train de prendre le pas sur le peu de contrôle que l’ébéniste semble avoir retrouvé.

- Est-ce qu’il t’a fait du mal ? Dis-moi ? Est-ce qu’il t’a blessé ou touché ?

- Non, non. Noah calme toi, tout va bien. Je vais bien.

Le jeune homme souffle de soulagement. Ses yeux ont l’air un peu plus apaisés et proches de retrouver leur couleur d’origine.

- Je suis vraiment désolé, enchaîne-t-il. Il n’aurait jamais dû venir ici… Il…

- Noah, ce n’est pas grave. Tout va bien. Il est parti.

- Il n’aurait pas dû venir ici, répète le métis plus sèchement.

- C’était qui ? demande Ambre pour obtenir enfin des réponses.

Noah se détourne et enfouie ses mains dans ses cheveux qu’il tire avec force. Il pose ses coudes sur ses genoux. Un long silence qui s’éternise renforce le sentiment de malaise dans la pièce. Ambre lève les yeux sur les garçons qui sont restés à l’entrée de la pièce. Salomé se lève et va les rejoindre.

- On va les laisser tranquille, dit-elle en poussant tout le monde dehors. On n’est pas loin si jamais, ajoute-t-elle à l’intention d’Ambre.

Elle les remercie silencieusement. Peut-être que s’ils se retrouvent tous les deux, il va enfin lui expliquer tout ce que ce cirque signifie. La jeune femme pose sa main sur le bras de Noah pour attirer son attention.

- C’est qui ce Zachary ? Qu’est-ce qu’il venait faire ici ?

- Une personne que j’aurais aimé que tu ne rencontre jamais.

- Ça ne répond pas à ma question, l’encourage Ambre d’une voix douce.

- C’est en partie lui qui a foutu ma vie en l’air.

- Comment ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Cette nuit-là, c’est lui qui devait y aller, c’est lui qui devait le faire, mais ce lâche a changé d’avis au dernier moment. Je leur avais dit que c’était une mauvaise idée. Je leur avais dit que c’était trop risqué. J’aurais dû être avec eux… Putain, j’aurais pu éviter ce qui s’est passé, mais je ne voulais plus être mêlé à leurs histoires. Je voulais enfin vivre ma vie. Je n’ai pas été assez rapide pour l’éviter et cet enculé de Zachary a fui ! Il l’a laissé tout seul, putain ! Il aurait pu l’aider, mais il l’a abandonné.

- De quoi tu parles ? Il y a eu un accident ? Et qui a-t-il abandonné ?

Noah ne semble pas l’écouter, perdu dans ses souvenirs.

- S’il n’était pas apparu dans nos vies, rien de tout cela ne serait arrivé. J’aurais encore ma place à la réserve, je n’aurais pas coupé les ponts avec ma mère, je ne serais pas le connard que je suis devenu…

- Eh, tu n’as rien d’un connard. Noah, tu es quelqu’un d’extraordinaire.

Ambre pose les mains sur la cuisse de l’ébéniste. Il baisse la tête et se fige. Elle suit son regard et ses yeux viennent se poser sur ses mains écorchées. Elle les retire précipitamment, mais elle n’est pas assez rapide. Noah s’en empare et les retourne. Elle remarque que les siennes sont dans un état bien pire que les siennes, maculées de sang séché et enflées.

- C’est lui qui t’a fait ça ? demande-t-il d’une voix dure.

- Non, non. Je te l’ai dit, il ne m’a rien fait. Il ne m’a rien fait à part me terroriser.

- Alors pourquoi tu es blessée ?

Ambre ne veut pas aller sur ce terrain avec lui. Pas ce soir. Pas alors qu’il est sur un fil et que ses nerfs peuvent craquer à tout moment. Il va se sentir responsable et coupable, elle le connaît.

- Je ne suis pas blessée, je me suis juste égratignée en tombant. Tu sais comment je peux être maladroite. Ce n’est rien, je t’assure.

Noah la sonde du regard, puis reporte son attention sur ses mains. Il remarque le sang séché sur ses coudes et fronce les sourcils.

- Ça va Noah. Je te promets.

- Quand est-ce que tu es tombée ?

- Euh… en sortant de l’atelier…

- Ambre, tu n’as jamais su mentir. Et j’étais là je te rappelle, je t’ai vu sortir et tu n’es pas tombée.

- Je ne me souviens plus. Tout s’est passé super vite.

Noah la fixe un long moment sans rien dire, avant d’hocher la tête. Intérieurement, la jeune femme fait la danse de la joie. Pour une fois qu’elle arrive à lui cacher quelque chose. Il fronce les sourcils et prend délicatement son menton dans les mains pour tourner son visage d’un côté. Et merde, j’ai crié victoire trop vite…

- C’est quoi ça ?

- Ce n’est rien. Est-ce qu’on pourrait aller se coucher s’il te plait. La soirée a été longue et éprouvante et j’aimerais juste passer à autre chose.

- Pas avant que tu ne m’ais dit ce qui s’est réellement passé dans ce putain d’atelier ?!

Noah commence à hausser le ton. Ce n’est pas bon signe, il est en train de perdre patience.

- Ne me cris pas dessus, dit-elle d’un ton ferme mais calme. Il ne s’est rien passé qui vaille que tu te mettes dans cet état. Je vais bien, point. Ça devrait te suffire.

- Non. Ça ne me suffit pas ! Je déteste quand tu me caches des choses.

- Ah c’est la meilleure ça ! Tu ne te foutrais pas un peu de ma gueule là ?!

Ils se regardent en chiens de faïence un moment. Ambre prend sur elle pour se calmer. Il faut qu’elle apaise la situation, sinon elle va dégénérer. Et visiblement, Noah n’est pas en état de le faire. Elle lui sourit en lui caressant la mâchoire du bout des doigts de peur de lui faire mal. Il ferme les yeux à son contact.

- Je suis tombée et j’ai pris un mauvais coup dans le feu de l’action, ce n’est rien. Je vais bien.

- Quoi ?! dit-il en ouvrant soudainement les yeux.

Merde, qu’est-ce que j’ai dit ?

- Dans le feu de l’action ? C’est moi qui t’es fait ça ?

- Non, non, ne t’inquiètes pas. Tu ne l’as pas fait exprès, s’empresse de dire Ambre.

- Donc c’est bien moi, affirme l’ébéniste d’une voix blanche.

Ambre n’entend plus que son cœur qui tambourine dans sa poitrine. Elle tend le bras pour atteindre son amoureux et le plaid glisse de ses épaules, dévoilant ses bras nus. Elle le remonte en vitesse mais le regard de Noah change instantanément. Elle sait qu’il les a vu et qu’il a compris. Plus aucune émotion ne transparaît sur son visage. Il se lève lentement et s’apprête à partir, mais se retourne pour la regarder. La jeune femme retient sa respiration. Son regard vert la transperce.

- Noah…

Il ferme les yeux, puis se retourne et monte l’escalier quatre à quatre. Ambre reste là, incapable de bouger. Pourquoi a-t-il fallu qu’il voit les marques longues et effilées qui commencent à bleuir sur ses bras ? Noah a très bien compris que c’était la marque de ses doigts. Elle ne lui en veut pas, loin de là, mais lui n’est pas de cet avis apparemment. Cette soirée est une véritable catastrophe. Chaque minute qui passe semble pire que la précédente.

Cinq minutes plus tard, Lila vient la trouver. Elle ne lui parle pas, ne lui demande pas comment elle va. Elle se contente juste de la prendre dans ses bras. Exactement ce dont elle avait besoin. Ambre se blottie contre son amie et laisse couler les larmes qu’elle a trop longtemps retenues. Elle est épuisée, vidée. Elles restent un long moment comme ça et quand la jeune femme sent que ses larmes ne vont pas revenir, elle s’écarte de Lila.

Au même moment, elle entend Noah redescendre. Elle s’apprête à l’appeler pour s’assurer qu’il va bien, mais le sac de voyage qu’il porte sur l’épaule l’en empêche. Il ouvre la porte et Ambre a un électrochoc. Il est en train de partir ! Elle se précipite à sa suite en criant.

- Tu vas où ?

Le métis traverse la cour presque en courant en direction de sa voiture. Il jette son sac sur la banquette arrière de son pick-up.

- Noah ! appelle Ambre sur ses talons.

Il ne se retourne pas.

- Noah !? Qu’est-ce que tu fais ? cri Ambre, la voix brisée par la fatigue et l’émotion.

- Il a raison, je ne devrais pas être ici. Je ne peux pas l’abandonner une deuxième fois. Il faut que je sois près de lui. Je ne peux pas rester ici…

Noah se retourne et la rejoint en quelques enjambées. Il lui attrape la nuque avec force et plaque ses lèvres contre les siennes. Le baiser qu’il lui donne est ardent, pressé, désespéré. Il la laisse pantelante et tremblante. C’est l’un des baisers les plus passionné qu’il lui ait jamais donné, mais il lui laisse un goût amer. Comme si, cette démonstration d’affection profonde cachait une vérité terrible. Il se recule et pose son front contre le sien pour la regarder dans les yeux.

- Je suis vraiment désolé pour ce que je t’ai fait mon amour. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivé dans la vie.

Ce n’était qu’un murmure, mais Ambre le perçoit comme un cri déchirant la nuit. Noah s’engouffre dans la voiture et s’éloigne. Il la laisse seule. Impuissante. Perdue.

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