Chapitre 21

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- Arrête de bouger ta jambe comme ça. Ça me stresse.

- J’arrêterais quand tu ne te rongeras plus les ongles, dit Lila en regardant Ambre du coin de l’œil.

Assises côte à côte sur des fauteuils couleur prune, les deux jeunes femmes attendent dans une petite pièce carrée qu’on vienne les chercher pour leur rendez-vous. De l’autre côté de la porte vitrée restée entrouverte s’étend un grand comptoir d’accueil immaculé. La secrétaire est en pleine conversation téléphonique, des dossiers s’empilant de part et d’autre de son ordinateur. Ambre se lève et se met à arpenter le petit espace, slalomant entre la table basse recouverte de magazine et les sièges, les mains glissées dans les poches de son baggy noir. Rester assise sans bouger est insupportable. L’attente est la pire chose qui existe et cela fait maintenant plus de trente minutes qu’elles poireautent. Ambre se tourne vers sa collaboratrice. Lila a glissé ses mains entre ses cuisses, faisant légèrement remonter sa robe pull beige. Ses lèvres sont pincées et son regard chocolat est perdu dans le vide devant elle. Ambre soupire et se rassoit. Quelle journée de merde ! pense-t-elle. En cherchant son téléphone dans son sac, elle aperçoit la lette qu’elles ont reçu il y a presque un mois. Depuis, un mauvais présentiment s’est logée au creux de son ventre, la tiraillant en permanence. Ce rendez-vous sera peut-être celui de la délivrance. Du moins elle l’espère vraiment. Elle essaye de laisser ses craintes de côté et se concentre sur l’écran de son portable. Aucuns nouveaux messages. Elle ne sait pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Quand elle le range, Lila lui demande :

- Pas de nouvelles depuis hier ?

Ambre secoue la tête et place la masse de ses cheveux sur un côté de sa tête.

- Ils doivent rattraper le temps perdu. C’est une bonne chose. Je suis sûre que ce soir, il aura plein d’anecdotes à te raconter et qu’il sera soulagé d’y être allé.

- J’espère que tu as raison. Si seulement il pouvait faire la paix avec son passé, quelles que soient les causes qui l’ont poussé à partir. Je veux juste… je veux juste qu’il…

La voix d’Ambre se brise sous l’émotion. Elle n’arrive pas à finir sa phrase, l’inquiétude formant un nœud au fond de sa gorge.

- Je sais, la rassure Lila en lui caressant le dos tendrement.

Reprenant ses esprits, Ambre se redresse et étale ses longues jambes devant elle. Elle croise les bras sur sa poitrine et se tourne vers Lila, dos à la porte.

- Je te jure que si on ne vient pas nous chercher dans les minutes qui suivent, je fais brûler cette putain de salle d’attente.

- Vous n’aurez pas besoin d’en arriver là mademoiselle, déclare une voix froide dans son dos.

Ambre se retourne vivement sur son siège et regarde la secrétaire dans l’encadrement de la porte. Son chignon roux tiré à quatre épingles et son tailleur vert lui donne un air sévère, malgré sa beauté naturelle. Elle porte un dossier serré contre sa poitrine. Son sourire crispé rend Ambre encore plus mal à l’aise. Ses joues doivent être aussi rouge que son haut.

- Si vous voulez bien me suivre, Maitre Bergeron va vous recevoir.

Les deux amies se lèvent et lui emboitent le pas dans un long couloir blanc, qu’elles longent jusqu’à s’arrêter devant une immense porte noire. Sur le bois une plaque dorée indique « Maitre Bergeron, notaire ».

- Attendez-moi ici s’il vous plait, déclare froidement la secrétaire, avant de pénétrer dans la pièce et de refermer la porte derrière elle.

- Dans sa panoplie de parfaite petite secrétaire sexy, elle a oublié l’amabilité sérieux, râle Ambre en haussant les sourcils face à la porte close.

Lila soupire, mais ne relève pas. Ambre voit bien que son amie est aussi stressée qu’elle, sauf qu’elle a choisi de se taire. La jeune femme, elle, n’y arrive pas. Les mots sortent tout seuls de sa bouche, sans qu’elle ait le temps de réfléchir à leur sens. Elle n’aime pas du tout quand elle est comme ça. Mais en cet instant, alors qu’elles ne savent pas ce qui les attend, elle n’a plus le contrôle. La porte s’ouvre en grand sur la secrétaire qui affiche un large sourire factice, les invitant à entrer. Ambre n’a qu’une envie, lever sa main pour faire un geste obscène. Elle se retient et au lieu de passer pour une folle, serre furtivement la main de Lila pour lui donner du courage. Ou peut être pour s’en donner à elle-même. Elles pénètrent dans une pièce spacieuse. De grandes fenêtres laissent entrer la lumière et un immense bureau en bois massif emplit une grande partie de l’espace. Derrière se tient un homme d’une cinquantaine d’année, charpenté et les cheveux grisonnants. Il se lève à leur approche et ses lèvres fines s’étirent en un sourire sincère. Son costume gris est impeccablement taillé. Ambre se demande tout de même s’il arrive à voir ses pieds sous son ventre rebondis. Ils les invitent à prendre place sur les deux fauteuils en face de lui. La nervosité des filles doit se sentir. Il leur propose un café, pour détendre l’atmosphère, mais elles déclinent gentiment.

- Merci d’être venu à ce rendez-vous, dit-il en ouvrant un dossier devant lui. Je vous avoue que la situation est un peu… comment dire ? Inédite. Je dois dire qu’en voyant le dossier j’ai été un peu démuni par la situation. J’en ai même parlé à certains de mes confrères. On est tous d’accord pour dire que c’est un cas très complexe.

En entendant ces mots, le cœur d’Ambre se met à battre fort dans ses tempes. Elle ne comprend vraiment pas ce qui se passe, mais au vu de ce que leur dit le notaire, ce n’est pas bon du tout. A côté d’elle, Lila s’est rédie et elle ne sait pas si c’est la lumière qui fait ça, mais elle paraît plus blanche que d’habitude. La brune s’éclairci la gorge.

- Excusez-moi, mais nous ne savons pas du tout ce qui se passe. Et aux vues de ce vous nous dites, je commence sérieusement à m’inquiéter.

- Ma secrétaire ne vous a pas expliqué ? s’étonne le notaire en regardant la porte, comme s’il pouvait voir la rousse au travers.

Lila répond par la négative. Maitre Bergeron se gratte le menton en réfléchissant. Puis, il relève les yeux vers les deux jeunes femmes en esquissant un faible sourire.

- Bon, alors je suppose que je vais devoir vous expliquer moi-même. Alors… euh… dit-il en regardant les papiers sur le bureau.

Cache ta joie ! Si tu pouvais mettre fin au suspense, ça serait bien ! a envie de lui dire Ambre, mais la jeune femme se retient et attend patiemment.

- Donc, vous avez acquis une propriété dans le comté des Laurentides, comprenant une maison, des dépendances, du terrain agricole et forestier, c’est bien ça ?

- Euh… oui, dit Ambre en fronçant les sourcils.

- Elle appartenait auparavant à Mme Eleanor Howard, aujourd’hui décédée. Le terrain est resté un long moment à l’abandon. C’était une femme très solitaire et mon confrère chargé de l’affaire n’a trouvé aucun parent à qui la propriété pouvait revenir de droit. Il n’a pas non plus trouvé de testament que la défunte aurait pu écrire, indiquant quoi faire de ses biens. Il a donc été décidé de la mettre en vente.

Ambre bout intérieurement. Elle sait déjà tout ça, le notaire ayant orchestré la vente leur a expliqué la situation. En plus, dans le coin, les potins sur la maison vont bon train et il ne leur a pas fallu longtemps pour être au courant des moindres détails de l’histoire. Elle sent que l’homme en face d’elles est mal à l’aise. Elle a envie de le prendre par les épaules et de le secouer pour qu’il leur dise exactement de quoi il en retourne, plutôt que de tourner autour du pot et de se perdre en grandes explications.

- Il se trouve que le mois dernier, un nouvel élément est venu complexifier l’affaire.

- Attendez une minute, du moment que nous sommes maintenant les propriétaires, il n’y a plus d’affaire. Le dossier devrait être clos, déclare Lila de sa voix calme et pausée.

- En théorie oui…

Le notaire prend une longue pause en les fixant chacune dans les yeux à tour de rôle. Il aurait dû faire acteur de théâtre s’il voulait à ce point ménager ses effets, enrage intérieurement Ambre, l’angoisse prenant de plus en plus le pas sur ses réactions.

- Et en pratique, ça donne quoi ? Parce que je ne vois pas du tout où vous voulez en venir, demande Ambre, incapable de retenir sa frustration plus longtemps.

Lila, qui n’a pas arrêté de bouger frénétiquement sa jambe, acquiesce.

- Voilà, mon confrère ayant arrêté d’exercer, vous comprenez, il avait passé l’âge de la retraite depuis bien longtemps et c’est tout normal qu’il ait préféré s’adonner à sa passion pour la pêche, plutôt que de continuer à ….

Ambre ne l’écoute déjà plus et ne saisit pas la fin de sa phrase. Elle s’imagine juste en train de l’étrangler à deux mains. Pourquoi a-t-il fallu qu’elles tombent sur le notaire le plus mou de tout le Québec, qui ne sait pas aller droit au but ? La jeune femme arrive à reprendre le cours de son monologue interminable quand il finir sa digression.

- Enfin bref, tout ça pour dire que c’est moi qui ai repris certains de ses dossiers. Celui de Mme Howard en fait partie. Et il y a plus d’un mois, j’ai reçu un appel assez surprenant. Il se trouve que Mme Howard aurait un héritier légitime.

Ambre manque s’étouffer, tout l’air de ses poumons soudainement bloqué. Elle se tourne vers Lila qui la regarde avec des yeux étonnés.

- Et qu’est-ce que ça signifie ? demande cette dernière méfiante.

- Cette personne, prétend que l’entièreté de la propriété lui revient de droit.

- Mais… elle est à nous, nous l’avons acheté légalement, essaye de se défendre Lila.

- Pour le moment oui. J’ai bien essayé de l’expliquer à cette personne, mais elle n’a rien voulu entendre. Elle a décidé de saisir la justice pour faire annuler la vente.

- Quoi ?! s’étrangle Ambre.

Une bouffée d’angoisse vient la submergée, telle une vague emportant tout sur son passage. Sa respiration se fait plus difficile et ses mains se mettent à trembler. Son cerveau ne veut pas encaisser la nouvelle. Il n’arrive pas à capter ce que cela pourrait signifier pour elle, pour Lila, pour leur projet. Pour leur vie tout entière. Voyant leur tête déconfites et paniquées, le notaire essaye de les rassurer.

- Je comprends que c’est un choc pour vous, mais ne vous inquiétez pas, nous allons trouver une solution.

- Excusez-moi de poser cette question, mais a-t-il le droit de faire ça ? demande d’une petite voix Lila.

- Eh bien, il est vrai que vous êtes maintenant les propriétaires légales du domaine. Cependant, s’il arrive à prouver qu’il est bien l’héritier légitime et qu’il y a eu un vice de procédure dans la vente, la justice pourrait pencher en sa faveur.

- Ça veut dire qu’on va tout perdre ? demande de nouveau Lila, les larmes aux yeux.

L’homme en face ne répond pas, mais son regard compatissant ne laisse aucun doute aux filles. L’air dans le bureau est devenu lourd, Ambre a du mal à respirer. Après la détresse, une bouffée de colère monte en elle.

- Mais c’est qui cet enfoiré qui veut tout nous prendre ? dit-elle un peu plus violement qu’elle ne le pensait.

Loin de le prendre mal, le notaire se tourne vers elle et lui répond gentiment.

- Le secret professionnel m’interdit de dévoiler toutes les informations que j’ai en ma possession. Cependant, je peux vous dire certaines choses. Il s’agit d’un homme dont le grand-père été marié avec Mme Howard.

- Mais elle n’avait pas de famille, pas de petit fils ! s’indigne Ambre.

Lila ne dit rien, mais du coin de l’œil la jeune femme la voit s’essuyer les yeux du revers de la manche. Ambre est traversée par un tel flot d’émotion contradictoire, qu’aucune n’arrive vraiment à s’exprimer entièrement.

- Effectivement, Mme Howard n’avait pas de petit-enfants. Elle a été mariée quelques années avec un homme qui avait déjà un fils, mort assez jeune. Ils se sont séparés, mais le divorce n’a jamais été légalement prononcé. Ils avaient un régime de partage des biens, ce qui fait que légalement, ce qui était à l’un, était aussi à l’autre. Son ex-mari est décédé, donc tous ses biens sont revenus à sa femme légale, Mme Howard. Et lorsque cette dernière a disparu à son tour, son petit-fils par alliance aurait dû être son héritier.

Ces mots emportant avec eux les derniers fragments d’espoir qu’Ambre avait gardé. Elle s’affaisse contre le dossier de sa chaise, ne trouvant plus rien à dire.

- Qu’est-ce… qu’est-ce qu’on peut faire ? demande Lila d’une voix tremblante. Quels sont nos recours ?

- Pour le moment, la propriété est toujours votre, rien n’est encore prouvé. Vous pouvez en jouir comme bon vous semble, continuer vos activités. Tant que rien n’est décidé au niveau juridique, vous en serez les propriétaires. J’aimerais pouvoir faire plus pour vous, mais ce n’est pas mon rôle. C’est la justice qui va prendre le relais. Vous allez donc être contacté par son avocat pour la suite de la procédure. Tout n’est pas perdu, la justice pourra peut-être pencher en votre faveur, mais je vous conseille tout de même de prendre un avocat pour vous aider et vous défendre.

- Et si jamais la justice ne penche pas en notre faveur comme vous dite, on perd tout ? Tout ce qu’on a construit et investit ? Toute notre vie ? C’est ce que vous êtes en train de nous dire ? Parce que j’ai peur de mal comprendre, s’emporte Ambre.

- Je suis sincèrement désolé pour vous et votre situation, mais comme je vous l’ai dit, je ne peux pas faire plus, même si j’aimerais vous dire le contraire. C’est à la justice de trancher.

***

Le trajet du retour se fait dans le silence le plus total. Aucune des filles n’a le cœur, l’envie ou l’énergie de parler. Lila doit être à son troisième paquet de mouchoirs à force d’essuyer les larmes silencieuses qui dévalent ses joues depuis qu’elles ont quitté l’office du notaire. Ambre se dit qu’elle a bien fait de prendre le volant, parce que son amie n’aurait rien pu voir à travers ses yeux embués. Elle, n’est pas dans un meilleur état émotionnel. A l’intérieur, Ambre vit une véritable bataille de sentiment. La peur s’entremêle à la colère, qui percute la tristesse et le désespoir, si bien que la jeune femme ne sait pas du tout comment gérer, ni exprimer tout ça. Pour le moment, tout ce qu’elle comprend, c’est qu’elle est totalement perdue et qu’elle aimerait que ce bourdonnement incessant s’arrête.

Arrivée chez elles, qui ne le sera peut-être bientôt plus, ne peut s’empêcher de penser Ambre, elle gare la voiture et se dirige vers la maison. Gabriel et Noah son assis sur la terrasse, une bière à la main. Quand ils les entendent arriver, ils tournent leur regard vers les deux jeunes femmes et sourient. Voyant les yeux rougis de Lila, le visage de Gabriel se ferme et un trait d’inquiétude vient barrer son front. Il se lève et s’approche d’elle. Lila se précipite vers lui et explose en sanglot au moment où le musher referme les bras dans son dos. Noah fixe Ambre, attendant une explication, mais cette dernière ne sait pas par quoi commencer. Avec un grand soupir, elle se laisse choir sur la chaise en face de son compagnon et son sac à main produit un bruit mat quand elle le pose au sol. Elle ne sait pas vraiment pourquoi elle fait ça, mais sur le moment, cela lui parait la meilleure chose à faire. Elle se penche en avant, s’empare de la bouteille en verre que tenait Noah il y a quelques secondes et la porte à ses lèvres. Elle boit une très longue gorgée de bière. Elle sent le liquide amer et frais descendre dans sa gorge et calmer petit à petit le tumulte des émotions à l’intérieur de son crâne. Noah se lève à demi de sa chaise et se penche vers elle.

- Oh là ! Ça suffit comme ça, tu en as assez but, lui dit-il en lui retirant la bouteille des mains et en la posant devant lui.

Ambre se cale au fond de son siège et fixe Noah. C’est bizarre, elle le trouve un peu flou et il bouge de façon étrange, comme s’il tanguait légèrement de droite à gauche. Son sourire en coin lui montre qu’il est amusé par quelque chose qu’elle ne capte pas, mais ses yeux ont pris une teinte vert sapin, preuve que quelque chose le tracasse. Il la fixe encore quelques minutes. Il jette un coup d’œil à Lila toujours dans les bras de Gabriel. Ce dernier essaye d’apaiser la jeune femme en lui massant le dos avec tendresse. Noah s’impatiente et croise les bras sur la table.

- Bon, vous allez nous dire ce qu’il se passe à la fin ?

Gabriel entraine Lila vers la table, prend une chaise et la fait s’assoir sur ses genoux, la tenant fermement par la taille. Ambre prend une grande inspiration et raconte leur rendez-vous chez le notaire. Elle n’omet aucuns détails, parlant de l’attitude de la secrétaire, de la couleur des chaises de la salle d’attente et imite même le ton lent et trainant de Maitre Bergeron. Ambre sait qu’elle aurait pu aller droit au but, expliquer les faits simplement, mais elle préfère raconter cet évènement qui bouleverse sa vie, leur vie à tous, comme s’il s’agit d’une simple fiction. C’est plus simple à gérer et demande beaucoup moins d’implication émotionnelle. A la fin de son récit, les larmes qui avaient finies par sécher sur les joues rougies de Lila se remettent à glisser librement. Gabriel lui caresse les cheveux d’une main, lui chuchotant des mots doux à l’oreille pour essayer, en vain, de la réconforter. Ambre se tait, jette un regard à Noah sans parvenir à déchiffrer son expression et se perd dans la contemplation du coin de verger qu’elle aperçoit derrière le manoir. Les pommiers commencent à prendre de jolies couleurs verdoyantes et dans quelques mois, ce petit coin tranquille grouillera de monde avec le début de la récolte… Ambre s’arrête net dans sa réflexion. Son cœur s’emballe et ses mains se mettent à trembler. Elle les fait passer sous la table pour que personne ne remarque son trouble. Dans quelques mois, il n’y aura plus de verger grouillant de monde. Plus de pommiers en fleur qui embaument toute la propriété. Plus de confiture et de compote fait maison. Plus de rires se répercutant le long des troncs lorsque Lila réagit à l’une de ses blagues nulles. Plus de marchés l’été, leurs étals pleins de fruits aux couleurs chatoyantes et les allées remplies de touriste. Dans quelques mois, quelques semaines, il n’y aura plus de Manoir de Jadis… C’est à ce moment-là, en regardant un oiseau se poser sur une brache basse qu’Ambre réalise vraiment ce qui est en train de se passer dans sa vie. Une vague de détresse vient la percuter de plein fouet, si bien que son seul réflexe est de faire ce qu’elle fait toujours quand quelque chose est trop dur à surmonter, elle l’occulte. Elle se lève de table après avoir récupérer son sac par terre.

- Bon c’est pas que je m’ennuie avec vous les gars, mais j’ai du boulot. C’est pas en se tournant les pouces qu’on va faire tourner notre business.

Lila relève la tête de l’épaule de Gabriel et la fixe en fronçant les sourcils.

- Ambre tu…

Sans lui laisser le temps de continuer, la grande brune se précipite à l’intérieur de la maison. Elle sait que Lila n’est pas dupe. Elle la connait par cœur. Et si jamais elle se mettait à l’écouter, elle devrait faire face à la situation, chose qui lui paraît insurmontable. Elle se précipite dans son bureau et se plante devant son ordinateur. Elle fixe l’écran dans le vide, sans savoir ce qu’elle fait là, ni pourquoi. Dans le couloir, des pas se font entendre. Ambre ferme les yeux très fort pour se donner une contenance et les réouvre au moment où la porte s’ouvre sur Noah. Elle plaque un sourire sur son visage et fait semblant d’être occupée.

- Tu as deux minutes ? demande le brun ténébreux depuis la porte.

- Pour ? répond innocemment la jeune femme sans lever les yeux de son fond d’écran.

- Il faut que je te montre quelque chose. C’est assez urgent, rajoute-t-il en voyant qu’elle ne l’écoute qu’à moitié.

- C’est que j’ai plein de…

- Ambre, la coupe Noah sans être cassant.

- Ok d’accord, mais ça a intérêt d’être rapide.

Elle se lève et lui passe devant sans même le regarder. Il est la seule personne avec Lila à arriver à passer outre ses barrières. La jeune femme sait qu’il suffirait d’un regard de son amoureux pour qu’elle s’effondre sans pouvoir se relever. Il la guide à l’extérieur. Leurs amis ont déserté la terrasse. Ambre ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de culpabilité en pensant à Lila. Elle n’arrive pas du tout à être présente pour elle aujourd’hui alors qu’elle doit faire face aux mêmes violentes émotions qu’elle. Noah l’entraîne derrière le garage et ouvre la porte de l’atelier. Il s’agit d’un grand espace avec des établis, des étagères pleines de vis, de clous, et des machines soigneusement accrochées aux murs. Ambre adore cet endroit chaleureux qui sent la poussière, la peinture et surtout la sciure de bois. C’est un endroit qu’elle partage avec son menuisier aux yeux couleurs d’émeraude. Noah possède son propre atelier sur la route de Mont Tremblant, bien plus grand et professionnel que celui-ci, mais il lui arrive de l’utiliser de temps en temps. Ambre, elle, s’en sert pour rénover de vieux meubles et leur donner une seconde vie.

- Bon qu’est-ce que tu voulais me montrer ? demande-t-elle impatiente.

- Approche, lui dit Noah en continuant vers le fond gauche de l’atelier, derrière une étagère remplie de pot de peinture de toutes les couleurs.

- Tu m’as fait me déplacer pour me montrer ça ? dit-elle dubitative.

Noah hoche la tête, sûr de lui. Il est posté à côté de la verrière pleine de poussière. Il s’est aménagé cet endroit pour en faire une sorte de salle de sport. Un banc de musculation est placé d’un côté, des altères posées au sol. Une barre de traction est accrochée au mur. Le jeune homme se tient au centre et passe sa main sur un énorme sac de boxe en cuir pendu au plafond. Il a dû faire l’objet de nombreux combats au cours de sa longue carrière. Des coutures irrégulières s’étendent aléatoirement sur sa surface dure et rugueuse.

- Quand j’ai besoin de me défouler, je viens ici, dit Noah en poussant le sac qui couine légèrement en se balançant sur sa chaine.

- Et qu’est-ce que je dois comprendre ? demande prudemment Ambre.

- Que tu as besoin d’extérioriser.

A ces mots, le cœur de la jeune femme fait un bond dans sa poitrine et bat plus vite. Instinctivement, elle fait quelques pas en arrière. Noah se rapproche doucement sans la quitter des yeux.

- Je sais ce que tu es en train de faire Ambre. Et tu sais aussi bien que moi que ce n’est pas la bonne solution.

- Et qu’est-ce que je suis en train de faire Monsieur-je-sais-tout ?

- Tu fuis tes émotions.

- N’importe quoi… souffle Ambre. Bon j’ai du boulot, franchement si tu m’as fait me déplacer que pour me montrer ton vieux sac qui pue la mort, merci bien…

La jeune femme se retourne pour partir, mais Noah est plus rapide. Il enroule ses doigts autour de son poignet et la retient sans pour autant lui faire mal.

- Lâche-moi, lui ordonne-t-elle sans se retourner.

- Non, dit-il d’un ton catégorique.

- Noah, dit Ambre pour le prévenir que sa patience a des limites.

Au lieu de l’écouter, le métis la tire doucement vers le sac de boxe et se place derrière elle, les mains sur ses épaules pour l’empêcher de partir. Quand il prend la parole, elle sent son souffle dans ses cheveux. Un frisson lui parcourt l’échine, mais la tempête qui fait rage dans son esprit l’empêche de l’apprécier à sa juste valeur. Son corps réagit toujours au contact de Noah, mais son cerveau est ailleurs.

- Laisse sortir ce qui ne va pas. Imagine tout ce qui te pourrit la vie, ce qui te stresse, ce qui te rend triste, ce qui te fait peur et frappe le plus fort que tu peux. Tu vas voir ça va te faire du bien.

- Mais non enfin ! Pourquoi je devrais faire ça ? Je vais très bien alors lâche moi.

- Frappe, l’encourage Noah.

- Tu me gonfle vraiment. C’est ridicule. Tu es ridicule, s’énerve Ambre après un silence.

- C’est moi qui suis ridicule ? s’étonne-t-il. Je vais aller chercher un miroir parce que là c’est la meilleure ! C’est toi qui réagit comme une enfant capricieuse. Tu te ridiculise toute seule.

A ces mots, Ambre se retourne pour lui faire face. Elle sent la rage monter en elle face au ton dédaigneux qu’a employé son petit ami pour lui parler.

- Je t’interdis de me parler sur ce ton, souffle-t-elle les dents serrées.

- Ou sinon quoi ? questionne Noah un sourire au coin des lèvres en penchant légèrement la tête sur le côté. Qu’est-ce que tu vas faire ?

Ambre le dévisage et fait un pas sur le côté pour se dégager de son emprise, mais Noah la retient plus fermement.

- Je n’ai pas envie de parler avec toi, alors lâche moi et fout moi la paix !

- Tu vois ? Tu recommence.

- Je recommence quoi ? hausse le ton Ambre

- Tu fuis.

- Mais putain, arrête de dire ça ! Je ne fuis rien du tout !

- Si, c’est exactement ce que tu fais. Tu fais toujours ça. Tu fuis. Tu te caches. Tu fais comme si tout allait bien, alors que non. Quand quelque chose de grave t’arrive, tu fais comme si rien ne pouvait t’atteindre, alors que c’est faux. Le pire c’est que tu ne t’en rends même pas compte. C’est triste d’être aveugle et bornée à ce point quand même…

- Ferme la Noah… vraiment ferme la… murmure Ambre à bout de patience.

- Tu ne trouves rien à redire, donc c’est qu’au fond de toi, tu sais que j’ai raison. Arrête de tout enfouir et laisse sortir ce qui ne va pas. Sinon ça va pourrir à l’intérieur et c’est pire.

Cette leçon de moral est la goutte d’eau qui submerge Ambre. Elle a rarement été aussi énervée qu’en ce moment. Elle n’a qu’une envie, que Noah disparaisse de sa vue avec ses grands discours et qu’il se taise. Elle ne veut plus entendre toutes ses piques qui lui font mal un peu plus à chaque fois. D’un mouvement brusque elle se dégage des mains du jeune homme. Elle fait deux pas en arrière pour lui faire face, les poings serrés le long de son corps tendu. Elle percute le sac de boxe qui produit un son sinistre en se balançant.

- Moi je fuis et je me cache ? cri-t-elle, hors d’elle. Tu te fous vraiment de ma gueule là !

- Oui tu fuis et tu le sais, sinon tu ne réagirais pas aussi violemment, réplique Noah sur un ton calme qui énerve encore plus Ambre.

- Mais tu t’entends ? C’est toi qui me fait une leçon de morale sur le fait de fuir et de me cacher derrière des apparences. C’est la meilleure ça ! dit-elle avec un rire mauvais.

- Qu’est-ce que tu insinues ? demande Noah soudain tendu.

- Oh ben je sais pas… dans le genre je cache des choses, tu es quand même passé pro en la matière. Donc tes leçons de morale tu peux te les mettre où je pense.

- Ne change pas de sujet. On n’est pas là pour parler de moi.

- Ah c’est sûr, ça t’arrange ! De toute façon tu ne veux jamais parler de toi, donc pourquoi j’essaye !

Noah plisse les yeux et expire longuement, les épaules tendues.

- Ne pars pas sur ce terrain-là.

- Ah tu vois, c’est pas agréable hein ? Donc arrête de me pousser à bout, fout moi la paix et je te laisse tranquille avec ton passé trouble et tes problèmes chroniques de communication.

- Je n’ai aucun problème de communication ! s’énerve à son tour Noah.

- Mensonge ! Si je ne te pose pas de questions, tu ne dis rien. Par exemple, si je ne te demande pas comment ça s’est passé avec ta mère, je suis sûre que tu ne m’en parleras pas ! Tu sais quoi ? Je commence à en avoir marre d’essayer… dit Ambre en secouant la tête, soudain lasse de cette dispute.

Elle lui tourne le dos pour essayer de se calmer et de retrouver des pensées cohérentes, mais rien n’y fait. Elle entend Noah marcher derrière elle et respirer bruyamment. Elle est épuisée et sent les larmes monter mais ne les laissent pas franchir les barrières de ses paupières.

- Si tu veux tout savoir, je ne sais pas quoi penser de ma visite chez ma mère… commence Noah tendu. Ça m’a fait bizarre de retourner là-bas après tout ce temps. J’avais l’impression de revenir chez moi, de revoir les gens qui m’étaient cher, de retrouver les endroits que j’ai toujours connu et que j’aimais, mais en même temps je me sentais comme un étranger qu’on regarde bizarrement. Et avec ma mère, je ne sais pas non plus… on a parlé, on s’est expliqué mais ce n’est plus comme avant… J’ai l’impression que le temps à fait trop de dégâts et qu’on ne se connaît plus vraiment, qu’on ne se comprend plus. Et avant que tu me dises que c’est une bonne chose d’avoir fait un premier pas, que tout va s’arranger, franchement je ne sais pas… J’ai l’impression que je suis plus perdu encore qu’avant. Et puis elle m’en veut toujours pour… enfin bref. Voilà je t’ai parlé. Tu es contente ?

Noah s’arrête d’arpenter la pièce et se tourne vers Ambre. La tristesse et la détresse qu’elle perçoit une fraction de seconde dans ses yeux verts lui tordent le ventre. Puis, il reprend son air mystérieux que rien ne peut atteindre et s’approche d’elle.

- Je me suis livré, à toi maintenant. C’est le deal, dit-il d’une voix grave.

Ambre prend une respiration difficile et dit d’une voix roque :

- Je ne vois pas ce que je pourrais te dire franchement. Tout va bien.

Noah se rapproche encore d’elle et se trouve désormais à moins d’un mètre. Elle sent son odeur enivrante, mélange de forêt, de sapin et aussi de cigarette, ce qui la fait tiquer. Il penche la tête sur le côté pour la regarder.

- Tout va bien ? Vraiment ? Donc ça ne te fait rien de perdre ton boulot ?

- Arrête… le prévient-elle.

- Tout ce que tu as construit, tous les efforts que tu as fourni sans arrêt depuis des années n’ont servi à rien.

- Stop, dit Ambre d’une petite voix.

Son cœur bat la chamade et ses jambes se mettent à trembler. Elle tend une main vers Noah et la pose sur son torse pour l’empêcher d’avancer plus prêt. Elle sait que s’il la touche, il va briser ses barrières et elle ne va pas s’en remettre.

- Tu vas perdre ta maison et tout ce qu’elle représente, et toi tu ne dis rien ? Au final c’est vrai, tu pourras toujours trouver un boulot ailleurs. Les fast-foods recrutent en permanence. C’est pas très grave en fin de compte. Ce n’était qu’un job comme un autre. C’est pas comme si c’était l’accomplissement de ta vie, comme si monter ton entreprise était ce que tu avais toujours voulu.

- Noah, grogne-t-elle en sachant qu’il va quand même continuer.

- Et puis après tout, c’est peut-être une bonne chose que vous perdiez le Manoir. C’est vrai, Lila a trouvé un mec et est plus heureuse que jamais. Elle va s’en remettre. A la base ce projet c’était pour qu’elle se reconstruise et maintenant que c’est chose faite, il n’y a plus d’intérêt à rester là. Au final, tu ne lui as servi que de tremplin pour mieux sauter. Elle va vivre sa vie heureuse avec Gabriel. C’est ce que tu voulais non. Après tout, tout ça c’était pour elle, pas vraiment pour toi.

Ça en est trop pour Ambre. Noah est en train de faire ressortir ses plus grandes peurs, ses plus grandes incertitudes avec une minutie affolante. En même temps qu’elle lui cri d’arrêter de dire des conneries, elle lève le bras et le frappe au torse. Il ne recule pas d’un pouce, n’ayant presque pas senti le coup, bien qu’elle y ait mis de la force et que son bras lui fasse mal. Noah affiche un sourire en coin.

- Tu as toujours la solution de rentrer en France chez tes parents. Ils n’attendent que ça en plus non ? D’accord tu vas avoir droit toute ta vie à des remarques du style « on t’avais prévenu que ça ne marcherait pas », « tu ne nous as pas écouté », « on savait très bien que tu n’étais pas faite pour ça », ou « tu n’as pas les épaules assez solides ». Mais tu sais quoi, c’est pas grave. Ça arrive les échecs. On s’en remet.

- Arrête, arrête, arrête ! hurle Ambre en le tapant frénétiquement sur le torse.

Noah se laisse faire sans broncher. Chaque coup qu’elle porte lui fait du bien et du mal. Elle ne sait plus ce qu’elle fait. N’arrive plus à se contrôler.

- Et puis si tu repars, tu trouveras un mec en France. Moi je continuerais ma petite vie de mon côté de l’océan et toi la tienne de l’autre. Après tout, qui a dit qu’on devait vivre heureux dans la vie. Il suffit de vivre, c’est bien suffisant. Parce que bon, soyons réalistes, s’il n’y a plus de Manoir, notre couple est voué à l’échec. C’est lui qui nous a fait nous rencontrer et nous a construit. Sans lui, nous deux on n’est rien. On ne se serait jamais croisé. Je ne t’aurais jamais abordé dans la rue. J’aurais continué à me taper toutes les meufs du coin, à n’avoir que des histoires sans lendemain.

Ambre continue de le taper et de se débattre dans les bras de Noah, qu’il a refermé sur elle. A mesure qu’il lance son venin, la terreur s’insinue dans tous les pores de sa peau, la grignotant petit à petit. Toutes ses plus grandes peurs sont en train de refaire surface et de la submerger. Elle se sent prisonnière. Elle suffoque. Elle étouffe.

- Tais-toi, lui crie-t-elle. Tais-toi, je ne veux plus t’entendre !

- Mais au final, c’est vrai. C’est toi qui a raison. Tout va bien, il n’y a rien de grave, continue le jeune homme comme s’il ne l’avait pas entendue. Après tout, qu’est-ce que ça peut faire qu’un enfoiré soit sur le point de t’enlever tout ce que tu as construit dans ta vie et tous les gens à qui tu tiens.

- Je te déteste ! lance Ambre la voix coupée par un sanglot refoulé.

Ses barrières sont sur le point de rompre. Elle essaye désespérément de retenir le flot d’émotion qui se précipitent à l’intérieur, manquant la déchirer de toute part. Noah lui assène le coup de grâce en se penchant sur elle et en lui murmurant :

- Il va tout t’enlever et tu vas finir seule. Sans rien. Pas de travail épanouissant. Pas d’argent. Pas de maison que tu auras mis tout ton cœur à aménager. Pas de famille parce que tu seras trop fière pour admettre ton échec. Pas d’amis parce que personne ne va vouloir supporter le poids que tu seras devenu. Pas de Lila qui va faire sa vie heureuse avec Gabriel. Plus de nous parce que deux âmes perdues et torturées ensemble, ça ne peut pas marcher… Tu vas finir seule. Désespérément seule.

A ces mots, le barrage intérieur d’Ambre cède et emporte tout sur son passage. Elle explose en sanglots dans les bras de Noah, qui la retient pour ne pas qu’elle tombe. Il se laisse glisser au sol, l’entraînant avec lui. Les larmes trop longtemps retenues et les sentiments trop souvent refoulés refont surface, si bien qu’Ambre ne peut plus s’arrêter. Elle s’accroche de toute ses forces au t-shirt blanc de Noah comme à une ancre. Il la berce en lui disant des paroles réconfortantes qu’elle ne comprend pas. Elle ne sait pas combien de temps s’écoule avant que ses pleurs se calment, mais le torse de Noah est complètement mouillé de son chagrin. Il n’a pas arrêté de lui parler et le son grave et profond de sa voix l’apaise.

- Là ma belle, calme-toi, lui dit-il en traçant des cercles du bout de ses doigts sur son bras. On va trouver une solution, je te le promets. Ça va aller. Tu vas t’en sortir. On va s’en sortir tous ensemble.

Ambre est incapable de parler, mais elle hoche la tête pour lui signifier qu’elle l’écoute et qu’elle le croit. Après un silence entrecoupé de sanglots de plus en plus espacés, il reprend.

- Je suis désolé pour tout ce que je t’ai dit mon cœur. C’était la seule solution pour que tu admettes ce qui se passe, mais sache que je ne pense pas ce que j’ai dit.

La jeune femme ne répond pas et laisse juste échapper un soupir douloureux. La main du métis se dirige vers son visage qu’il prend doucement entre ses doigts pour lui faire relever le menton. Ses yeux lumineux reflètent l’inquiétude.

- Tu n’es pas seule. Tu ne le seras jamais, d’accord ? Lila ne va pas partir. On va se battre pour rester chez nous. Et je ne te laisserais jamais. Je serais toujours là pour toi. Tu comptes beaucoup trop à mes yeux. J’espère que tu comprends que tout ce que j’ai dit c’était pour te faire réagir et pas pour te blesser. J’espère que tu pourras me pardonner…

Ambre laisse couler des larmes que Noah intercepte avec son pouce. Cette fois, elle ne pleure plus à cause du désespoir ou de la peur, du moins en partie. Cette fois, des larmes d’émotions positives, d’amour et de bonheur viennent contrebalancer le reste. Elle se sent un peu mieux plus apaisée, plus légère.

- Merci, murmure-t-elle la voix rendue roque après sa crise de pleur.

Noah lui sourit et se penche vers elle pour l’embrasser avec tendresse. Il met dans son baiser toute la force et l’amour qu’il possède pour lui montrer qu’elle n’est pas seule. Le cœur d’Ambre s’accélère et un fourmillement familier vient se loger dans son bas ventre. Il se recule un peu et lui dit en caressant ses lèvres :

- Tu sais que ta voix est sexy quand tu viens de pleurer ? A croire que j’ai un fantasme pour les routiers…

Cette blague à le mériter de tirer un sourire à la jeune femme. Il n’y a que lui pour me faire passer de la rage, aux pleurs, puis me faire rire avant de me donner envie de… pense Ambre avant qu’elle ne soit interrompue par les baisers de Noah dans son cou. Sa respiration se fait plus pressante. Son cœur s’affole alors que son amoureux vient titiller son lobe d’oreille avec les dents. Elle se cambre dans ses bras pour exposer un peu plus sa peau. Puis, lentement Noah se redresse et se lève, l’entrainant avec lui. Il lui prend la main et se dirige vers la porte. Ambre s’arrête et le dévisage, interdite.

- Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-elle.

- Euh… ben on rentre non ? dit-il les sourcils froncés.

Ambre ouvre de grands yeux et croise les bras sur sa poitrine.

- Donc toi, tu me fais m’énerver, me dis les trucs les plus horribles de la terre pour me faire avoir une crise de nerf. Et après tu me chauffe pour au final t’arrêter et partir ?!

- Euh… ben c’est que… dit Noah à court de mots en se grattant la nuque.

Ambre sourit intérieurement. Elle est fière de l’avoir pris à son propre jeu. Il semble perdu et désolé à la fois.

- Remarque, je comprends. Je dois avoir une mine de folle sortie de l’asile qui ne doit pas donner envie, le taquine-t-elle.

Le regard de Noah change en une fraction de seconde. Il se rapproche d’elle, son torse touchant presque sa poitrine. Ambre doit pencher la tête en arrière pour ne pas perdre le contact avec ses yeux. Il pose une main sur sa joue et fait remonter l’autre le long de son bras jusqu’à son cou. Des frissons viennent lui chatouiller la peau, laissant un sillon brûlant sur leur passage.

- J’ai toujours envie de toi, murmure-t-il d’une voix roque.

Le cœur d’Ambre s’affole et pour illustrer son propos, Noah se colle un peu plus à elle. Pas de doute, elle le croit sur parole en sentant la bosse durcie de son entrejambe contre elle.

- C’est juste que je pensais que ce n’était pas le bon moment après… tout ça.

Ambre a le cœur qui se serre face à sa prévenance. Malgré les apparences, il cherche toujours à faire ce qui lui semble bien pour les autres et elle l’aime encore plus pour ça.

- Merci… mais je crois qu’on a tous les deux besoins d’évacuer… et que ça nous ferait du bien… enfin, en tout cas ça me ferait du bien… de penser à autre chose… de ressentir autre chose que ce merdier, avoue Ambre en sentant ses joues s’empourprer.

Dans un grognement Noah pose une main sur les reins de la jeune femme et la colle à son corps. Il s’empare de sa bouche et lui donne un long baiser qui la laisse pantelante. Elle passe les mains derrières sa nuques et enfouie ses doigts dans ses cheveux bouclés. Elle répond à son baiser en lui mordillant la lèvre et en jouant avec sa langue. Puis elle entrouvre légèrement la bouche et la langue de Noah vient rencontrer la sienne. Tout son corps s’embrase et le sang pulse dans ses tempes et plus bas dans son corps, bien plus bas. D’une main, le métis la soulève de terre et l’assoit sur l’établi le plus proche, encore plein de sciure et de copeaux de bois. Il se place entre ses jambes sans jamais lâcher sa bouche. Quand Ambre se décale pour mordiller la peau tendre de son cou, Noah grogne. Elle glisse une main sous son t-shirt, caressant son dos musclé. Elle lui retire son vêtement avant d’embrasser son ventre plat et sculpté. Ses doigts se perdent sur le bouton de son pantalon. Elle le voit retenir son souffle alors qu’elle descend lentement la fermeture éclair. Noah l’embrasse dans le cou et essaye de lui retirer son haut en velours rouge, sans succès. La jeune femme rit face à son air désabusé.

- C’est un body !

Le grand brun jure dans sa barbe et lui enlève son pantalon en la soulevant légèrement. Il se recule pour la regarder plus en détail. Son regard la parcourant envoie des vagues de chaleur dans tout le corps d’Ambre.

- Tu devrais en mettre plus souvent, déclare enfin le jeune homme.

La jeune femme sourit et saute en bas de l’établi pour venir l’embrasser. Au fur et à mesure, leur baiser se fait plus enivrant, plus sensuel, plus pressant. Les deux amants ne se séparent que le temps de reprendre leur souffle. Les doigts d’Ambre se perdent sur et dans le boxer de Noah, lui arrachant une plainte de plaisir, alors que de son côté, il dégrafe les pressions du body de la jeune femme et caresse son intimité. Des décharges électriques parcourent le corps d’Ambre et ses jambes commencent à trembler. Un éclair de lucidité la frappe alors que le jeune homme s’approche d’elle.

- Attends, on n’a pas de…

Elle ne finit pas sa phrase, arrêtée par le clin d’œil que vient de lui lancer Noah. Il porte la main à la poche arrière de son jean et en ressort un préservatif.

- Pervers, lui lance Ambre avec un sourire.

- Oui, mais tu aimes ça, répond-il en faisant glisser son pantalon sur ses jambes, libérant son érection. Prête ?

Ambre hoche la tête. Noah la prend par la taille et lui fait faire demi-tour. Elle se retrouve dos à lui. Il se presse contre elle. Elle sent son sexe dressé caresser ses fesses. Son cœur s’emballe et un gémissement s’échappe de ses lèvres. Le jeune homme garde une main sur sa hanche et de l’autre, il enroule sa longue chevelure autour de son poignet, la tenant fermement dans son poing. Il tire dessus de façon à relever la tête d’Ambre pour lui donne un baiser brulant avant de la faire se pencher en avant sur l’établi. Il lui écarte les jambes avec son genou. Sans prévenir, il la pénètre d’un coup de reins, lui arrachant un cri de plaisir. Noah enfoui la tête dans son cou avec un grognement. Il entame alors un va et vient lancinant, faisant monter la pression avec une lenteur délibérée. Ambre essaye de bouger pour mettre fin à cette douce torture, mais le jeune homme l’immobilise toujours avec ses cheveux. Puis, petit à petit, il augmente le rythme. Leur respiration se fait plus chaotique. Le corps d’Ambre frotte contre le bois de l’établi. La sciure vole autour d’eux, les enveloppant de son odeur réconfortante. La jeune femme n’entend plus que le battement frénétique de son cœur. A chaque fois que son corps se contracte, Noah pousse un grognement roque, décuplant le plaisir de la jeune femme. Quand le rythme imposé devient encore plus effréné, il se penche sur elle et lui mordille la peau du cou. Ça en est trop pour Ambre. Tout son corps se tend alors qu’une décharge de plaisir la traverse. Elle ne peut retenir un cri qui vient briser le silence de l’atelier. Quelques secondes plus tard, les contractions se son corps sur le sien font jouir à son tour Noah, qui s’effondre sur le dos de la jeune femme. Ils restent quelques instants dans cette position, reprenant leur souffle. Puis, ils se redressent et Noah prend Ambre dans ses bras.

- Merci, lui murmure-t-elle.

Avant de reculer, il lui dépose un baiser sur la joue. Quand elle le regarde dans les yeux, il lui sourit. Il a réussi à faire disparaître un peu de la tension qui bouillait dans ses veines.

- Prête pour le conseil de famille ? lui demande-t-il alors qu’ils se dirigent vers la maison après s’être rhabillés.

- Pour quoi ?

- Ben oui, on est une famille non, j’inclus Gabriel maintenant bien sûr. On va se défendre et garder ce qui nous appartient.

Les larmes menacent de refaire surface, mais Ambre arrive à les empêcher de couler. Elle serre la main de Noah. Elle a retrouvé un peu de confiance. Ils ne vont pas se laisser faire et trouver une solution. Ils vont se battre et s’en sortir.

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