Chapitre 6

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Après avoir enfilé des habits fournis par la formation, nous prenions la direction du pont principal. Des chuchotements indiscrets commençaient à se propager entre les élèves lors de l’ascension vers le lieu d’entraînement.

— Vous pensez que ça va être quoi notre première mission ? chuchota un jeune garçon enrobé.

— Alors là je ne sais pas du tout, mais faudra pas tomber à l’eau parce qu’il paraît quelle refroidie beaucoup, plaisanta Gaston.

Cette fois-ci, il ne fit rire personne. Tout ce qu’il obtint fut des grimaces venues de tous les côtés.

— Arrêtez de poser des questions, on verra bien ! affirma Théo.

Je restai de marbre devant cette discussion ; mon esprit se vidait de tous mauvais présages néfastes pour ma santé. J’espérais simplement que la mission ne soit pas trop exigeante dès le début.

Un éclat lumineux s’inséra subrepticement dans notre champ de vision. C’était un petit point de lumière qui s’agrandissait au fur et à mesure que l’on grimpait les marches de nos pas lourds. Nous avions passé plus de huit heures dans le quasi noir complet. Mais comment était-ce possible que le jour soit si avancé alors que le soleil se levait à peine ? Je jetai un coup d’œil à ma montre : six heures cinquante-cinq. Non, nous n’étions pas en retard, alors qu’était-ce cette lumière presque aveuglante ?

Nous transpercions cette couche éblouissante et nous retrouvions sur le pont principal éclairés par un soleil en phase de se lever et des dizaines de lanternes extrêmement puissantes. C’était donc ça ! Il ne s’agissait pas du soleil, mais de lumières artificielles.

Hitch nous attendait d’une mine impassible. Une fois que nous fûmes arrivés sur le lieu d’entraînement, nous nous alignâmes en rang devant lui. Au bout de quelques secondes, il parla enfin d’une voix matinale, presque caverneuse :

— Enfin ! Vous êtes en retard d’une minute jeune gens ! Sachez que ponctualité rime avec efficacité, alors si vous voulez votre diplôme, il va falloir être plus assidu que ça !

Pourquoi criait-il comme ça ? Me serais-je trompé en imaginant le capitaine plus sympathique que ce qu’il montrait aujourd’hui ? Ou s’était-il créé un personnage attachant pour nous appâter ? En tout cas, John manquait à l’appel. Mais que s’était-il passé cette nuit ?

— Enfin bref, je vais passer outre votre comportement irrespectueux. C’est le premier jour, alors du nerf ! Aujourd’hui vous allez effectuer votre première mission. Elle consiste tout simplement à sauter du bateau, aller jusqu’à la bouée située à cinquante mètres et revenir par l’échelle de coupée.

Sa folie triomphait sur sa méchanceté. Il souhaitait nous envoyer à la mort ou quoi ! Si les Luminas surgissaient, je n’osais même pas imaginer ce qu’il adviendrait de nous. Je lui demandai de ma voix la plus tendre :

— Mais monsieur, les Luminas ne vont pas nous entendre et nous prendre en chasse ?

— C’est à vous de faire en sorte que non, dit-il d’un ton sec.

Non, mais je rêve ! C’était qui ce vieux croûton ? Des créatures sanguinaires décoraient les fonds marins et il nous jetait à l’eau ? Mais quel…

— Tiens, justement Adam, tu vas me montrer comment tu te débrouilles. Tu ouvres le bal. Il y a des combinaisons de plongées entassées devant le ponton.

Je ne réfléchissais plus, la peur me tiraillait l’esprit. J’obéissais comme un vulgaire esclave. Je regrettais d’avoir choisis cette formation. Des fourmillements désagréables surgirent dans mes jambes et mes mains.

Je m’habillai avec difficulté et regardai le capitaine qui m’incitait à sauter dans l’eau d’un mouvement de tête. Une douleur vive et lancinante jaillie dans mon ventre. Mon corps se plia en deux sous les élancements qui ne cessaient de me torturer. En me remettant debout, après quelques secondes atroces, je constatai que mes mains tremblaient et que Hitch me toisait du regard. Je devais faire le grand saut, je n’avais pas le choix. Je pris, de l’élan pour transgresser ma peur et espérer gagner quelques précieux mètres, et mon courage à deux mains puis sautai en lâchant un juron.

L’eau était glacée. En dirigeant ma tête vers le haut, je reconnaissais Hitch, penché à la rambarde, ainsi que tous les autres élèves. Pas de temps à perdre ! Le ciel dépassait tout juste l’horizon. Je m’élançai au travers de l’eau sans regarder sous mes pieds. Le regard tourné vers l’avenir, je ne cessais d’avancer. La bouée flottait au loin. Elle avait l’air plus proche de moi que je ne l’imaginais. La seule solution pour pallier sa peur consistait à vider son esprit pour le libérer d’un horrible sentiment. Oui, c’était une bonne idée, excellente même.

Je soufflai, doucement, puis en l’espace de quelques instants, je me retrouvai à deux mètres de la bouée. Au contact de cette dernière, une sensation de protection irradia mon corps d’une bonne aura. Je me sentais comme à l’abri et protégé, mais il fallait repartir immédiatement.

Après quelques petites secondes de répit, je retournai vers le bateau. Une gigantesque tache noire mouvante attira soudain mon regard vers le fond de l’eau. Je plongeai ma tête au travers de la mer. Rien. J’essayais de me rassurer. De me dire que ce n’était que mon imagination. Mais la peur gagnait du terrain. Une nouvelle ombre assez impressionnante passa de nouveau à plusieurs mètres sous mon corps. Là, plus question de trouver d’excuses. Un Luminas !

Toutes mes pensées furent instantanément tournées vers mes parents, même si je n’avais pas connu ma mère.

J’accélérai. Je devais me trouver à environ quinze mètres du Gerrego, lorsque j’aperçus une troisième ombre, plus petite que la précédente, mais également plus ronde et plus proche de moi. Je me sentais suivi et épié. Une boule me compressait l’estomac et ma cage thoracique m’empêchait de respirer correctement dans cette eau gelée ; un mélange entre la panique, l’adrénaline et l’hypothermie. Quand j’attrapai ce qui semblait être une corde, mon cœur reçut un coup sec. Je grimpai, toujours sur mes gardes. Une fois sur le navire, la pression chuta. Les autres élèves devaient être au courant des risques actuels, ce n’était pas possible autrement. Je voulais parler, mais l’air était absent et je tremblais de tout mon corps.

— Il… y… a… des…

— À ton tour.

Il n’entendait pas ce que je signalais. Il désignait simplement un élève banal, avec une vie banale qui allait lui être retirée. Je ne pouvais pas savoir cet adolescent en danger de mort pour un vulgaire entraînement. Avant qu’il ne saute, et après avoir repris mon souffle, j’annonçai :

— Il y a des…

Trop tard. Hitch le jetait à la mer. Ou devrais-je dire à la mort. Mon regard rouge de colère fixa le capitaine et son sourire narquois. Une terrible aversion contre lui s’éveilla en moi. Je bouillonnai. Mon corps se raidit. La folie s’était emparée du capitaine. À partir de quel moment a-t-il perdu conscience de la dangerosité du monde qui nous englobe ?

Ce garçon, envoyé à la mort et dont je ne connaissais même pas le prénom, nageait de manière paniquée. Lorsqu’il fut arrivé à la moitié de l’aller, il s’arrêta net et chercha quelque chose du regard dans l’eau. Ma respiration se saccada et l’appréhension me saisit.

C’en était trop. Je pivotai vers Hitch qui disposer toujours de ce même sourire dédaigneux.

— Bon c’en est trop ! criai-je. Vous voyez bien qu’il va se faire bouffer là ! Il faut aller le chercher, il y a des Luminas aux alentours, c’est ce que j’essaye de vous dire depuis tout à l’heure !

Son rictus disparut. Il me considéra avec mépris. Tous les regards attentifs furent tournés vers notre confrontation verbale.

— Je ne te permets pas de me parler sur ce ton ! S’il y avait des Luminas à cet endroit, tu ne crois pas que je le…

Un hurlement perçant explosa le ciel orangé. Le garçon n’était plus là. Des secousses retentirent et le cuistot sortit en trombe de la cuisine. Il s’agenouilla près du capitaine qui venait de se placer en position fœtale et se balançait de façon biscornue.

— Harry, tu as encore oublié de prendre tes médicaments, dit-il en lui touchant le front.

Georges tourna sa tête dans ma direction.

— Je suis désolé pour tout ça. Depuis quelque temps, il a de gros problèmes mentaux. Il change de personnalité d’un jour à l’autre. Pour réguler son syndrome, il a besoin d’avaler des gélules tous les jours et, avec la dispute qu’il y a eu entre John et lui, je pense qu’il a négligé son traitement. Je vais voir ce que je peux faire pour lui. En attendant, préparez les chaloupes, nous devons nous enfuir !

— Attendez !

Je ne pus lui dire que les Luminas nous encerclaient. Au moins, je me rendais compte que le changement de comportement de Hitch n’était pas dû au hasard. Mais que devions-nous faire maintenant ?

Soudain, une pensée pour John germa dans mon esprit. Si une altercation avait bien eu lieu entre lui et Hitch, alors, au vu de ses réactions agressives, le capitaine a dû l’enfermer quelque part. Mais où ?

Les autres élèves se paralysèrent d’effroi. Jamais la mort n’avait été si proche de nous embrasser.

— Les gars ! criai-je tandis que les élèves s’agitèrent vers moi. Les monstres vont revenir et ne partiront pas tant que de la vie sera présente sur ce bateau. Nous allons donc devoir diriger le Gerrego et les combattre. Je sais que vous êtes effrayés et moi aussi, mais nous devons rester soudés. Je vais chercher John. J’emmène Théo avec moi. Les autres, essayez de trouver des armes potables et dès que Georges revient, demandez-lui comment on se sert des canons !

Je les avais légèrement revigorés, mais pas pour longtemps. Un tremblement exécrable m’envoya par terre. Théo me releva et, ensemble, nous courions en direction de la cabine supérieure. Des craquements incongrus se massifiaient sur l’ensemble de l’armature boisée. Il me jeta quelques œillades craintives en dégoulinant de sueur pendant que nous avancions dans un couloir piètrement éclairé.

— Tu penses qu’il l’a enfermé où ? me demanda-t-il, soucieux de ce qui avait pu arriver à John.

— Je ne sais pas, mais on va vite le savoir !

— Mais, pourquoi il a fait ça le capitaine ?

Je lui souris, sans trop savoir pourquoi. Sans doute un effet secondaire de la terreur.

— Il a un trouble de la personnalité et hier il a oublié de prendre ses médocs.

— Alors retrouvons John au plus vite !

J’opinai d’un mouvement de tête radical.

L’aboutissement du couloir se matérialisait par une porte jaune fermée à clef. En s’y mettant à deux, elle céda sous nos coups de pieds incessants. Personne à l’intérieur : seulement une vieille commode et un petit bureau décoré par des objets de collections.

— John ? Tu es là ? tenta Théo.

— Hum… Hum !

— Tu as entendu ? demandai-je.

— Oui, ça vient d’en dessous !

En sortant de la pièce, nous prîmes à gauche et dévalâmes l’escalier qui menait à la cabine inférieure. Cependant, un trou causé par un tentacule déchira la coque. Des cris lointains surgirent, d’abord du bateau, ensuite de l’océan, puis enfin s’éteignirent. L’eau s’infiltrait par les failles du bateau mutilé.

Arrivé en face de la porte derrière laquelle devait se trouver John, l’eau nous recouvrait jusqu’à la taille. Le navire sombrait !

Nous explosions la porte. Le corps de John, à moitié vivant, était prostré sur un lit. Ses mains et pieds étaient liés. Quelques cicatrices de sang séché, vraisemblablement causés par Fred lors de leur dispute, amplifiaient un visage légèrement déformé. Nous le détachâmes en une fraction de secondes, puis repartîmes dans le chemin inverse avec l’eau jusqu’au torse et John sur mes épaules.

— Le navire s’enfonce trop vite, on n’aura pas le temps de remonter ! hurla Théo.

— On ne peut pas retourner sur le pont principal ! Les Luminas ont déjà dû tuer tout le monde et saccager le Gerrego !

— Tu vas abandonner les autres ?

L’intersection se trouvait à quelques mètres de nous. Nous avions le choix de rejoindre le pont principal ou de nous enfuir dans une chaloupe menacée par les monstres marins.

Je m’arrêtai. Le niveau de l’eau avait baissé, mais n’allait pas tarder à nous rattraper si nous tardions trop à prendre une décision.

— Ils sont tous mort Théo !

Le sol craqueta prêt de nous.

— Aidez-m… Ah !

Fred venait de se faire happer par un tentacule devant la porte ouverte ! Je mis ma main devant la bouche de Théo qui allait pousser un cri. Je devais repousser mes larmes.

— J’ai une idée ! m’écriai-je. Je dois retourner dans la cabine supérieure. Sur le bureau, il y avait un briquet entreposé dans les objets de collections. Il semblait être étanche. Peut-être qu’en enflammant le bateau, les Luminas s’éloigneraient suffisamment longtemps pour qu’on ait le temps de sauver notre peau ?

— Ça vaut le coup d’essayer. Pendant ce temps-là, je cherche des survivants ! Je m’occupe de John, passe-le moi.

J’avalai plusieurs marches en même temps en prenant soin d’éviter les débris quelconques me barrant la route. Je progressai une nouvelle fois dans le long couloir sans fin éclairé par les deux seuls lampions qui n’avaient pas encore éclatés. L’eau m’arrivait au niveau du bassin lorsque je poussai la porte de la minuscule pièce. Le briquet était là. Je l’examinai du regard et compris qu’il s’agissait du dernier modèle : le Brikeau, meilleur ami du matelot fumeur. Il s’agissait d’un des briquets les plus performants, mais également l’un des plus étanches jamais crée. Il était capable de résister deux jours dans l’eau de mer à plusieurs mètres de profondeurs. Alors que je l’attrapai, un claquement me fit bondir. La porte venait de se refermer ! L’eau s’élevait de plus en plus.

J’allais mourir asphyxié !

Un grondement retentit hors de la bâtisse ce qui indiquait que les bêtes étaient toujours présentes. J’entreposai le briquet dans ma poche en espérant que ses caractéristiques techniques soient respectées. Je cherchai quelque chose qui pourrait éventuellement m’aider à sortir de cette prison mortelle. Une barre de métal d’une vingtaine de centimètres assez pointue se trouvait derrière le bureau. Je l’agrippai et coinçai le bout métallique dans la feuillure de la porte. L’eau grimpait jusqu’à mon cou. L’air commençait à devenir plus rare. Je devais en finir au plus vite.

Après une bonne minute d’effort, la porte s’ouvrit dans une pétarade de chuintements. En face de moi, une mare noire continuait de croître. Le canal étroit que j’avais emprunté auparavant était englouti d’un océan trop calme. La plongée était inévitable pour rejoindre la chaloupe.

J’inspirai le plus d’air possible dans mes poumons avant qu’elle ne me recouvre totalement et tranchai l’eau d’une nage frénétique. Aucune lumière ne pouvait m’aiguiller dans ce noir complet. J’avais l’impression de ne plus avancer lorsque je sentis ma main buter contre une marche. Une porte se tenait devant moi, c’était celle qui menait vers le pont principal ! Cette même porte où un de ces monstrueux tentacules avait saisi la vie de Fred un peu plus tôt…

Je fis quelques brasses en arrière avant de me rendre compte que je manquais d’air. J’accentuai la nage et remarquai que le grand hublot, présent dans le couloir que je venais d’emprunter, était ouvert. Juste en dessous, une chaloupe devait normalement s’y trouver.

Je franchis le seuil de la fenêtre ronde, toujours plongée dans l’océan bleu. Ma tête vint buter contre du bois en remontant. Je fis le tour de l’obstacle et montai dans la barque en profitant de cet air que je pus de nouveau inspirer. J’étais seul dans cette étendue d’eau trop grande pour un homme et trop bleu pour des millions. Par réflexe, je tirai le briquet de ma poche. Après plusieurs tentatives infructueuses, une légère flamme s’alluma. Les dieux me soutenaient ! Je replaçai mon bien dans sa cachette.

Soudainement, je vis une tête s’appuyer à la rambarde en levant légèrement mon visage vers le bateau pour le contempler une ultime fois. Théo !

— Viens me chercher ! Les Luminas reviennent !

Deux tiers du bateau se noyaient dans l’eau.

Je ramai jusqu’à lui. Il prit John sur son dos, toujours inconscient, et deux autres camarades déboulèrent sur ses pas. Ils embarquèrent tous dans la chaloupe que je m’empressai de faire glisser sur l’eau. Les monstres ne nous suivaient pas encore, mais ça ne saurait tarder. Au travers de la légère brume matinale, on distinguait une forme.

Une fois les contours identifiés clairement, je pouvais affirmer qu’il s’agissait bien… d’une île !

Un grésillement bruyant provenant de l’arrière de la chaloupe nous surprit. Des tentacules recouvraient la petite surface à l’air libre du Gerrego. Ils détruisaient les mâts sans pitié. Nous devions filer, et vite, avant qu’ils ne nous aperçoivent !

Au bout de quelques secondes, la plage n’était plus qu’à quelques mètres de l’embarcation et les Luminas loin derrière, toujours attirés par l’épave du navire démembré. Je rompis le silence qui se glissait entre nous :

— Que s’est-il passé là-haut, Théo ?

Il inspira péniblement en s’égarant dans les planches de bois de la chaloupe, d’un regard appauvri, et serra ses poings le long de son corps avachi. Son visage ne formait plus qu’une grimace triste continue.

— Thierry et David ont vu la classe se faire massacrer. Ils vont te raconter…, dit-il difficilement.

Thierry était assez petit avec un visage rectangulaire et des cheveux châtains courts. David, lui, virait plus au blond. Il possédait des lunettes ovales noires et semblait mesurer au moins un mètre soixante-quinze.

— Moi c’est David, voici ce qui c’est passé…

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