Le champignon, ou la résilience

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  Le temps avait passé. Je n’étais bientôt plus un arbrisseau, mon tronc avait parfaitement durci et mes nombreuses feuilles formaient autour de moi une auréole végétale épaisse. Sous terre, j’étendais mes racines, dans l’air, mes branches devenues larges. Petit à petit, le sol devenait de plus en plus humide. La mousse s’y plaisait à merveille.

L’automne arriva, avec son lot de pluies froides et de nappes de brouillard. Mes feuilles séchèrent, certaines tombèrent tandis que d’autres restèrent accrochées comme elles en avaient à présent l’habitude. Je savais à quoi m’attendre, et je me préparais doucement à entrer dans l’hiver, ralentissant le cycle de ma sève. Mon coeur battait toujours dans ma graine d’origine.

Mais alors que je me préparais à m’endormir, un pincement en un point précis de mon tronc me fit tressaillir. Je n’en compris pas la raison : aucun animal ne s’était approché de moi pour dévorer mon écorce. La douleur s’en alla aussi vite qu’elle était apparue. Je n’y pensai plus pendant quelques jours. Puis elle revint, tout à coup. Lancinante, elle me travailla tout l’hiver, revenant à la charge par périodes de plusieurs jours. Ce n’est qu’au printemps, quand ma sève recommença à circuler librement, que je compris de quoi il en retournait.

Un champignon s’était attaqué à mon écorce. Ce n’était pas un être amical et inoffensif comme mon acolyte souterrain ou ceux dont je voyais le nébuleux chapeau dépasser du sol à la fin de l’été. Celui-ci n’avait qu’un but : me nuire. Il s’était attaqué à mon énergie vitale, grignotant mon écorce, profitant que j’étais engourdi par l’hiver pour prendre l’avantage.

Je me défendis, bien entendu. Le champignon avait fait mourir une petite partie de mon écorce pour s’en repaître, je passai donc plusieurs mois à construire une barrière extrêmement résistante autour de ce périmètre large de quelques millimètres. Le parasite ne parvint plus à creuser pour se nourrir et se rétracta. J’avais gagné.

Du moins, c’est ce que je croyais. Alors que les premières gelées faisaient leur apparition, à la fin de l'automne, le champignon reprit ses droits. Je ne parvenais pas à alimenter en sève la barrière résistante autour de lui, il s’empressa donc de s’étendre au delà. Il creusa un trou plus grand, me meurtrissant davantage.

Au printemps suivant, j’entourai de nouveau d’une écorce protectrice ma chair nécrosée par le parasite. Je compris qu’une terrible bataille venait de s’engager, plus pernicieuse que celle que je menais chaque année contre chenilles, biches ou insectes xylophages. C’était un combat à la vie, à la mort. Ce champignon cherchait à me dévorer vivant. Si je ne gagnais pas, il s’enfoncerait bien vite en mon coeur et aurait raison de moi. Et je ne pouvais m’en débarrasser.

Je réalisai bien l’ampleur de cette lutte durant l’hiver d’après. En un sens, il était déjà trop tard, j’étais condamné. Le champignon allait grossir un peu plus chaque hiver, et je construirais vainement une défense autour de lui l’été revenu. C’était comme si nous jouions une manche après l’autre, prenant puis perdant successivement l’avantage. Je ne pouvais que ralentir son avancée, jamais en finir. Ironiquement, ce parasite se nourrissait de mon énergie vitale pour survivre. Une fois mort, il n’aurait qu’à se trouver un nouvel arbre, ou mourir à son tour. Il vivait parce que je vivais, je ne vivais que pour moi-même.

Ces tristes réflexions ne m’empêchèrent pas de continuer de me défendre. Peut-être allais-je y parvenir, peut-être allais-je pouvoir contenir le champignon assez longtemps, assez vaillamment pour le détruire ? Je ne devais pas abandonner. De ma résilience naîtrait ma survie. C’était peut-être perdu d’avance, mais ce parasite ne grandissait pas aussi vite que moi. J’avais confiance en mon avantage. Je devais me battre. J’étais fait pour ça.

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