Une histoire d'attelle (Morvak)

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  Après avoir passé une radio, on m’annonça que mon poignet était cassé. Pas vraiment étonnant après ma chute. Tandis que l’homme en blouse blanche moulait ma main, Sofia ne me quittait pas du regard. Je pouvais voir la crainte dans le feu de ses prunelles azur. Elle s’inquiétait plus pour ma santé que n’importe qui d'autre. L’infirmier sortit de la pièce, me laissant seul avec mon amie.

— Tu es un bel imbécile Simon. Vraiment.

— Je sais… Mais c’était quand même amusant, non ?

— Amusant ? C’était dangereux ! Tu as été complètement inconscient…

  Je restai silencieux. Il n’y avait rien à rajouter de toute manière. Moi qui cherchais à impressionner Sofia, à la faire frissonner. Quel échec ! Je me remémorai l’incident dans la maison, mon passage à travers le bois moisi. Et notre découverte. L’authentique journal d’Eugène Charpentier.

— Sofia, peux-tu me donner le journal ?

— Ce vieil amas de cuir et de papier ? Tu veux la boîte aussi ?

— Non, mais regarde si tu peux en tirer des informations. Imagine que c’est un joyau hyper rare. On serait riche !

— Mouais, j’en doute.

  Le calepin entre les doigts, je le feuilletais avec plus d’attention. Il s’agissait d’un journal de bord. L'année 1876 était mentionnée au début des premières pages. Comme constaté dans la maison, certains passages en basque nous restaient indéchiffrables. Je n’en connaissais que quelques mots, et c’étaient des insultes. Entendre papi jurer n’était pas très pédagogique… Mais bien sûr ! Papi ! Il parle basque, il saura nous dire ce qui est écrit.

  Je levai les yeux du carnet. La boîte ouverte à ses côtés, Sofia tapotait doucement sur son téléphone. Ses longs doigts de pianiste dansaient sur l’écran. J’en pince pour elle. Et je ne pense pas que ce soit réciproque, malheureusement. Elle délaissa son portable et accrocha mon regard. Elle ne le quitta pas un seul instant. J’en fus déstabilisé… L’infirmier entra de nouveau dans la chambre, l’attelle en résine à la main. Il me la posa et m’annonça que je pouvais rentrer chez moi. Il me donna divers papiers et me laissa avec Sofia.

— Simon, j’ai quelque chose. L’inscription sur le couvercle là, Ruqiya… C’est de l’arabe. Ça serait un « exorcisme » ou quelque chose du genre. Selon Vixipédia, la ruqiya permettrait, par l'approbation d’Allah, d'annuler les effets de la magie et d'exorciser les possessions démoniaques. Par contre, sur la pierre, je n’ai aucun résultat.

— Tu y crois à cette histoire ?

— Hm… J’sais pas. Et toi, tu as trouvé autre chose dans le journal ?

  Sofia se leva et vint s’asseoir à mes côtés. Elle se colla à moi et je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil dans sa direction. Dame Nature l'avait dotée de deux jolies... Atouts. Je détournai vite le regard, espérant qu’elle ne m’ait pas vu.

— Y a beaucoup de pages en basque. Il faudra que je demande à mon grand-père une traduction. Mais tiens, un passage intéressant : « les animaux semblent fuir la maison. Sauf les corbeaux. Ces oiseaux de malheur s'écrasent sur la porte, les fenêtres, les murs. Hier, l’un d’entre eux a cassé une vitre. Il a attaqué le chat avant de se jeter dans la cheminée. Quelques jours plus tard, le félin était paralysé par une soudaine nécrose. Il est mort dans la nuit. »

— Flippant… En tout cas, il écrivait comme un cochon Eugène !

  À ses paroles, le tabouret bougea de plusieurs centimètres. Apeurés, nous nous réfugiions dans les bras l’un de l’autre. Encore un phénomène paranormal… Le fantôme nous avait-il suivis jusqu’ici ? Étions-nous hantés ? Damnés ‽ Sofia, blottie contre moi, me rassura quelque peu.

— Esprit, s’il te plaît, ne nous fais pas de mal, balbutiai-je difficilement.

— Tu crois vraiment qu’il va te répondre ?

  Le tabouret s’avança de nouveau vers nous en grinçant sur le sol.

— Je n’ai rien dit ! Excuse-moi Esprit… paniqua Sofia.

  Nous restâmes accrochés dans les bras l’un de l’autre un moment. Sa présence tout près de moi réchauffa quelque peu mon cœur endolori par la Friendzone. Ce no man’s land. Cette terre désolée. Ce labyrinthe infini. Je voulais en sortir, passer le cap.

— On devrait y aller, me lança Sofia en se levant du lit.

— Tu as raison. J’en ai encore la chair de poule. On discutera de tout ça sur le retour.

  Après avoir rassemblé nos maigres affaires, nous quittâmes l’étroite chambre d’hôpital. Dans le couloir, deux hommes en costume, lunettes noires et chapeau sur la tête nous bousculèrent.

— Ils ne manquent pas d’air ces deux-là ! Ils auraient au moins pu s’excuser, pesta Sofia.

— Tu sais à quoi ils me font penser ? Aux Men in Black.

— C’est vrai qu’ils y ressemblent… pouffa-t-elle.

  Une fois dehors, une scène aussi surprenante que surréaliste se déroulait devant nos yeux ébahis. Un groupe de gardes, pistolet à la ceinture et gilet pare-balles sur le dos, semblait garder une camionnette blanche. On pouvait y lire « G.E.P.S. » sur les portières. Garée non loin, la gendarmerie nationale interpelait les individus, mains sur leurs armes de services, prêts à dégainer. Un homme d’une cinquantaine d’années à la calvitie naissante tentait de s’expliquer auprès des forces de l’ordre. Derrière lui, une petite blonde trentenaire manqua de s’évanouir. La tension était palpable. Le moindre faux-pas mettrait le feu aux poudres.

  D’un commun accord, Sofia et moi décampâmes à toute vitesse, faisant profil bas. Nous ne voulions en aucun cas être témoins d’une fusillade.

— Je n’ai jamais vu de ça de ma vie ! Ça va Sofia ? Tu pâlis à vue d’œil…

— Je ne sais pas… J’ai une mauvaise intuition. Je connais ce logo. G.E.P.S...

— Rentrons, c’est plus prudent. Et tu sais quoi ? Pour me faire pardonner de notre mésaventure, je te propose de passer chez ce crêpier breton que tu aimes tant.

— Tu sais parler aux femmes Simon.

  Une crêpe plus tard, nous étions assis face à l’océan s’étirant jusqu’à l’horizon. Nous observions les derniers rayons du soleil teindre le ciel de tons lilas, cerise, et feu. Mais mon regard ne se portait pas que sur le paysage. Sofia rayonnait, comme à son habitude. La légère brise marine agitait ses longs cheveux d’or. Ses yeux de saphirs pétillaient de mille éclats. Mais son expression paisible s’effaça, laissant place à une mine inquiète.

— Simon ? Je sais où j’ai déjà vu ce nom, G.E.P.S. C’est un petit groupe de scientifiques travaillant sur les phénomènes paranormaux.

— Et alors ? Quel est le rapport avec nous ?

— Ce journal, et cette boîte… Il y a plus d’un mystère derrière tout ça. Mais ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus.

— Bah dis-moi Sofia ! Crache le morceau, qu’on en finisse.

— On raconte qu’ils ont des méthodes d’études, disons… Hors cadre. Kidnappings, expérience sur cobayes humains… Et j’en passe.

  Elle s’arrêta, les lèvres tremblantes.

— Ils étaient là pour nous Simon…

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