Chapitre 4

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Lila est en train de faire chauffer l’eau pour son thé, lorsqu’elle entend des pas dans l’escalier. Ambre doit être réveillée. Elles ont beau avoir un appartement chacune, en réalité, elles n’y vont que pour dormir. Elles vivent en vrai colocation, profitant au maximum des espaces communs. Tous les matins, elles se retrouvent donc pour prendre le petit déjeuner ensemble et discuter du programme de la journée. Ambre entre en sautillant dans la cuisine. Elle passe à côté d’elle, lui dit bonjour en lui faisant un bisou sur la joue, récupère son bol dans l’armoire et va s’assoir en face, devant l’ilot central.

- Y en a une qui a l’air d’avoir bien dormi ! annonce Lila en souriant.

Son sourire se transforme en grimace lorsqu’elle s’assoit à son tour. Elle a l’impression que son corps est passé sous un camion. Tous ses muscles lui font mal. Surtout ceux dont elle ignorait l’existence jusqu’à présent. Son bras est bleu de contusion et le coup sur son menton a viré au jaune violacé. Elle s’estime tout de même heureuse de ne pas avoir de blessures plus graves.

- Oui très bien. Et toi, ça va ? questionne Ambre avec inquiétude.

- Oui ne t’inquiète pas pour moi, je vais bien. J’ai dormi d’une traite, mais ce matin j’ai mal partout. Plus de peur que de mal au final. Ça passera. Alors, ça s’est arrangé avec ton homme ?

- Oui. En fait, je me suis fait des films toute seule. Je suis ridicule d’avoir cru qu’il voulait me quitter. Je suis nulle pour voir les signaux qu’il m’envoie et quand enfin je les capte, je les interprète mal. Je suis pathétique.

- Mais non. L’essentiel c’est que vous ayez pu mettre les choses au clair. Il avait l’air vraiment heureux de te parler.

- Moi aussi. Ça m’a vraiment fait du bien de le voir, même si c’était qu’à travers un écran. J’avais presque oublié à quel point il est canon. Si seulement il avait pu enlever une couche ou deux de vêtements.

Ambre pose son menton sur sa main et soupire de façon théâtrale.

- Ok, on va s’arrêter là. Je ne veux pas connaître plus de détails. Epargne moi ça de bon matin, ça va me couper l’appétit.

Les deux amis éclatent de rire et continuent leur petit déjeuner dans la bonne humeur.

- Au fait, en parlant de mec sexy, est-ce que ton dieu grec t’a envoyé un message ?

- Premièrement, il n’y a pas de mon qui tienne, il m’a juste aidé, je ne le connais pas. Deuxièmement, non il ne m’a rien envoyé et d’ailleurs je ne vois pas pourquoi il l’aurait fait. Et arrête de l’appeler dieu grec enfin !

- Oh je suis déçue ! Admets quand même qu’il est incroyable. Tu as vu ses yeux et sa mâchoire carrée virile. Et je suis sûre que sous cette parka XXL se cache un corps de rêve. Un dieu je te dis.

Ambre, boit une gorgée de son thé à la menthe, innocemment. Lila ne l’avouera jamais, mais elle y a songé toute la nuit, à ce corps dissimulé sous ses couches de tissus, à ses mains viriles et puissantes, à ce regard chaleureux, à cette voix profonde et réconfortante, à cette barbe de quelques jours qui ombre cette mâchoire virile, à cette petite cicatrice en forme d’étoile, juste en dessous de son oreille qu’elle aimerait bien... Stop ! Une minute. Comment est-ce qu’elle sait ça ? D’accord, elle l’a dévisagé un moment dans la voiture, mais elle s’est endormie après. Pourquoi son cerveau a-t-il gardé cette information ? Quel traitre ! Elle qui essaye, sans grand succès d’ailleurs, de penser à tout sauf à Gabriel depuis hier. Et voilà que Ambre va s’en mêler. Quand elle a une idée en tête, elle ne lâche pas le morceau si facilement. Et là, elle sent qu’elle s’est investie d’une mission. Ça ne présage rien de bon tout ça.

- D’accord, il est plutôt mignon, je le reconnais. Et alors ? Il y en a plein des mecs mignons dans le coin. C’est juste un mec comme un autre. Et puis ce n’est pas comme si je l’intéressais.

- Première nouvelle ! On vit en plein milieu de la forêt je te signale. Les seuls mecs mignons ici, ce sont les ours ! Alors quand il y en a un qui débarque, il faut sauter sur l’occasion. Tu as vu comment il te dévisageait ? Tu lui as carrément tapé dans l’œil ! Tu aurais été un gros steak grillé avec de la sauce, il t’aurait regardé avec le même appétit. Donc fonce !

- Merci pour la comparaison. Je ne sais pas très bien comment je dois le prendre, éclate de rire Lila. En plus tu as vu notre rencontre, ce n’est pas le truc le plus glamour. Je lui ai pratiquement vomi sur les chaussures et j’avais la tête de Rocky après un combat.

Ambre se met à cracher ses poumons. Elle a avalé son thé de travers, en éclatant de rire alors qu’elle était en train de le boire. Elle se calme au bout de quelques minutes et déclare d’une voix roque :

- Bon c’est vrai, pour faire bonne impression dès le premier regard on repassera. Au moins, dis-toi que tu lui as montré le pire dès le début et que ça ne peut aller qu’en s’améliorant. Regarde ma rencontre avec Noah, on ne peut pas dire que je me suis présentée sous mon meilleur jour et qu’on a commencé sur de bonnes bases. Pourtant c’est ce qui lui a plus. Enfin, je crois…

Ambre repense à ce moment de honte ultime mais qui a changé sa vie d’une façon incroyable.

***

Cela ne faisait que quelques semaines qu’elles avaient débarquées définitivement au Canada. Elles habitaient, ou plutôt elles campaient, dans leur nouvelle maison. C’était sommaire, mais Ambre se plaisait dans cette atmosphère. Les vieux meubles poussiéreux, les napperons en dentelle jaunie, les photos en noir et blanc encadrées de moulures, tout ça l’apaisait. Elle avait une attirance particulière pour les vieilles maisons, mais elle se sentait vite oppressée et apeurée dans ces lieux anciens et abandonnés. Mais ici, les ondes étaient bienveillantes, elle se sentait en sécurité, la bienvenue. La maison était restée inoccupée longtemps, dans son jus, sans que rien ne soit déplacé ou enlevé. L’ancienne propriétaire ne possédait pas d’héritiers. C’était donc à elles de faire le tri dans ses affaires, pas si facile vu la quantité de choses entassées dans la maison. Mais Ambre adorait ça. C’était comme un voyage dans le temps. Elle avait l’impression de mieux comprendre cette vielle femme, solitaire, sans enfant, vivant dans une grande propriété perdue.

En parlant avec les habitants du coin, elles s’étaient aperçues que cette femme ne sortait pas beaucoup de chez elle, qu’elle inspirait même la crainte. Les gens n’aimaient pas trop s’approcher de la propriété et forcément de folles rumeurs courraient à son sujet. Certains disaient que c’était une criminelle qui avait tué et enterré son mari au fond du jardin, d’autres que c’était une sorcière qui s’adonnait à des pratiques sataniques, ou qu’elle séquestrait des enfants. Les spéculations étaient toutes plus fantaisistes les unes que les autres. Cela faisait partie du charme de la maison et Ambre adorait entretenir ce côté mystérieux, voire mystique du lieu.

Elle savait qu’en réalité il ne s’agissait que d’une femme indépendante, avec un fort caractère, passionnée de plantes aromatiques et médicinales (elles avaient d’ailleurs trouvé plein de livres captivants sur le sujet, des carnets annotés et des ustensiles pour préparer des décoctions), incomprise par ses pairs, à une époque où une femme seule était forcément suspecte et accusée de sorcellerie, notamment par la gent masculine. En tout cas, Mme Howard avait très bon goût niveau décoration : des meubles en bois massif, des plats en argents, des tapis usés mais colorés.

En cette belle soirée d’été, Ambre était en train de continuer le rangement qu’elles avaient commencé dans la pièce à vivre. Elle avait sorti tous les livres et les bibelots de la bibliothèque pour les trier. Pour se motiver dans sa tâche, passionnante mais fastidieuse vu le nombre d’ouvrages en tout genre et de romans d’amour, elle avait mis de la musique. Lila était partie faire des courses en ville pour changer un peu d’air. Elle n’en pouvait plus de dépoussiérer, lire les résumés, les placer dans la pile à garder, à donner, à voir plus tard. Elle avait eu besoin de faire une pause, mais Ambre n’avait pas voulu s’arrêter dans sa lancée, de peur de ne pas avoir le courage de s’y remettre en rentrant. Et elles avaient vraiment besoin d’avancer pour que leur projet de chambres d’hôtes voit le jour rapidement et qu’enfin un peu d’argent rentre sur leurs comptes presque vides. Elle avait lancé son iPod en aléatoire, Andy Black alternait avec Ed Sheeran, Jean-Jacques Goldman et les chansons Disney. Perchée sur l’escabeau, elle était en train de récupérer la dernière rangée de livre sur l’étagère la plus haute, quand des notes familières étaient arrivées jusqu’à ses oreilles. Prise par la musique, elle avait sauté en bas des marches, monté le son de l’enceinte et s’était mise à chanter à tue-tête : « chez moi les forêts se balancent et les toits grattent le ciel, les eaux des torrents sont violence et les neiges sont éternelles… ». Céline avait ce pouvoir sur elle, la faire entrer presque en transe. Elle s’était déchaînée en chantant fort, en sautant et en bougeant son corps en rythme sur la musique. Elle s’était presque imaginée sur scène, devant la foule en délire, vêtue d’une robe de créateur… Une fois le morceau terminé, le bruit sourd de mains qui applaudissent l’avait fait revenir sur terre en sursautant. Elle s’était retournée vivement pour voir d’où venait ce bruit. Un homme, grand, très grand d’ailleurs, était appuyé nonchalamment contre le chambranle de la porte, les bras croisés sur sa poitrine. Brun aux cheveux bouclés, un sourire suffisant au coin des lèvres, il l’avait fixé avec deux grands yeux vert émeraude. Ambre était restée interdite, désemparée devant ce mec aux yeux déstabilisants. La première chose à laquelle elle avait pensé avait été : « Oh mon dieu ! J’ai les cheveux gras. Mon chignon est mal fait et part sur le côté. Je porte un vieux short et un débardeur à moitié difforme qui marque tous mes bourrelets. Je n’ai pas épilé mes jambes depuis plusieurs jours. Je ne suis pas du tout présentable. Et en plus il m’a entendu chanter comme un veau qu’on égorge ». Un raclement de gorge impatient l’avait interrompu dans sa lamentation intérieure.

- Merci pour le show, c’était, comment dire…, divertissant, avait déclaré l’inconnu d’une voix grave et mélodieuse.

Ambre, confuse, s’était sentie devenir rouge écarlate et avait demandé en bégayant :

- Euh… vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous faite chez moi ?

- C’est vous qui m’avez demandé de venir. Donc je suis là.

Ne comprenant toujours pas, Ambre s’était contentée de le fixer, ou plutôt de le détailler : t-shirt noir moulant, bras tatoué d’un aigle majestueux à moitié caché sous une manche, jean noir troué au genou, baskets.

- Ça va, ça vous plait ? avait-il demandé sur un air moqueur, ce qui avait provoqué une nouvelle vague de honte chez Ambre. Elle était devenue encore plus rouge qu’auparavant, si cela était physiquement possible.

- Euh, pardon… Je ne sais toujours pas qui vous êtes.

- Entreprise Jacob. Vous m’avez demandé de passer pour faire une estimation des travaux.

Il s’était avancé dans la pièce et était venu à sa rencontre en lui tendant la main. Après une seconde d’hésitation, elle l’avait saisie. Faisant tout son possible pour se reprendre, malgré son cœur qui se croyait en plein carnaval de Rio, elle avait essayé de prononcer une phrase cohérente. Ce fut un échec évident.

- Ah, euh, oui… Je ne savais pas que vous deviez venir aujourd’hui… Très bien… je ne m’attendais pas à…

- Vous voulez peut-être que je repasse à un autre moment ? Vous ne me semblez pas dans votre assiette.

- Non, non.

- Non vous ne voulez pas que je parte ou non je ne me sens pas très bien ? Je ne comprends pas. Il va falloir mettre un peu du vôtre si vous voulez qu’on arrive à communiquer clairement…, ce qui n’est pas gagné pour l’instant.

Il avait dit cette dernière phrase d’un ton moqueur et sûr que lui, ce qui avait fait enrager Ambre intérieurement. Pourquoi ne pouvait-elle pas aligner deux mots cohérents, ni se défendre face à ce mec arrogant ? Elle n’avait d’habitude pas sa langue dans sa poche et trouvait toujours une réplique bien sentie à dire, mais là elle avait été paralysée. Prenant son courage à deux mains, elle lui avait lancé un regard noir et croisé les bras sur sa poitrine en disant :

- J’allais vous dire que vous pouviez rester, mais si vous continuez à être aussi désagréable avec moi, le rendez-vous va vite s’écourter.

- Au risque de vous décevoir, si c’était un rendez-vous, vous le seriez très chère.

Ce sous-entendu avait fini de rendre folle Ambre, tout comme le ton mielleux qu’il avait employé.

- Je vous préviens tout de suite, jamais de la vie je n’accepterai un rendez-vous avec quelqu’un dans votre genre, même si vous étiez la dernière personne sur cette terre. Que ce soit bien clair !

- Si nous étions les deux dernières personnes sur Terre, nous serions occupés avec une activité bien différente. Tout aussi plaisante que de vous faire enrager, mais plus sportive et enrichissante, croyez-moi.

Il avait ponctué sa phrase en haussant ses sourcils charbonneux. Non mais quel culot ! Ambre n’en avait pas cru ses yeux.

- Oh là, on va se calmer hein ! Je ne vous permets pas de me parler comme ça. Vous vous êtes pris pour qui ?

- Avouez que vous y avez pensé.

- Non mais vous êtes sérieux ? Absolument pas ! (c’était un mensonge total). En plus vous n’êtes pas du tout, mais alors pas du tout mon genre (second mensonge).

Elle s’était attendue à une réponse de sa part, mais il s’était contenté de la détailler de la tête aux pieds, son visage ne laissant paraître aucune émotion. Cela avait duré de longues minutes interminables. Elle s’était sentie très mal à l’aise. Elle avait espéré, au fond d’elle, que ce qu’il voyait lui plaisait. Mais elle ne se faisait pas d’illusion, elle avait arrêté avec ça. Déjà elle ressemblait probablement à Cendrillon avant le bal et puis aucun homme ne l’avait jamais regardée, vraiment regardée. Alors lui ne dérogerait pas à la règle, surtout vu son physique. C’est à ce moment-là que Lila, bénit-fut-elle, revint des courses. L’inspection au laser de monsieur fut interrompue et Ambre s’était aperçu qu’il s’était approché d’elle, très près, trop près. Lila avait eu la tête de quelqu’un qui ne comprend pas bien la situation, puis qui soudain à une illumination.

- Oh vous devez être Monsieur Jacob. Je suis désolé Ambre j’ai oublié de te prévenir qu’il devait passer. Enchantée, je suis Lila, avait-elle dit en tendant la main. Vous êtes Jean, c’est ça ?

- Enchanté Lila. Non Jean est mon père. Je m’appelle Noah.

- Je vais vous montrer les plans et ce qu’on prévoit de faire. Venez c’est par là.

Elle lui avait fait signe de se diriger vers la cuisine. En passant devant Ambre, Noah avait osé lui faire un clin d’œil complice. Comme s’ils avaient gardé les cochons ensemble ! Elle avait attrapé par le bras Lila avant qu’elle ne le suive et lui avait chuchoté :

- On ne va pas faire appel à lui, il est insupportable ce mec ! Si on le prend, on va devoir le supporter tous les jours. Je ne tiendrais pas je te préviens.

- Il m’a l’air très gentil et compétent pourtant. Qu’est-ce qu’il s’est passé pour qu’il te mette dans un tel état ?

- Avec un gros soupir Ambre avait désigner la cuisine du doigt et lui avait dit, résignée :

- Je t’expliquerai plus tard, c’est trop long. Il ne faudrait pas faire attendre Monsieur.

***

Lila fixe Ambre depuis quelques minutes déjà, attendant qu’elle revienne dans le moment présent. Elle a l’habitude que son amie parte dans ses pensées et occulte tout le reste. Les yeux dans le vide, elle ne voit, ni n’entend plus du tout ce qui se passe autour d’elle. Ambre tourne alors la tête et mort dans un cookie qu’elle a cuisiné la veille. Enfin de retour, Lila peut continuer leur conversation.

- De toute façon tu sais très bien que je ne veux pas de relations de ce genre, donc le sujet est clos, on passe à autre chose.

- Même pas pour un plan cul ? demande Ambre, avec une voix feignant l’innocence.

- Stop j’ai dit ! s’indigne Lila. Un plan cul, non mais tu es sérieuse ? Je ne veux même pas savoir à quoi tu penses, là tout de suite. Tu es irrécupérable.

- Ok, ok, j’arrête. Mais je suis sûre qu’il est très gentil et que vous vous entendriez super bien.

Peut-être bien, mais ça reste un mec.

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