Chapitre 12

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CHAPITRE DOUZE

30 SEPTEMBRE 2017

Pendant dix-sept jours, Maxime, sa famille et moi restâmes enfermés dans l’appartement de l’infirmier, Emmanuel. À six dans un 50m², on se marchait clairement dessus. Normalement, seuls Maxime et moi aurions dû y habiter, mais ce dernier avait refusé catégoriquement de laisser ses parents après ce qu’il s’était passé.

J’avais envoyé un texto à Juliette pour lui dire que Maxime et moi avions dû nous en aller en vitesse, en restant très vague, mais elle n’était pas stupide, elle savait très probablement qu’au moins l’un de nous était un éternel. Et comme je n’avais vu ma photo nulle part sur internet en tant qu’éternelle recherchée par la police (comme c’était le cas pour Maxime), je savais qu’elle ne m’avait pas balancée. Et comme elle m’avait harcelée de messages après mon annonce, je savais qu’elle allait bien. J’allumais mon téléphone de temps en temps pour avoir de ses nouvelles, sans lui répondre pour autant.

Je n’étais donc pas recherchée par les autorités. Après tout, je n’étais même pas censée exister dans cette vie, et très peu de personne me connaissait. Mais par principe, je ne voulais pas trop attirer l’attention, alors j’évitais les contacts avec l’extérieur et les sorties. La plupart des voisins pensaient juste que j’étais la petite amie d’Emmanuel et que je vivais chez lui. Une de ses voisines m’avait même dit, un jour où nous nous étions croisés dans l’ascenseur, qu’elle était contente que « ce petit » ce soit enfin trouvé une petite amie, ce à quoi j’avais rigolé en lui répondant qu’il était très gentil et qu’il le méritait bien.

Maxime était le seul à qui il était formellement interdit de sortir, même la nuit, même dans le parc à côté. Il ne pouvait aller nulle part, et il commençait à perdre la tête. Maxime était le genre très actif, travail la semaine, sport le soir, sorties le weekend. Il n’y avait que le dimanche où il s’autorisait à trainer dans le canapé, et ce uniquement lorsqu’il n’avait pas un repas de famille. Là, il passait ses journées à tourner en rond à ne rien faire. Il devenait nerveux, irascible.

Ce samedi-là, Emmanuel était en séminaire à Paris, et les Leroy étaient partie en weekend à la mer, là où on ne les connaissait pas, afin de décompresser. Je profitais du calme pour cuisiner, une passion toute aussi récente que mon arrivée à cette époque. Madame Leroy était une excellente cuisinière et m’avait beaucoup appris depuis que je la connaissais. C’était une femme très gentille et peu caractérielle.

Alors que je coupais des oignons, je repensais une énième fois à tout ce qu’il s’était passé. Heureusement, monsieur Leroy avait pu être sauvé, mais c’était moins une. Dès qu’il était sorti de l’hôpital, nous nous étions arrangés pour qu’ils nous rejoignent dans l’appartement d’Emmanuel sans qu’il ne soit suivi. Ça n’avait pas été facile, mais nous avions réussi. Et notre hébergeur lui prodiguait les soins dont il avait besoin quand il rentrait le soir.

Je réalisais alors que si nous n’étions pas intervenus le jour de l’attaque, toute la famille de Maxime aurait probablement été tuée… Et j’étais persuadée que c’était l’élément déclencheur de sa haine envers les humains. Dans ma réalité, Maxime devait avoir été capturé par la police et emmené dans un centre d’étude pendant que sa famille se faisait massacrer. Il avait probablement été torturé par des scientifiques cherchant à découvrir tous nos secrets, et quand il avait finalement été libéré, il avait découvert le meurtre de sa famille. La torture fragilise le mental des victimes, et alors qu’il avait finalement retrouvé un brin d’espoir, tout avait été balayé d’un seul mouvement…

Quelque part, je comprenais sa haine pour les humains, même si je ne la partageais pas. J’avais connu des humains adorables avec un cœur gros comme le monde et j’avais connu des éternels dont le cœur était vide d’humanité. Ce n’était pas un problème de race.

Affalé devant la télé, Maxime poussa un grognement mécontent. Je regardais par-dessus mon épaule : il y avait un nouveau reportage sur des éternels. Comme à leur habitude, les reporters en peignaient un tableau monstrueux. On nous traitait de terroristes, cette fois-ci. Ça avait au moins le mérite d’être original. Je soupirais.

Par moment, certaines personnes sensées prêchaient que nous n’étions pas dangereux et, au contraire, que nous pouvions être un véritable atout pour le monde. Mais ils n’étaient pas nombreux pour le moment.

Parmi les défenseurs des éternels, la plus connue était Hélène Martin. Je connaissais son nom, comme tout le monde à mon époque. Elle était la première femme présidente de la France mais surtout, c’était elle qui avait fait de la France un pays ouvert aux éternels. Grâce à elle, la France avait accueilli des centaines d’éternels immigrés, elle leur paya les meilleures écoles et elle fit d’eux les piliers de notre pays. Beaucoup devinrent soldats ou médecins. Mais elle ne força ni n’exploita jamais personne. Et elle fit de la France le premier pays mondial dans beaucoup de domaine.

C’était pour cela que je ne m’inquiétais pas. Bientôt, elle passerait au pouvoir, et elle changerait les choses. Je ne devais surtout pas intervenir de quelque façon que ce soit si je ne voulais pas changer cette partie de l’Histoire. Avec un peu de chance, sauver Maxime n’avait pas eu d’incidence sur cette partie du futur.

Je quittais la cuisine un moment pour aller l’embrasser sur la tempe. Il me retint le temps d’un câlin et murmura :

— Je ne sais pas ce que j’aurais fait si tu n’avais pas été là…

Et il ne devait jamais le savoir. Je l’embrassais tendrement en guise de réponse et le tirais vers moi.

— Viens m’aider à cuisiner plutôt que de ruminer dans ton coin.

Il me jeta un regard signifiant « je suis un mec, je ne cuisine pas » auquel je répondis par un sourire charmeur. Il ne résista que quelques secondes, pour la forme, puis capitula avec un « les femmes… » soupiré. Mais son sourire en coin ne m’échappa pas.

Alors que nous passions à table, notre future présidente fut accueillie par la présentatrice des informations.

« Madame Martin, vous soutenez que ces nouveaux êtres ne sont pas une menace pour l’humanité, malgré tous ce que l’on voit à travers le monde. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous le fait penser ?

— C’est assez simple, en réalité. Après avoir interrogé un certain nombre d’entre eux (que nous appelons éternels), nous nous sommes rendus compte qu’ils vivent parmi nous depuis au moins des décennies. Voire davantage. Même si nous n’avons pas réussis à déterminer qui a été le premier éternel ni quelle est leur origine, il est évident qu’ils n’ont pas de mauvaises intentions. Dans le cas contraire, pourquoi seraient-ils restés dans l’ombre aussi longtemps ?

— Pourquoi les appeler éternels, madame Martin ? demanda la journaliste.

— Parce que c’est une dénomination qui leur correspond. Je crains que le terme de « monstre » ne soit non seulement erroné, mais également péjoratif. J’ai moi-même rencontrée une femme qui m’a affirmée avoir cent deux ans et qui semblait n’en avoir que vingt. C’est une personne adorable qui a accepté de partager avec moi les détails de sa condition.

— Ces… êtres seraient donc doté d’immortalité ? s’étonna la journaliste.

— Ces éternels, s’il vous plaît, corrigea-t-elle. C’est ce que nous supposons. Ou en tout cas, ils sont capables de vivre bien plus longtemps que nous. Mais cela ne change rien au fait qu’ils sont nés humains et ont eu une vie tout à fait normale. Nous estimons qu’ils cessent de vieillir entre vingt et trente ans.

— Quels autres capacités ont-ils ?

— Comme nous avons pu l’apercevoir, ils guérissent plus vite. Cependant, ils n’ont pas l’air d’être plus fort, plus intelligent ou plus rapide que nous. Peut-être plus résistant aux maladies, mais rien n’a encore été prouvé.

— Pouvez-vous nous dire comment on devient un… un éternel ? Est-ce héréditaire ?

— Cela n’a pas encore été déterminé, mais nous sommes certains que cela n’a rien à voir avec les gênes. Nous avons testé les familles d’éternels et cela n’a pas été concluant. »

— C’est n’importe quoi ! s’énerva Maxime. Elle raconte tous nos secrets à qui veut bien les entendre !

Au contraire, c’est une excellente chose de communiquer sur nous. Ce qui nous fait le plus peur, ce n’est pas ce que l’on connait ou ce que l’on voit, c’est ce que l’on imagine. C’est le propre de l’humain d’inventer les pires scénarios quand il ne connait pas la vérité.

Il me regarda, surpris, mais ne dit rien d’autre et ce reconcentra sur l’interview.

« Madame Martin, ne pensez-vous pas que cette nouvelle espèce pourrait décider de prendre le pouvoir ?

— Ce serait très improbable. Déjà, ils sont très peu nombreux, nous estimons leur nombre à une dizaine de milliers à travers le monde. Nous avons les technologies nécessaires pour nous défendre, quelques soit les attaques qui nous menace. Qu’elles soient humaines, éternelles ou même extraterrestres. Ils ont beau être plus difficiles à tuer que nous, ils ne sont pas invincibles.

— Donc, si je comprends bien votre propos, les éternels ne devraient pas être traité comme des envahisseurs ?

— Ils devraient être traités comme nous, avoir le même statut que nous. Ils ne sont pas aussi différents que le pensent certaines personnes.

— Une dernière question : si vous découvriez qu’un de votre proche, par exemple votre fils, était un éternel, comment réagiriez-vous ?

— De la même façon que s’il m’annonçait qu’il était homosexuel, qu’il voulait se convertir à une religion ou autre : je serais surprise au début, mais cela ne m’empêcherait pas de l’aimer.

— Merci Madame Martin. »

La suite du journal se porta sur un incendie à Strasbourg, ayant été lancé pour tuer un prétendu éternel.

— Comment as-tu su que notre espèce s’appelait « éternel » ?

Je faillis lui mentir en lui disant que c’était le nom que nous, éternels, nous étions donnés. Mais je n’aimais pas lui mentir, je voulais qu’il me fasse confiance. Seulement, lui dire la vérité n’était pas une option.

— Je ne peux pas te le dire.

— Tu vois l’avenir ? demanda-t-il.

— Ce n’est pas dans mes capacités, ris-je.

— Tu as pourtant l’air d’être au courant de beaucoup de choses, renchérit-il.

— C’est parce que j’utilise mon cerveau pour réfléchir et non pour faire le buzz sur internet, me moquai-je.

— Tu parles comme une grand-mère. Enfin, vu l’âge que tu as, ce n’est pas surprenant.

— Je t’emmerde.

Il rit.

— Ce que tu es vulgaire !

— C’est vrai que tu ne jures jamais, toi. Vas-y, essaie : dis juste « merde ».

— Hors de question.

— Ce n’est rien ! C’est un mot de liaison pour les personnes de ta génération !

— Tu veux dire pour ta génération.

— J’ai déjà entendu une femme de quarante ans le dire à trois reprises en vingt minutes. Allez ! Juste pour voir.

— Je n’ai pas quarante ans ! Et qu’est-ce que ça peut bien faire que je dise un gros mot ou non ?

— Je ne sais pas, je te trouve trop sage.

— Je rêve…

Le terme « éternel » se répandit comme une trainé de poudre à travers le monde à l’issue de cette interview. Malheureusement, cela n’empêcha pas le président français de faire passer la loi Simon, qui permettait aux autorités de pénétrer dans les logements privés à partir du moment où ils avaient la suspicion qu’un éternel s’y trouvait. Ils n’avaient même pas besoin de preuve : un simple témoignage suffisait.

D’un commun accord, le lendemain de la sortie de la nouvelle loi, Maxime et moi décidâmes de quitter l’appartement d’Emmanuel pour éviter de le mettre davantage en danger. Les personnes accueillant des éternels chez eux étaient traités comme des traitres à présent, et ils étaient envoyé dans les pires prisons du pays.

Le reste de la famille Leroy resterait à l’abris chez Emmanuel. Après tout, ils n’étaient pas éternels, il n’y avait rien d’illégal.

***

Pendant des semaines, nous habitâmes une cabane ridicule perdue dans une forêt. Nous nous lavions à l’eau glacée de la rivière, évitant au maximum de faire un feu, qui se ferait remarquer au loin. Chaque jour, je faisais des kilomètres à pied pour aller acheter à boire et à manger en ville. J’utilisais toujours l’identité de Juliette pour ma carte de crédit, et je jouais toujours en bourse pour avoir un certain revenu pour nous permettre de manger à notre faim. C’était difficile, mais ça tournait bien.

Un jour, alors que Maxime et moi jouions aux cartes pour nous occuper, quelqu’un frappa à la porte de notre cabane. Un frisson d’angoisse remonta le long de mon dos. Personne ne savait que nous vivions ici, pas même la famille de Maxime. Il n’y avait aucune raison que quelqu’un vienne nous voir.

Je me saisis d’un de mes couteaux de cuisine et le cachais dans mon dos. Je fis signe à Maxime de ne pas bouger d’où il était et j’allais ouvrir la porte. Derrière, deux hommes pointèrent leurs armes sur ma poitrine.

— Messieurs, les saluaient-je avec une politesse feinte.

— Madame, vous êtes soupçonnées d’être une éternelle. Veuillez vous soumettre au test sans opposer de résistance.

Il tendit devant lui une machine sur laquelle je posais doucement ma main.

— Il s’agit d’une erreur, je ne suis pas une éternelle. Si vous voulez bien baisser vos armes…

Le policier qui tenait le détecteur rangeât son arme et alluma la machine. Avant même qu’elle n’ait eu le temps de détecter ma véritable nature, je désarmais le deuxième flic et me saisit de l’arme du premier. Je manquais peut-être d’entrainement, mais j’avais quand même fait partie de l’armée. Je pointais mon arme sur le visage du policier le plus proche de moi, et je me saisis du deuxième pistolet, qui gisait plus loin. Désormais avec une arme dans chaque main, je commandais :

— Déposez vos téléphones et vos talkies sur la table là-bas.

Ils s’exécutèrent sans broncher et passèrent à proximité de Maxime, qui était aussi surpris qu’eux de la tournure des évènements. Lui qui était si intelligent se laissait-il aller lorsqu’il s’agissait de moi ? Il aurait dû deviner depuis longtemps que j’avais été un soldat, mais il ne m’en avait jamais parlé. Peut-être qu’il voulait que moi je lui en parle, ou peut-être qu’il ne voulait tout simplement pas savoir, après tout. Je savais à quel point cette histoire d’éternel le terrifiait.

— Voilà ce qu’il va se passer maintenant : je vais vous laisser vous en aller. Vous allez retourner voir vos petits copains et leur raconter ce qu’il s’est passé. En attendant, nous deux, on partira très loin d’ici.

Ils hochèrent la tête, visiblement soulagés que je les laisse en vie. Je ne pouvais pas me permettre de donner une mauvaise image en plus pour les éternels.

— Tant que vous y êtes, laisser vos holsters. Je n’ai aucune intention de vous rendre ces petits joujoux, dis-je ne désignant les deux pistolets. Ils pourraient nous être utiles.

Je ne pus m’empêcher de remarquer qu’ils étaient plus légers que ceux que j’avais l’habitude d’utiliser. Ils avaient probablement également davantage de recul, selon moi. Si j’avais eu un nombre de balles suffisant, je me serais entrainée, mais ils n’avaient chacun qu’un seul chargeur de recharge sur eux.

Les policiers s’exécutèrent de nouveau, puis je les laissais s’en aller. En deux temps trois mouvements, je nous équipais d’un holster chacun et j’expliquais rapidement à Maxime comment utiliser une arme.

— Mais comment tu sais ce genre de choses ? s’étonna-t-il finalement.

On n’a pas le temps pour ça ! Il faut qu’on s’en aille.

Nous rassemblâmes alors le plus rapidement possible nos affaires, emportant le strict nécessaire.

Nous nous enfonçâmes davantage dans la forêt et nous marchâmes pendant des heures avant de faire une pause.

— Tu penses qu’ils vont nous rattraper ? demanda Maxime d’un air inquiet, regardant tout autour de lui.

Je ne voulais pas l’inquiéter, mais il avait le droit de savoir la vérité.

— Je ne sais pas… A priori, nous avons de l’avance sur eux.

— Peut-être…

Je soupirais. Je ne savais pas quoi faire. Si j’avais été seule ou avec un autre agent de l’armée, nous aurions eu beaucoup plus de chances de nous en sortir. Mais Maxime était plus le genre intellectuel et il était déjà à bout de force… Que pouvions-nous faire ? J’avais beau tourner et retourner la situation dans ma tête, je ne trouvais pas de solution.

— Je me relevais, et l’enlaçais.

— Je suis désolée… Je crois qu’il n’y a pas de solution cette fois…

Il me serrait contre lui.

— On va se laisser capturer alors ?

— Non… on va leur donner du fils à retordre. Ce qui nous attend là-bas… c’est l’horreur. On va aller aussi loin qu’on est capable d’aller. Moins de temps on passera dans leurs labos, mieux ce sera pour nous. Mais je ne peux pas te promettre qu’on ne se fera pas capturer.

Il m’embrassa sur le front.

— Je ne te le demande pas. Sans toi, je ne serais jamais allé aussi loin.

— Je devrais pouvoir faire plus…

— Tu n’es pas Dieu.

Je posais mon menton sur son torse et le regardais dans les yeux.

— Tu me déçois, moi qui croyais que tu me voyais comme une déesse…

Un petit sourire amusé s’afficha au coin de ses lèvres.

— Tu es ma déesse, bien sûr. Mais je parle de physique, pas de pouvoirs magiques.

— Ouais, je préfère ça… me moquai-je.

Il rit et m’embrassa tendrement.

— Il faut qu’on reparte, affirmai-je.

— Allons-y !

Et nous nous remîmes en route.

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