Chapitre 25

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Ambre est tout excitée à la perspective de la soirée qui s’annonce. Elle ne tient pas en place et fait les cent pas dans la cuisine, tournant autour de Lila et de Salomé.

- Stop, lui dit la petite blonde en riant, tu me donne envie de vomir à tournoyer comme ça.

- Je n’y peux rien, je suis trop contente pour reste en place. Si vous saviez depuis combien de temps je rêve de faire ça ?! s’exclame la jeune femme.

Lila secoue la tête amusée. Elle est en train d’empiler des pommes de terre farcies de bacon, de sauce et d’oignons caramélisés, sur un plat.

- Tiens, prend ça et rends toi utile, dit la cuisinière en lui tendant un panier en osier contenant tout le nécessaire pour le repas. On arrive avec le reste.

Ambre se précipite dehors en sautillant, telle Laura Ingalls qui descend sa colline. La luminosité de cette chaude journée de juin décline lentement. Les ombres du jardin sont plus prononcées. La brise marine est plus fraiche, accentuant les odeurs fruitées et florales qui enveloppe la jeune femme à mesure qu’elle se dirige vers la plage. Les garçons sont en train d’empiler du bois au milieu d’un rond de pierre pour faire un feu. Léo et Elma étalent des couvertures sur le sable, les agrémentant de coussins et de plaids moelleux.

- Que nous vaut ce sourire rayonnant ? demande Logan en voyant approcher la jeune femme avec entrain.

- J’ai toujours voulu faire une soirée feu de camp. Sur la plage, comme dans les films ! C’est tellement romantique.

Noah pose une grosse bûche au sol, accompagné d’un grondement d’effort. Il se relève et s’essuis le visage avec le bas de son t-shirt, laissant entrevoir son ventre plat et les premiers traits de son dernier tatouage. Ambre n’a pas encore eu le courage de lui demander la signification de la boussole, de peur d’aborder un sujet délicat. Quoi qu’il en soit, elle ne peut s’empêcher de profiter du spectacle.

- Sérieux ? Tu n’as jamais fait de feu de camp ? Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ? C’est pas ce qu’il y a de plus dur à organiser, s’étonne le jeune homme.

Ambre pose son panier au sol, alors que ses amies arrivent avec le reste de la nourriture. Elle se tourne vers son amoureux et lui fait un clin d’œil.

- Il faut bien que je garde ma part de mystère, moi aussi.

Sa tentative de complicité échoue lamentablement. Noah soupire et repart vers la maison sans rien répondre. Ambre le suit des yeux et regarde ses amis en levant les bras.

- Qu’est-ce que j’ai dit encore ? questionne-t-elle.

Lila lui lance un regard voulant dire « ne me mêle pas à ça ». Ambre essaye de trouve du soutien auprès des autres, mais personne ne semble vouloir l’aider. Elle râle dans sa barbe, quand Raphaël vient passer son bras autour de ses épaules.

- Merci, dit-il simplement avec un grand sourire.

Ambre le regarde de biais, dubitative.

- Merci de remplacer Gabriel et Lila.

- Qu’est-ce qu’on à avoir avec ça ? demande avec méfiance le musher.

- Vous nous avez offert un magnifique épisode des Marseillais à Cancún en début de semaine. Tout était parfait : une dispute, des cris, des rancœurs, des clans qui se forment. Et puis vous avez décidez d’agir en adultes responsables. Du coup, je suis resté sur ma faim, avec votre belle réconciliation. Mais là, je sens qu’Ambre et Noah ont un potentiel incroyable, beaucoup plus que vous deux. Donc merci Ambre de prendre le relais et d’énerver au maximum ton mec pour nous offrir un spectacle digne de ce nom.

La jeune femme se dégage d’un coup d’épaule et s’éloigne de lui en le pointant du doigt.

- Ce que tu peux être lourd Raph. Surtout, ne t’avise pas de foutre la merdre entre nous exprès.

Lorsque Noah réapparait, l’ensemble des garçons sont en train d’essayer d’allumer le feu. Sans succès. Soit la brise marine éteint l’allumette avant qu’elle ait eu le temps d’atteindre le moindre bout de bois. Soit le feu ne prend pas ou s’éteint immédiatement. Ils s’agacent l’un l’autre, chacun étant persuadé de connaître la technique parfaite. Les filles restent de côté, se moquant de leurs vaines tentatives.

- Heureusement qu’on n’est pas sur une île déserte, parce qu’on ne serait pas prêtes de manger quoi que ce soit avec vous, se moque Salomé.

- A cette allure, demain on n’a toujours pas manger ces saucisses grillées que vous nous avez promis, renchérit Elma.

- Vous n’avez cas essayer si vous êtes si malignes, s’agace Alexis.

Noah secoue la tête et s’approche des garçons.

- Laissez-moi faire, vous vous y prenez vraiment comme des manches.

- Parce que Monsieur se croit plus fort que tout le monde ? ironise Raphaël.

- Regarde et apprend, répond le métis en s’accroupissant.

Ambre admire son amoureux prendre du petit bois, disposer un tas de brindilles sèches par-dessus et froisser quelques feuilles de journal. Il s’empare du paquet d’allumettes et d’un geste assuré en craque une sur le papier qui s’enflamme instantanément. Il se penche sur la flamme vacillante et souffle doucement dessus pour l’attiser. Après quelques minutes, il place une grosse bûche et le feu prend de la vigueur. Noah se relève et époussette les grains de sables collés sur ses genoux.

- Mec, comment tu as réussi aussi vite alors qu’on galère depuis une éternité ? s’étonne Raphaël.

- J’ai allumé mon premier feu à l’âge de cinq ans, dit le métis en s’asseyant sur la couverture à côté d’Ambre. Et sans allumette, ni papier, juste avec ce qui se trouve dans la nature.

Personne ne trouve rien à redire. Ambre le regarde du coin de l’œil surprise, comme ses amis. C’est tellement inattendu qu’il évoque son enfance. Noah ne semble pas dérangé par ce silence. Il sort un paquet de cigarette de la poche arrière de son jean, en allume une et tire une longue bouffée avant de la recracher en s’appuyant en arrière sur ses coudes. Ambre le regarde fermer les yeux et se détendre, les traits soudain plus apaisés. Comment peut-elle s’énerver sur le fait qu’il fume alors qu’il paraît plus serein en le faisant ? Elle n’en a pas le courage, ni le cœur. Lui faire le reproche qu’il fume de plus en plus ne ferait que gâcher cette soirée prometteuse. Et lui faire remarquer qu’en ce moment il est tendu comme un arc et qu’un rien l’énerve, une encore moins bonne idée.

Trop impatients de goûter aux plats préparés par Lila et Salomé, ils mettent à cuire les pommes de terre dans les braises, les saucisses sur des piques et les grilled cheese sur des grilles. Avant de manger, l’heure est à l’apéro et le groupe d’amis trinque en savourant cette chaude soirée. Ils se sont placés autour du feu et discutent joyeusement. Ambre se laisse aller contre l’épaule de Noah qui passe une main derrière son dos. Il lui serrer la taille en la rapprochant de lui. Le bruit du bois qui crépite l’apaise, la chaleur sur son visage la réconforte. Les odeurs de la nourriture qui commence à cuire s’élèvent dans l’air et font gargouiller le ventre de la jeune femme.

- Les gars, je connais le jeu parfait pour cette soirée, s’exclame Raphaël en croquant dans une saucisse grillée.

- Je crains le pire, rit Lila.

- Vas-y, c’est quoi ? questionne Léo.

Le vétérinaire laisse passer un silence pour ménager son effet, ce qui fait rire de désespoir ses amis.

- Action ou vérité, bien sûr !

- On n’a plus quinze-ans, s’étonne Gabriel.

- Non, mais ça peut être drôle c’est vrai, approuve Logan.

Salomé, assise à côté lui lance un regard incrédule. Le groupe se chamaille un moment avant de se mettre d’accord. Certains trouvent le jeu trop enfantin, d’autres craignent qu’il dérape, tandis qu’une petite majorité pense que ça peut être amusant. Finalement, ce dernier argument l’emporte.

- Allez, le plus jeune d’entre nous fait tourner la bouteille, déclare Alexis en posant une bière vide sur le sable, au milieu du groupe d’amis.

Salomé s’avance et fait pivoter l’objet qui s’arrête en pointant Ambre avec son goulot. En lui souriant elle lui demande si elle préfère une action, ou répondre à une vérité.

- Je vous le dis tout de suite, si ça part en cacahouète, je me barre, prévient la jeune femme, très peu emballée.

- Arrête de râler et détends toi, Ambre. Alors action ou vérité ? s’impatiente Raphaël.

- Vérité.

Salomé se rassoit et prend quelques secondes pour réfléchir à sa question.

- On va commencer soft. Quel chanteur, chanteuse ou groupe es-tu honteuse d’écouter ?

- Euh… j’assume tout je crois, mais disons… les One Direction, avoue Ambre.

- Sérieux ? s’étonne en riant Logan

- Ce groupe me rend nostalgique, ça me rappelle mes années lycées, explique-elle en lançant un coup d’œil à Lila qui lui rend son sourire.

Ambre fait tourner à son tour la bouteille qui désigne Alexis. Il choisit l’action, ce qui lui vaut de croquer à pleines dents dans un piment. Costaud le piment, aux vues des larmes qui coulent sous ses yeux. La partie continue.

- Ok Lila, tu dois faire des pompes pendant une minute, dit Logan.

- T’es pas cool, se plaint-t-elle en se mettant à genoux.

La jeune femme s’exécute avec difficulté. Ambre l’encourage du mieux qu’elle peut. Elle voit Gabriel passer discrètement son bras sous son ventre sans que personne ne s’en aperçoivent et l’aide à soutenir son poids. Quand le temps est écoulé, Lila a les joues rouges et ses cheveux viennent se coller sur son front.

- Salomé, si tu devais te retrouver seule sur une île déserte, qui choisirais-tu parmi nous ? Tu dois expliquer ton choix pour chaque personne, demande Raphaël.

- Ok… alors je sais à peu près sans hésitation qui je choisirais. Raph déjà ça ne sera pas toi, parce que tu parles trop, tout le temps. C’est chiant et au final il y aurait un meurtre. (Rire général). Alexis, je pense que tu aurais une bonne résistance physique, mais tu n’es absolument pas manuel. Et ça, c’est indispensable. Elma, on ne se connaît pas beaucoup, mais je pense qu’on s’entendrait bien. Au moins, il n’y aurait pas de disputes entre nous. Après, je ne pense pas qu’à nous deux on s’en sortirait vivantes. (Elma acquiesce en étant totalement d’accord). Pareil pour Lila, niveau ambiance ça serait top, mais niveau survie, je ne suis pas certaine.

- Tu as raison de ne pas me choisir. J’ai tendance à apporter la poisse et je pense que c’est la dernière chose à avoir en milieu hostile.

- Léo, je ne sais pas trop. Ton côté réfléchit et ton intelligence pourrait être vraiment utile, mais pour la mise en pratique, je crois que je peux trouver mieux. Gab, tu serais vraiment pas mal niveau survie, débrouillard et résistant, mais vous êtes tellement mignons avec Lila, que je n’ai pas envie de vous séparer. (Gabriel donne un coup d’épaule complice à sa petite amie). Qui il me reste ? Ambre. Je suis désolée, j’adorerais t’avoir avec moi, au moins je serais sûre de ne jamais m’ennuyer, mais je ne te vois pas du tout sur une île déserte.

- Il faudrait déjà qu’elle arrête d’avoir peur des insectes, rit Noah, ce qui lui vaut une tape sur la tête.

- Du coup, il reste Logan et Noah, dit Salomé en se tournant vers son compagnon. Je suis désolé mon chéri, mais je pense que tu ne me seras pas d’une grande aide en pleine nature. A part si on trouve une vieille voiture à réparer, mais c’est peu probable. Je prendrais Noah avec moi, parce que déjà physiquement il est fort, et puis il à l’air de vraiment s’y connaître en survie. Il n’y a qu’à voir la rapidité avec laquelle il a fait le feu. Je pense qu’entre mes connaissances en médecine et les siennes, on arriverait à s’en sortir vivants.

Logan fait semblant de s’insurger en criant à l’injustice. Salomé essaye de justifier son choix, en vain. Elle n’a plus d’arguments. De toute façon, la bouteille désigne le mécanicien, qui doit interpréter une chanson de Beyonce, comme s’il était en concert. Il y met tout son cœur et son entrain. Ses fausses notes à faire saigner les oreilles provoquent un fou rire général.

Ils font une pause dans le jeu le temps d’aller chercher les paquets de guimauve. Ils les placent sur des piques et les rapprochent du feu pour les faire griller. L’air s’emplit d’une odeur de sucre et de fraise.

- Ok Noah, action… réfléchit Gabriel. Tu dois arriver à faire manger un chamallow à Ambre.

- Hors de question, s’écrit la jeune femme.

Elle déteste cette sucrerie. Déjà qu’elle n’aime pas trop les bonbons, mais ceux-là, c’est les pires. La texture, l’odeur, le goût, tout la révulse. Elle voit Noah approcher une pique de sa bouche avec un sourire en coin. Elle sait que ce défit lui plait au plus haut point. Elle essaye de l’esquiver, mais il revient à la charge. Avant qu’il ne puisse l’atteindre, elle se lève et s’éloigne de lui en courant. Mauvaise idée. Bien entendu, le métis la suit. Et bien entendu, il court beaucoup plus vite qu’elle. Elle essaye de le semer, mais ses pieds s’enfoncent dans le sable. Elle se rapproche de l’eau, mais elle sent Noah arriver derrière elle. Elle jette un coup d’œil pour évaluer la distance. Trop tard. Il l’attrape par la taille et la fait décoller du sol. Noah la fait tourner dans les airs. Ambre cri de surprise et le supplie de la lâcher. Il hésite un instant, mais la repose délicatement au sol. Il enserre sa taille dans ses bras, ses mains posées à la limite de ses fesses. Il rapproche lentement son visage du sien. Sa bouche n’est qu’à quelques centimètres de la sienne. Le cœur d’Ambre s’emballe, sa respiration se fait plus difficile. Elle ferme les yeux au moment où leurs lèvres rentrent en contact. Elle savoure la douceur de leur caresse, leur goût sucré et acre, mélange de bonbons et de cigarette, qui donne à ce baiser une touche sauvage. Noah passe sa langue sur les lèvres de la jeune femme, l’intimant à s’ouvrir à lui. Elle résiste quelques secondes pour la forme, mais ne se fait pas prier longtemps. Elle entrouvre la bouche et se laisse emporter par ce baiser sensuel. Leurs langues s’effleurent. Noah fait un mouvement bizarre. Quelques choses d’humide et de visqueux vient pénétrer sa bouche. Un goût immonde s’empare de tous ses sens. Alors qu’elle est en train de comprendre ce qui se passe, Noah se recule vivement. Ambre se met à cracher en toussant.

- Mission accomplie, s’écrit Noah triomphant en levant les bras en l’air.

- Tu es vraiment un porc ! s’énerve Ambre, autant contre lui, que contre elle-même qui a trop vite oublié l’action qu’il devait accomplir.

Noah se dirige vers le groupe et tape dans les mains de Gabriel et de Logan, qui le félicitent pour son stratagème. Le jeu se poursuit avec Elma qui raconte la pire honte de sa vie.

- Comme vous savez, je suis prof de sciences en secondaire. Ce jour-là, je recevais deux intervenants. Ils venaient pour parler de leur métier dans un parc national et pour évoquer la protection des milieux naturels. Déjà, quand ils sont entrés dans la salle, j’ai été perturbée par l’un des deux. (Elma lance un rapide coup d’œil à Léo).

- C’était Léo ? questionne Logan. C’est comme ça que vous vous êtes rencontrés ?

La jeune femme acquiesce et continue son récit.

- Il était accompagné d’une femme d’une quarantaine d’année. Et là, ce fut le drame. Je la présente et la remercie d’être venu. Voulant faire bonne impression, je la félicite pour sa grossesse…

- Oh non ?! anticipe Noah en explosant de rire. Tu n’as pas fait ça ?

- Malheureusement si… Elle m’a regardé d’un air si mauvais, que j’en ai encore la chair de poule. Un gros silence est tombé sur la pièce. Mes élèves se retenaient de rire, et moi je ne savais plus où me mettre. Heureusement, Léo a pris les choses en main et a commencé sa présentation pour détourner l’attention.

Peu de temps après cette révélation, Raphaël se retrouve maquillé par Salomé, tandis que Léo doit porter une robe d’Elma pendant tout le reste de la soirée.

Finalement, Ambre s’est détendue. Elle doit avouer qu’elle s’amuse bien et que la partie est bon enfant. En plus, cela lui permet de connaître un peu mieux ses amis. Elle apprend notamment que Gabriel sait parler le mandarin. Ils lui demandent une démonstration, mais comme personne d’autre ne parle cette langue, il pourrait bien inventer, que ça passerait inaperçu. Puis, au fur et à mesure que la soirée avance, les actions se font de plus ne plus rares et les questions commencent à déraper. Lila doit avouer qu’elle a eu sa première relation sexuelle à l’âge de dix-sept ans, Logan qu’il a déjà coucher avec une fille dans son garage. Raphaël essaye de savoir si c’est avec Salomé, mais elle ne lui donne pas le plaisir de répondre. Noah avoue à demi-mot qu’il a déjà était infidèle. Plusieurs fois. Intérieurement, Ambre panique. Ses peurs et doutes du début d’année remontent, même si elle ne veut pas le montrer. Elle commence d’ailleurs à ne plus trop apprécier le jeu quand Alexis lui demande le nombre de partenaires sexuels qu’elle a eu dans sa vie. Après de longues minutes de discussions pour la forcer à répondre, elle finit par craquer.

- Deux.

- C’est tout ? s’étonne le sportif.

- Tu t’attendais à quoi ?

- Je ne sais pas. Tu parais tellement sûre de toi, que je m’attendais à plus.

- Non mais c’est quoi ces préjugés ? C’est pas parce qu’une fille est bien dans ses baskets qu’elle doit forcément coucher avec la terre entière. Et puis même ! Merde ! On fait ce qu’on veut. Pourquoi, quoi qu’on fasse en tant que femme, il va forcément y avoir un jugement derrière !? s’emporte la jeune femme.

- C’est bon, pas besoin… essaye de couper Alexis, sans succès.

- Alors sous prétexte qu’une fille n’a pas confiance en elle, ça veut dire qu’elle ne peut coucher avec personne, qu’elle ne peut pas être désirable aux yeux des autres ? La confiance se résume donc à ton tableau de chasse sexuel ?

- Ok, on va s’arrêter là, coupe Noah en posant une main apaisante sur son bras. Il est beaucoup trop tard pour avoir ce genre de débat, sans que ça parte en guerre.

Ambre se rembrunit, en croisant les bras sur sa poitrine. Elle est tout à fait consciente de s’être emportée, mais elle n’a pas pu s’en empêcher. Gabriel se lève en s’étirant.

- J’ai une idée pour détendre l’atmosphère. J’en ai pour deux minutes. Noah tu peux venir avec moi ? demande le musher.

Il se penche vers Ambre pour lui déposer un baiser dans les cheveux et se lève à son tour. Elle le regarde s’éloigner et disparaître dans le jardin. Elle se plonge dans ses pensées, s’énervant sur la condition féminine. Elle fixe les flammes qui dansent devant ses yeux sans vraiment les voir, bercée par le son des conversations autour d’elle. Elle est sortie de sa rêverie par une vibration sur la jambe. Noah a laissé son portable sur la couverture. Le temps qu’elle l’attrape, l’appel est terminé. Elle regarde l’écran allumé et voit cinq appels de Jean, le père de Noah. Elle trouve ça étrange qu’il ne décroche pas, lui qui est si proche de son père. Elle s’apprête à se lever pour aller amener le téléphone à son compagnon, quand son beau-père essaye de nouveau de contacter son fils. Une telle insistance inquiète Ambre, qui s’imagine de suite que quelque chose de grave est arrivée. Elle fait ce qu’elle n’a jamais fait auparavant, répondre au portable de Noah.

- Noah ! Enfin tu me réponds. Ça fait des jours que j’essaye de te parler.

- Euh… bonsoir Jean, c’est Ambre.

Un silence se fait de l’autre côté de la ligne.

- Ah Ambre, comment vas-tu ?

- Très bien, merci. Noah est occupé, mais je peux aller le chercher si vous voulez ?

- Non ne t’en fait pas. De toute façon je doute fort qu’il veuille entendre ce que j’ai à lui dire. Ça ne fait rien. Je suis content de t’avoir parlé.

Ambre est inquiète, elle sent de la tristesse dans la voix de Jean. Elle sent qu’il se passe quelque chose entre eux, quelque chose de négatif, mais elle ne sait pas quoi.

- Moi aussi, ça m’a fait plaisir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, surtout, n’hésitez pas Jean.

- C’est gentil, ma fille. Tout ce que je te demande, c’est de prendre soin de mon fils.

Le cœur de la jeune femme fait une embardée. Pourquoi lui dit-il ça ?

- Je ne comprends pas…

- Il va avoir besoin de soutien. Tu comptes beaucoup pour lui, bien plus qu’il n’est prêt à l’admettre, et il va avoir besoin de toi.

- Qu’est-ce qui se passe Jean, vous me faites peur là ? Qu’est-ce que Noah vous as dit ? Il est malade ? Ou c’est vous ?

- Oh ne t’en fais pas pour moi, je vais très bien.

La panique la gagne. Pourquoi tant de mystère ? Il ne peut pas lui dire les choses telles qu’elles sont ? C’est bien un truc de famille ça, éluder les questions qui fâchent. Elle s’apprête à demander plus d’explications, mais Jean ne lui en laisse pas le temps.

- Ambre, s’il te plaît, empêche Noah de faire des bêtises. Empêche-le de se laisser dévorer par ses démons et sa culpabilité.

Et sur cette phrase, il coupe l’appel. Ambre en reste sans voix. Elle fixe l’écran du téléphone, sans comprendre. Qu’est-ce que ça veut bien dire ? Qu’est-ce que lui cache encore Noah ? Est-ce toujours la même chose, lié à son passé ? Ou est-ce autre chose ? Trop de questions qui se bousculent et trop peu de réponses accessibles. Alors qu’elle se prend la tête, Noah réapparaît. Il tient à la main une caisse en bois. En voyant son portable dans les mains d’Ambre, il fronce les sourcils.

- Qu’est-ce que tu fais avec mon portable ? dit-il un peu sèchement.

Ambre sursaute, manquant de lâcher le téléphone par terre. Elle regarde Noah, le cœur battant. Elle a l’impression d’avoir était prise sur le fait, d’avoir fait une bêtise.

- Euh… ton père à essayer de t’appeler plusieurs fois. Comme il insistait, j’ai pensé que c’était peut-être grave, donc j’ai décroché.

- Et alors ? Il voulait quoi ?

- Rien de spécial, prendre de tes nouvelles, explique la jeune femme, en omettant intentionnellement ce que lui a demandé Jean.

Noah hausse les épaules et s’assois sur la caisse. Ambre lui tend son portable qu’il pose de l’autre côté de lui, inaccessible à la jeune femme. Encore un mystère à résoudre… A force, la jeune femme à l’impression que l’univers veut qu’elle se reconvertisse en détective. Sauf qu’elle déteste les romans policiers, qu’elle n’a pas la moindre patience, qu’elle est la fille la moins discrète de la terre et qu’elle est vraiment nulle pour démêler le vrai du faux d’une situation.

- Comme le jeu action ou vérité commençait à partir en live, je me suis dit que ça serait cool de faire autre chose, dit Gabriel, une guitare dans les mains.

- Tu sais jouer de la guitare ? demande Lila

- Oui Madame. Et du piano, mais c’est pas pratique à transporter sur la plage.

Gabriel commence à pincer quelques cordes pour voir comment elles sonnent. Tout en accordant l’instrument, il continue à parler.

- Et quoi de mieux qu’un peu de musique acoustique autour d’un feu de camp ? Si vous connaissez ce qu’on joue, n’hésitez pas à chanter. Pour ma part, je vais épargner vos oreilles, dit-il en riant.

Le musher commence à jouer quelques notes en douceur, une mélodie lente et pénétrante. Puis, la musique se fait plus entraînante. Noah se met alors à taper sur la caisse où il est assis, faisant résonner ses coups en rythme avec Gabriel.

- C’est quoi comme instrument ? demande Léo intrigué.

- Un cajon, explique l’ébéniste.

Lila se décale discrètement vers Ambre, se rapprochant ainsi des deux musiciens. Elle se penche à l’oreille de son amie et lui murmure :

- Tu savais qu’ils jouaient de la musique ? Et aussi bien ?

La brune acquiesce, laisse passer quelques accords et lui répond.

- Noah m’a dit qu’il avait appris les percussions quand il était plus jeune. Il adorait ça, mais il a arrêté quand il est parti vivre avec son père.

Les filles se reconcentre sur la musique, se laissant emportées par la mélodie. Les garçons sont concentrés, jouent en rythme, se complétant parfaitement. Une fois le morceau fini, des applaudissements sincères retentissent dans la nuit.

- Waouh, c’était magnifique, s’enthousiasme Elma.

- Noah, tu ne nous avais jamais dit que tu savais jouer de la musique ? s’étonne Logan.

C’est un des meilleurs amis du métis. La personne avec qui il est la plus proche, avec Gabriel. Ils se connaissaient, bien avant qu’il ne se mette en couple avec Ambre. La jeune fille constate, encore une fois, que Noah ne divulgue que très rarement des informations sur lui. Qu’il reste très secret avec les gens proches et qu’elle n’est pas l’exception. Cela la trouble autant que ça la rassure. Contre toute attente, le jeune homme semble enclin aux confidences.

- Ça fait très longtemps que je n’ai pas joué. J’avais un groupe quand j’étais plus jeune. On se produisait parfois à l’école ou lors des fêtes de village. J’ai appris la batterie, mais ce que j’adorais c’était quand on pouvait jouer du tewehikan. C’était la belle vie… conclut Noah pensif.

- Tu jouais du quoi ? demande Alexis

- Ah oui pardon, le tewehikan. C’est le tambour traditionnel. Avant il été utilisé pour les cérémonies spirituelles, mais aujourd’hui, il est de plus en plus intégré à la musique, pour renouer avec les traditions et la culture.

Gabriel entame un nouveau rythme, suivi par Noah. Personne ne parle. Tout le monde se laisse porter par les sonorités douces et enivrantes.

- Pourquoi tu ne parle jamais de ta culture, ni de l’endroit où tu as grandi ? demande soudain Raphaël. C’est vrai, on se connaît depuis longtemps, mais tu reste très secret sur certaines parties de ta vie.

Ambre voit Noah se tendre. Il serre les dents, faisant ressortir les muscles de sa mâchoire. Il ne s’attendait pas à une question aussi directe. Malgré son trouble, il ne perd pas le rythme. Il se tourne vers elle et la fixe de ses yeux d’émeraude. Elle voit de la souffrance dans ce regard, et autre chose, de la peur. Elle repense à ce que vient de lui dire Jean. Il faut qu’elle soit là pour lui, qu’il comprenne qu’il n’est pas seul, même si elle ne sait pas vraiment pourquoi. Elle lui sourit et essaye de lui faire comprendre par son expression que tout va bien, qu’ils sont entre eux. Noah prend une grande inspiration et ferme les yeux quelques secondes pour reprendre ses esprits. Personne n’a remarqué son moment d’hésitation à part Ambre. Il reprend la parole, égal à lui-même.

- Le passé, c’est souvent mieux quand il reste là où il est, dans le passé. Je n’aime pas trop me rappeler de certaines choses, c’est tout. Et puis tout ça me paraît si loin maintenant…

- Je trouve ça fascinant et super intéressant en tout cas. Ta culture, la façon dont tu as été élevé, même ta langue maternelle. Donc si tu veux en parler, pas de soucis, dit le vétérinaire. Et puis si tu ne veux pas en parler, il n’y a pas de problèmes non plus, rajoute-t-il, sincère.

Noah hoche la tête et se détend. Les garçons continuent à jouer quelques morceaux. Les filles dansent parfois, à d’autres moments elles chantent quand elles connaissent les paroles. Alors que le ciel s’était couvert de nuages fins et vaporeux en début de soirée, la lune fait son apparition. Ronde, pleine et lumineuse, elle se reflète dans les eaux calmes de la mer. Le spectacle est incroyable, Ambre se lève s’avance sur la plage jusqu’à ce que les vagues lui lèchent les pieds. Elle fixe cet astre qui la fascine, qui l’appelle. Le bruit des vagues, le son de la guitare, les percussions, le crépitement du feu, tout semble irréel. Elle ferme les yeux, sent la caresse de la brise marine sur son visage, le froid des vagues pénétrer ses orteils, le sable lui chatouiller la plante des pieds.

- Puisqu’on en est à parler de ma culture… commence timidement Noah. La lune qui se reflète dans l’eau me rappelle une légende qu’on me racontait autour du feu quand j’étais petit. C’est un peu long et enfantin, mais ça vous dit de l’entendre ? demande-t-il, peu sûr de lui.

Ambre se retourne vivement. Le visage de Noah est dans l’ombre du clair de lune. Des ombres mouvantes dévoilent par moment ses traits, au rythme des flammes qui tournoient devant lui. Elle est loin et ne distingue pas bien les détails de sa figure. Seuls ses yeux verts brillent dans la nuit. A cet instant, il lui fait penser à un animal sauvage, insaisissable. Elle le trouve magnifique. Un frisson remonte le long de son dos. La jeune femme entoure son corps de ses bras pour se réchauffer. A l’unanimité, tout le monde veut entendre l’histoire de Noah. Il change de rythme et Gabriel le suit. La musique se fait lente, lancinante et douce, parfaite pour accompagner un récit.

- Je vais vous compter l’histoire de Tchikabesh[1]. Il y a très longtemps, une famille d'Indiens fut attaquée par des hommes qu'on appelait Mestabeoks. Ils tuèrent tous les membres de la famille. Seule une petite fille réussit à s’enfuir. Quand elle fut sûre que ses ennemis n’étaient plus dans le coin, elle revient à son campement. Elle entendit des pleurs. Elle s’approchât d’un bosquet et découvrir un bébé. C’était Tchikabesh.

Tout le monde est fasciné par la voix chaude et profonde de Noah. Il a une façon de raconter les histoires bien à lui. Ambre s’est rassise et ne peux détacher le regard de son amoureux qui poursuit son récit.

- La petite fille l’éleva comme elle put, mais elle n’arrivait pas à calmer ses pleurs. Même en grandissant, elle ne savait plus quoi faire. Un jour, il lui demanda où était leur père. Elle lui répondit qu’ils n’avaient plus personne, que leur famille avait été tuée alors qu’il n’était encore qu’un bébé. Alors pour le consoler, elle eut l’idée de lui fabriquer un arc et des flèches. Tchikabesh commença à jouer avec. Il ne les quittait plus et les posait à côté de lui pour dormir. A mesure qu’il grandissait, son arc et ses flèches grandissaient aussi.

- C’est devenu Robin des bois ? rit Alexis.

Pour toute réponse, le groupe lui demande de se taire au lieu de casser l’ambiance.

- Bientôt, Tchikabesh fut assez grand et adroit pour partir chasser seul. Il vit un écureuil, tira, mais rata sa cible. Sa flèche resta plantée en haut d’un arbre. Il escalada les branches, toujours plut haut, sans arriver à l’atteindre. Il arriva jusqu’à la cime de l’arbre, et de là, il avait une vue magnifique sur la forêt. En contre bas, il aperçut un endroit dégagé, avec en son centre une clairière. Tchikabesh voulut explorer le lieu. Il découvrit des traces dans un sentier et voulut savoir qui passait par là. Il repartit chez lui pour prendre ses collets. Il demanda à sa sœur des cheveux pour mettre dans son appât. Après un moment d’hésitation, elle se coupa une mèche et la lui donna. Enfin équipé, Tchikabesh repartit à l’endroit où il avait vu les traces et tendit son collet. Il rentra chez lui et s’endormi. A son réveil, il faisait toujours nuit. Comment se fait-il que le jour ne se lève pas ? se demanda Tchikabesh. Il remonta dans l’arbre où il avait grimpé la veille, pour voir ce qu’il se passait au loin. Il monta, grimpa, monta encore, jusqu’à la cime. Là, il s’aperçu que la lune était prisonnière de son collet. Il ne savait pas quoi faire pour la délivrer. Il eut alors l’idée de faire appel aux animaux de la forêt, pour rompre les cordes de son collet, et ainsi libérer la lune. Aucuns rongeurs ne purent s’approcher assez près d’elle, sans risquer de se brûler. Mais, la souris réussit à défaire les liens et à libérer la lune. Depuis ce jour-là, la souris arbore un dos roux, ses poils ayant été brûlés par la lune. Sa mission accomplie, Tchikabesh rentra chez lui. En chemin, il se désaltéra à un ruisseau qui courait dans la forêt. Il vit son visage se refléter dans l’eau, à côté du reflet de la lune. A ce moment, la lune prit l’apparence de Tchikabesh. Depuis ce jour, on peut voir toutes les nuits, le visage de Tchikabesh sur la lune.

La fin de la légende de Noah sonne également la fin du morceau joué par Gabriel. Un silence se fait dans la nuit. Tout le monde à le visage tourné vers la lune, comme s’ils cherchaient à y voir ce jeune orphelin dans ses traits. Ambre, elle, contemple Noah. Elle n’a pas détaché ses yeux de lui une seule seconde. Noah lui rend son regard avant de se détourner. Malgré la rapidité de ce contact, elle a clairement vu les larmes accumulées au bord de ses yeux. Discrètement, il les essuis sur ses épaules. La jeune femme se met à genoux. Elle pose ses deux mains à plat sur ses joues et colle son front conte le sien. Noah ferme les yeux et prend une respiration saccadée. Ambre dépose un baiser très doux et tendre sur ses lèvres. Il a un goût salé, mélange de leurs larmes respectives. Quand elle se recule, elle le regarde droit dans les yeux.

- Merci, lui dit elle si doucement qu’il est le seul à l’entendre.

Noah l’enlace et enfonce sa tête dans les cheveux d’Ambre. Ils restent un moment enlacés, alors que Gabriel a attaqué de jouer un nouveau morceau et que tout le monde chante en cœur le refrain. Elle sent le cœur de Noah lentement ralentir, s’apaiser. Elle espère vraiment que cette soirée sera le début de sa délivrance. Qu’enfin il va réussir à s’ouvrir, à renouer avec son passée, comme il l’a si bien fait ce soir.

[1] Source : La nation Atikamekw de Manawan, manawan.org

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