Boire au calice

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 Heureusement que j’ai de l’humour, je peux brailler et glousser dans un même hoquet ébahi. Tant pis. J’allais boire un coup, il y avait du whisky, j’avais acheté les marques les plus chères pour contenter ce crétin impuissant. J’ai séché mes brèves larmes et me suis servie un grand verre. Cela faisait longtemps que ma vie ressemblait à un haussement d’épaules. Le destin s’entêtait, dans sa constance implacable, à me pourrir l’existence avec inventivité et fantaisie. Depuis le soir de mon joyeux mariage avec ce cher Paul, vingt-sept ans, comme Cédric 7575. Mon joli mari au volant, bourré, qui me conte comment il va défoncer ma jolie fleur d’amour, l’imbécile. Marre de me lécher, hurle-t-il, envie d’enfin se perdre en moi, ajoute-t-il, car il est dur comme… Un arbre, la voiture aplatie. Mes jambes cassées, ma robe salie, mon mari salsifis. Légume quoi. Et mon beau voyage de noces à la Réunion annulé. Les années ont passé comme elles passent toujours. Et ma fleur d’amour, royal pistil, est resté, bien au chaud, sans étamine. Plus une habitude qu’un choix, plus une paresse qu’une décision.

 Bien sûr, j’en ai eu des copines bienveillantes pour me présenter des gars, sympas, qui aiment la nature et les livres. Sauf que je ne suis pas sympa, que la nature m’emmerde et les livres ne me servent qu’à fuir ce genre de gars. Depuis vingt-cinq ans, je m’applique dans mon boulot de véto. Je stérilise les chattes et euthanasie les vieux labradors paralysés. Tous les dimanches, je rends visite à Paul dans son institution. Depuis presqu’un an, je suis en thérapie chez le Docteur Gérard. D’ailleurs, à ce stade, je l’aurais volontiers appelé, eh oh, il a débandé, le p'tit con, vous l’aviez prévu ça ? Mais bon, tout le monde le sait, on ne téléphone pas à un thérapeute, même alternatif, à dix heures du soir.

 Puis Cédric 7575 avait l’air tellement désolé. La pire insulte aurait été de le consoler, le rassurer. Sans oublier que c’était lui qui aurait dû me tranquilliser, me dire que j’étais belle et attirante. Mais l’étais-je encore un peu ? Un tout petit peu ?

 Une odeur de vieille, c’était ça ! Je l’avais dégoûté. Ou peut-être l’odeur du bactéricide utilisé en salle d’op ? C’était évident, je puais. Ma cavité, mon calice, ma fleur d’amour puait le vieux trou pourri. Il ne voulait pas y plonger. Pourtant il s’était vanté de n’apprécier que les femmes « mûres ». Petit salaud. Jeune con ! J’ai bu mon verre d’un trait. J’allais retourner aux toilettes et me frotter l’entrejambe de whisky, on verrait s’il aimait le malt ! Ah ça, le destin me narguait, je le braverais ! Je me suis assise, j’ai regardé le grand gamin, bien décidée à attendre, en silence.

 Après tout, il avait le choix: il pouvait aller se branler ou se barrer ou boire un coup ou me chanter une chanson ou quoi encore ?

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