VII.

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    Je venais de réaliser le parcours mystique dans l’église de Sorman Union. Mon corps résonnait encore de la décharge d’énergie que ces quelques pas, enchaînés dans un ordre précis, m’avaient procurée. Les yeux rivés aux pavés, je songeais à cette force qui déferlait dans mes veines. La magie des lieux de cultes ressemblait à s’y méprendre à celle du lac Michigan et à celle qui avait explosé pendant la Levée du Voile. Un peu différente, l’énergie de Tiass, dérobée par Sergeï, me la rappelait également. Y avait-il vraiment un lien ?

    Ces lieux saints, bâtis par les religieux de l’Ancien Monde, étaient-ils des portes vers l’énergie de la planète ? J’avais souvent expérimenté ce chemin magique. Cela consistait à entrer dans un lieu de culte et à y réaliser un enchaînement de pas, connu de quelques initiés, afin d’accéder à un pouvoir supérieur. Quelque chose qui nous recouvrait tout entier, soignait le corps et l’âme. Était-ce là, finalement, la véritable destination des cathédrales, des temples, et autres bâtiments religieux : faciliter la communion de l’homme et de la nature ?

    Il faisait chaud ce soir là. Les nuits d’été ressemblaient tellement à celles que j’avais connues autrefois. Je respirai à pleins poumons. La brise était chargée du parfum des jasmins qui poussaient un peu partout. J’aperçus Raven remonter la ruelle d’un pas décidé. Son épée se balançait dans son dos. Il s’arrêta devant moi.

    — Tu n’es pas encore allé voir Lounès et le reste de l’Assemblée.

    Il ne s’agissait pas là d’un reproche, mais d’un simple constat. Mon ami avait les traits tirés. Ses cheveux noirs collaient à son cou humide de transpiration et ses vêtements n’étaient que des loques incolores. Sans surprise, il avait été bien plus docile que moi. A peine arrivé, il avait fait son rapport. Syrine avait sûrement dû faire le sien également. Tout avait déjà été dit. L’intérêt de me présenter devant l’Assemblée me semblait particulièrement limité.

    — Je me suis contenté de les prévenir pour qu’une Larme de Prométhée vienne vous chercher. Pour le reste, je ne vois pas ce que je pourrais dire qui ne l’aurait pas déjà été par Syrine.

    — Merci Kami. Nous sommes arrivés il y a une heure à peine. J’ai commencé par me débarrasser de mon rapport auprès de l’Assemblée, mais je voulais te remercier d’avoir réussi à nous envoyer des secours. J’irai trouver Syrine ensuite.

    Un ange passa. L’air était brûlant autour de nous. Je songeai un instant à me rendre au bord du fleuve, profiter un peu de sa fraîcheur. Je détestais la chaleur.

    — Tu as eu l’occasion de lui reparler, grâce au lac ?

    Ses iris parfaitement noirs se plantèrent dans mes yeux. Le souvenir de Raiden était encore douloureux. Bien sûr. Pourtant, quelque chose de nouveau l’animait. Le deuil avait commencé. Malgré tout. Malgré le désespoir. Malgré son incapacité à l’évoquer pour le moment. Il attrapa son médaillon et joua distraitement avec. Le rubis enfoncé en son centre brillait à la lueur des torches accrochées dans la ruelle.

    — Comment vont Tiass et Anna ?

    — Tiass ne s’est pas encore réveillé et Anna se fait soigner. J’ai entendu dire qu’ils avaient récupéré vos serpaux également.

    Entendre parler de Ravage me soulagea. Je ne tarderai par à lui rendre visite aux écuries. Le temps qu’il soit libéré de sa stase.

    — Quel fiasco cette mission.

    — Finalement, on s’en sort bien. Nous avons été utiles chez le peuple des Morts. Sevan a apprécié notre aide. Il avait vu juste. Le lac nous a permis de redonner corps et conscience à un grand nombre d’entre eux. Ils ont déjà commencé à s’organiser et ils ont décidé d’appeler leur ville Rui-Del-Amo. Ce n’est déjà pas si mal. Baptiser une ville, c’est débuter quelque chose.

    — Qu’est-ce que ça signifie ?

    — Je ne sais pas vraiment. C’est comme ça qu’ils pensaient à la ville lorsqu’ils erraient dans leurs corps décomposés. Je ne crois pas qu’il s’agisse de véritables mots. Mais leurs esprits étaient quasi-inexistants alors… Vous avez vraiment volé à dos de phénix ?

    — Oui. Une sacrée expérience. Et le Conseil des Peuples ? Tu en sais quelque chose ?

    — Tu devrais vraiment aller faire ton rapport Kami. Ça a bien bougé en quelques mois. Lounès a beaucoup de choses à te dire.

 

***

 

    Régis faillit me percuter de plein fouet. Il sortait de l’immense bâtiment où siégeait l’Assemblée de notre peuple. J’entendais, à l’intérieur, des débats animés.

    — Tiens, Kami. Heureux de te croiser. Je retourne, dès ce soir, chez les Atlantes. Je n’aurais pas eu le temps de venir te dire au revoir. Mes amitiés à Syrine également.

    Je regardai silencieusement le garçon qui s’enfuyait déjà. J’avais beau me forcer, je n’arrivais pas à me souvenir de lui parmi les Larmes de Prométhée de l’Ancien Monde. Avait-il connu Salem avant sa disparition ou avait-il rejoint cette guilde après la Levée du Voile, à l’instar de Tiass ?

    Lounès venait d’apparaître sur le seuil de la bâtisse. Ses joues étaient en feu. Les autres membres de l’Assemblée hurlaient presque, à présent, à l’intérieur.

    — Que fais-tu là ?

    — J’hésite à entrer faire mon rapport. Ça à l’air plutôt tendu là-dedans.

    — Ce n’est pas la peine.

    Il me prit par le coude et m’entraîna à sa suite. Nous traversâmes la cour en quelques enjambées et contournâmes le château. Sur le flanc droit du manoir, nous prîmes un petit escalier qui nous mena vers la muraille phosphorescente. 

    — Syrine et Raven nous ont déjà tout dit.

    — Pas brillant.

    Il soupira. Ses yeux étaient doux, son regard bienveillant.

    — Tu es trop dur. On a bien fait de vous envoyer. D’autres seraient vraisemblablement morts. Rui-Del-Amo comptera peut-être parmi nos alliés, un jour, grâce à vous.

    — Alliés contre qui ?

    — Tu as dû entendre parler du Conseil des Peuples. Il a été constitué à notre initiative, dans le but d’officialiser les échanges entre élus et de permettre de construire un Nouveau Monde plus sain. Gabrielle a développé un don qui lui permet de créer un lien entre les esprits. Je lui ai demandé de rechercher, pour chaque peuple, un esprit meneur, quelqu’un qui ressortirait du lot et qui serait écouté par ses semblables. Ensuite, elle a connecté nos douze esprits et a maintenu ce lien pour nous, le temps nécessaire pour que se tienne ce premier Conseil.

    — Et qu’en est-il ressorti ?

    — Il s’est avéré que les Larmes de Prométhée et les divers émissaires envoyés un peu partout ont fait du bon travail. Mais d’autres avaient également bien œuvré. Sergeï, les Descendants d’Eren et le peuple des Rationnels ont déjà de forts liens et des idées assez proches.

    — Une minute. Les Descendants d’Eren ont également été associés à ce Conseil ?

    — Nous le devions. Ils ont été marqués par la Levée du Voile, après tout. Mais je comptais bien les mettre immédiatement en difficulté. Cependant, les autres peuples se sont montrés moins vindicatifs, et de loin. Le représentant des Morts a d’ailleurs largement contribué à la défense des Descendants d’Eren.

    — Tu veux parler de Sevan ?

    Il agita la tête.

    — Votre ami n’était pas le représentant de son peuple. Malheureusement, nous avons eu le droit à l’un de ses condisciples. Beaucoup moins sympathique.

    Je m’accoudai à la muraille. Au loin, de vagues ruines se découpaient dans le noir grâce à quelques lierres bleus. Les plantes avaient dû recouvrir les constructions abandonnées et s’étaient allumées à la nuit tombée, comme pour signaler les vestiges de l’ancienne humanité. La cité était calme. Le ronronnement des rares voix portées par le vent me parvenait étouffé. Une forme de quiétude planait autour de nous, contraste étonnant avec les préoccupations angoissantes de Lounès.

    — Et les autres ?

    — Heureusement, nous avons plutôt de bonnes relations avec le reste des élus. Mais tous ne s’entendent pas entre eux. J’ai cru deviner des tensions récentes entre Caducées et Totems, par exemple, et je me méfie des intentions des Atlantes. Et puis, lorsque nous aborderons certaines questions-clés, je n’ai aucune certitude quant à leur loyauté.

    — J’ai l’impression que c’est un véritable panier de crabes ce Conseil.

    — Disons que les relations entre nos différents peuples ne vont pas être plus simples que celles des nations de l’Ancien Monde.

    — Tu penses à des guerres ?

    Lounès frisson à cette idée. Il avait horreur de la violence et tenterait de l’empêcher à tout prix.

    — Tout est possible. Honnêtement, pour le moment je crois que chacun se construit une identité, des coutumes, un quotidien et pourvoit à l’organisation et à la survie à long terme. Mais ensuite… J’ai pu découvrir votre fameux Sergeï et il va sûrement vouloir imposer sa vision des choses, un jour ou l’autre. Et je n’oublie pas les non-marqués qui se regroupent et chez qui certains extrémistes voudraient tous nous voir disparaître.

    Je réalisai soudain que la Levée du Voile n’avait pas tout changé. Rien de fondamental en ce qui concernait la nature humaine, en tout cas. La technologie avait beau avoir disparu, la flore et la faune avoir muté pour mieux nous résister, notre soif de destruction était encore solidement ancrée en nous. Nous avions beau avoir développé de nouvelles capacités, certains s’étaient même transformés en créatures mythiques, nous restions toujours les animaux les plus torturés et cruels de cette planète. Nous n’étions pas prêts.

    — Et les Descendants d’Eren, murmurai-je. Finalement, personne ne sait encore ce qu’ils attendaient véritablement de la Levée du Voile.

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