XXVII

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-Mais grave, ils sont toujours ensemble ! dit l’un.

-Qu’est-ce qui se passe ?!

-Y a de l’amour dans l’air on dirait !

-Si ça se trouve, c’est le père de son gosse ! insinue un autre.

-grave !

-Ca ne m’étonnerai pas.

Ces messages me choquent profondément. D’habitude, nous sommes invisibles, jamais remarqué, et là, je fais l’objet de théories aussi connes les unes que les autres ! Je me sens obligé de défendre le peu d’honneur qu’il me reste. Je vois à ce moment précis un message arriver.

-Vous voulez pas la lâcher un peu non ? Vous ne savez rien alors fermez là, sérieux ! C’est un message de Vincent. Je suis encore plus choquée. J’ai vu tous ces messages, ils me font froid dans le dos. Il ne faut pas les écouter, je le sais, mais au moins je vois le vrai visage de la classe dans laquelle je suis. Je m’en lasse et éteint mon téléphone. Je n’aime pas les commérages. Je descends me faire un gouter, il est 16 heures.
Les jours filent et défilent. Je repense à ces messages envoyés sur le groupe. Je pensais pas qu’ils continueraient leurs commérages. En même temps, c’est presque logique. Il y a eu des cons dans l’Histoire, il y a en a toujours et il y en aura tout le temps. Il faut juste les ignorer, c’est la seule solution. Deux semaines que je suis retournée au lycée. C’est pas mal déjà. J’ai réussi à survivre, il faut continuer. Je commence à penser que tout revient lentement en ordre si on peut appeler une vie un ordre. J’entâmes mon huitième mois de grossesse. J’ai peur. Cachant cette peur au plus profond de moi, encore une fois, je continue de travailler dur. Ça m’occupe. Je suis dans le bus pour rentrer chez moi, un peu fatiguée par la longue journée qu’on a eu. Celui-ci est bondé, c’est dur, j’ai juste envie de m’asseoir mais les places handicapées sont prises par des vieillards et des malvoyants. On est mardi 23 avril. La musique que j’écoute m’emporte loin lorsque mon téléphone sonne. Je regarde le numéro, inconnue au bataillon. Coincée entre deux hommes et une femme, je décroche malgré le peu de liberté de mouvement. Au bout du fil, on demande.

-Allô ? Mademoiselle Thomas ? Allô ? Cette voie m’intrigue, je ne la connais pas. Je réponds.

-Allô, oui c’est moi.
-Enfin, on essaye de vous joignez depuis tout à l’heure. Vous n’avez pas entendu nos appels ?
-Euh, non désolé j’étais en cours, mon portable était éteint.

-Ah oui, bon, excusez-moi mais c’est le cabinet d’obstétricien. Vous vous rappelez ?

-Ah euh oui. Qu’est-ce qu’il y a ?
-On vous rappelle juste qu’il faut prendre un rendez-vous de routine du dernier trimestre de grossesse. C’est important.

-Ah, oui oui. Ecoutez je, je ne suis pas chez moi là, mais j’arrive bientôt. Je peux vous rappelez dans dix minutes ?
-Oui, bien sûr à tout à l’heure. Et la dame raccrocha. J’avais complètement oublié ce rendez-vous. Les jours s’écoulent vite, je suis déjà au dernier trimestre de grossesse ? Je ne vois pas le temps passé à ce point ? Quoi qu’il en soit, je sors du bus à mon arrêt et rentre chez moi, toujours noyé dans mes pensées. Une fois arrivée, j’ouvre la porte, dépose mon sac à l’entrée et me dirige vers la cuisine, j’ai faim. Sur le trajet, je vois mon père assis devant la télé, ça m’intrigue.

-Salut papa, qu’est-ce que tu fais ?
-Oh Adèle, bonjour ! Je prenais une petite pause, j’ai laissé Gérôme prendre ma place au restaurant.

-Ah, d’accord. J’hésitais un peu. Papa ?

-Hmm.

-La cabinet obstétrique m’a contacté aujourd’hui… Il faut prendre un rendez-vous de routine pour le dernier trimestre. Tu, tu veux bien venir avec moi ?

-Bien sûr ma chérie me répondit-il en me souriant. C’est vraiment ce que tu veux ?

-Oui. Répondis-je.
-D’accord, donne le numéro, je prends rendez-vous.
-Merci papa, je t’aime.
-Moi aussi chérie, moi aussi. Je lui donne le numéro il appel, les rendez-vous sont limités, je dois quitter une heure de cours jeudi pour y aller. Tant pis j’ai envie de dire. Je remercie mon père, reprends mon sac et monte dans ma chambre. J'ai plein de devoirs à faire. Retour au lycée, les cours passent, en même temps que les heures. Dès que la dernière sonnerie sonne, je me presse de rentrer chez moi, cette journée a été si longue. Je remercie Vincent et part prendre le bus. Arrivée chez moi, je sors le pot de chocolat à tartiner et trempe une cuillère dedans. C’est ce que je fais dans les situations extrêmes, aujourd’hui a été une journée particulièrement difficile. Je me pose dans le canapé, je pose le pot sur mon ventre. Il a encore grossi. J’allume la télé, Plus belle la vie passe à la télé. Je ne suis pas fan mais bon, y a que ça. Le pot bouge un peu, je le regarde. Je me demande à quoi il ressemble en ce moment, à qui va-t-il ressembler ? Je reprends le cours de l’épisode, j’ai pas l’énergie pour penser à ca. Finalement, j’ai du m’endormir parce que je me suis réveillée le matin suivant complètement paniquée. Il est tout juste sept heures et quart et j’ai cours à huit heures. Pourquoi papa où même Gérôme ne m’ont pas réveillée ??? Pas le temps pour parlementer, je m’habille en deux deux, de toute façon c’est simple, je ne porte que des sweats larges et papa m’a acheté deux ou trois pantalons de grossesse. Je me fais rapidement une tartine au chocolat, me brosse les dents et les cheveux et mets mes chaussures. En à peine quelque minute je suis prête à partir. Dans quelques minutes, le bus va arriver à mon arrêt, je n’y serais pas, je vais le rater et si je le rate, je serais encore plus en retard et c’est pas possible ! Je me presse, cours dans la maison, récupère mon sac, jette mes affaires de cours dedans et me dirige vers la porte. Je n’ai pas le temps de me fermer la porte à clé que je suis déjà dehors, il est sept et demi. Je me presse, et arrivée à l’intersection je vois le bus partir. Il ne s’arrêtera pas. Le voyant partir, j’arrête de me presser et marche jusqu’à l’arrêt où je regarde le temps du prochain bus : treize minutes ! Avec un peu de chance, j’arrive pile quand ça sonne. En attendant ce bus, j’enfonce mes écouteurs dans les oreilles et mets en route ma playlist. Je reprends mon souffle et me calme. Les minutes passent et les musiques défilent. Je commence à perdre espoir, ça fait un quart d’heure que j’attends. Ma figure s’illumine lorsque je vois le bus arriver. Je monte dedans et c’est partit pour quinze/vingt minutes de trajet. J’aurai peut-être pu y aller à pieds mais je ne m’en sentais pas capable. J’arrive à l’arrêt du lycée, je crois que je suis la seule à descendre et me dirige rapidement vers la grille qui vient de se refermer. J’implore la gardienne de me laisser entrer, elle semble ne pas me voir, elle regarde son téléphone. Je me mets à pleurer, je ne sais pas pourquoi parce que je sais que la gardienne va me voir, elle est gentille, elle me laissera rentrer je le sais mais je continue de pleurer. Je suis si pathétique, la dame me voit pleurnicher et m’ouvre la grille. Elle vient me voir pour apporter son aide mais je souris, rassurée qu’elle m’ai ouverte. Les larmes sèchent, je la remercie et me dirige d’un pas rapide vers la CPE pour demander un billet de retard. J’ai Mselle Dumont là. Un surveillant me donne mon billet de retard, motif : panne de réveil. Je marche vers ma salle de classe, on est une vingtaine d’élèves dans ce cours. Je me retrouve en quelques pas devant la porte fermée de la salle, je toque. Un son presque inaudible grommèle derrière la porte, je l’ouvre. Je m’excuse tout de suite après.

-Désolé du retard monsieur, mon réveil n’a pas sonné. J’attends sur le seuil de la porte qu’elle accepte mes excuses. Elle accepte et reprend son cours. Une fois installée, j’ouvre mon cahier et prend des notes et l’heure passe. Tout comme la journée. A midi, je vais dans la queue pour aller à la cantine. Il n’y a pas trop de monde, c’est cool. Je prends du fromage en entrée, une grande assiette de pâte bolognaise et une part de flan, tous ces évènements m’ont donné faim. Je m’installe à une table, toujours à côté de la fenêtre et mange. J’avale mon repas en une vingtaine de minutes. Après cette petite pause, la journée reprend jusqu’à quinze heures. Mon rendez-vous est à seize heures, je dois être sortie à 16h30 pour arriver au cabinet à moins le quart. Au moins, en attendant, je peux rester en cours. Je rentre dans la classe, M.Sefaï, mon professeur d’euro anglais, nous laisse y entrer. Je lui montre d’office le mot écrit par mon père la veille. Il le regarde attentivement, je ne sais pas ce qu’il pense. Il tique puis me rends mon carnet, je suppose que c’est bon et m’assois à ma place. Le cours commence, les minutes filent. Au bout d’une heure trente, je lève la main l’air de demander si je peux y aller. Il me regarde furtivement une première fois, puis une deuxième, je ne comprends pas.

-Monsieur ? Dis-je d’une voix hésitante. Il s’est plongé dans un manuel d’euro à la recherche d’un exercice et finalement lève la tête.

-Ah, c’est encore vous. Dit-il, d’un air rancunier accompagné d’un regard presque glacial. Qu’y a-t-il encore? Ah oui, votre rendez-vous. Et bien allez-y qu’est-ce que vous voulez que je vous dises, sortez ! J’étais un peu déconcerté par ces mots, je n’avais pourtant rien fait de mal. Je me rappelais alors des mots du directeur. M.Sefaï ne me crois pas, il protège celui, celui qui est certainement derrière des barreaux en ce moment même. Je prends mes affaires le plus rapidement, je ne veux pas rester une seconde de plus dans cette classe. Les élèves me voient partir sans dire mots et le prof claque la porte derrière moi. Une fois dehors, je respirais. Mon père m’attendais avec la voiture juste devant la grille. J’entrais dans la voiture et nous partîmes. Nous arrivâmes en moins d’une vingtaine de minutes et attendions dans la salle d’attente lorsque j’entendis mon nom.

-Oh mais voilà une personne que je connais bien ! Le docteur Toupet était là, devant moi. Mon père se leva et les deux hommes se partagèrent une poignée de main en souriant.

-Bonjour docteur ! Ca fait longtemps ! Dit mon père.

-Un mois ! M.Thomas, un mois ! Alors Adèle, ca va mieux depuis la dernière fois ? Me dit-il en regardant furtivement mon ventre qui a bien grossit depuis la dernière fois. J’esquisse un sourire.

-Ca va, ca va.

-Vous êtes là pour quoi ?

-Dernier examen de routine avant… Je stoppais net ma phrase en réalisant qu’il n’y aurais pas d’autres rendez-vous ici puisque la prochaine fois, il sera là. M.Toupet me souhaite bonne chance et repart d’un pas léger. Nous attendons encore cinq minutes. Je regarde les femmes enceintes, elles sont toutes heureuses, leurs visages sont ornés de sourires lumineux, elles sont toutes bien plus âgées, certaines lisent le journal tranquillement tandis que d’autres discutent avec ce qui semble être leurs compagnons, un couple rigole en parlant de prénoms, les autres semblent écouter un peu cette discussion, peut-être sont-elles en panne d’inspiration, toutes ces mères sont confiantes, heureuses, impatientes et au milieu de ce bonheur, il y a moi. Moi, celle qui porte le fruit d’un viol, un fruit conçu dans la violence et la haine, un fruit qu’elle ne voulait jamais avoir à porter. Je crois être la seule à ne pas partager le bonheur que procure une grossesse dans cette salle, seule au milieu de ces sourires, seules mineures surement. On m’appelle.

-Adèle Thomas ? Toutes les femmes me regardent, elles remarque mon jeune âge et un semblant de pitié brillent dans leurs yeux. Je détourne leurs regards et entre avec mon père dans le cabinet. L’obstétricienne se rassoit, souriante. ‘’Bonjour Adèle, ça fait un moment qu’on ne s’est pas vu ! Je vois que tu es accompagnée, bonjour monsieur.’’ Dit-elle en tendant la main à mon père. Il l’a sert en la saluant d’un petit ‘’bonjour’’. Elle me montre la chaise médicale à notre gauche, celle-ci est relié à une machine, la même que la dernière fois en fait. Je comprends qu’il faut que je m’y assois, je m’exécute.

-Et bien dis donc, ça a bien poussé tout ça ! Alors comme ça c’est la deuxième et la dernière fois qu’on se voit ? Dit-elle, souriante.

-Hmm. Dis-je en approuvant l’idée.

-Ca à l’air d’aller mieux depuis la dernière fois. Tu vas voir la psychologue ?

-Oui, une fois par semaine.

-Très bien, très bien. Montre tes bras s’il-te plait.

-Je n’ai rien fait depuis…

-Montre. M’ordonne-t-elle, je m’exécute et remonte mes manches. Elle examine un peu mes bras et regarde ma plaie qui termine de cicatriser.
-Ca m’a l’air très bien ça, tu sais que ce genre de cicatrices prends énormément de temps avant disparaître, il se peut…
-Je sais, c’est à vie, je sais… Je la coupe dans sa phrase, elle comprend et vois mes blessures d’hier.

-Tiens ? C’est quoi ça ? Mon père aussi est surpris. J’hésite, elle doit penser que j’ai recommencé à un autre endroit. Je m’empresse de lui répondre.

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