Chapitre 3

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Le souffle de l’explosion balaya la terrasse et la devanture du bar. Dans la salle, le faux plafond s’effondra dans un nuage de poussière opaque. Les clients en panique bousculaient tout sur leur passage. Nathalie, projetée au sol par le mouvement de la foule, heurta une table, son cerveau se mit à bourdonner et ses tympans sifflèrent dans un larsen entêtant. Incapable de se relever, la jeune femme ouvrit la bouche pour appeler à l’aide, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Une pensée remplie d’horreur jaillit dans son esprit avant de perdre connaissance. Où se trouvait Stéphane au moment de la déflagration ?

À peine sorti de la bouche de métro, Stéphane resta interdit devant la vision suréaliste qui s’offrait à lui. Il comprit tout de suite les causes de cet affolement, déjà vécu dans la capitale, il y a quelques années en arrière. Au loin, la lueur des gyrophares tentait de traverser un brouillard de poussières qui remplissait la rue. Elle éclairait par alternance les façades des immeubles façon scène macabre d’un film d’épouvante.

— Non, pas ça !

Des véhicules de secours, toutes sirènes hurlantes, affluaient de toutes parts, il convergeaient tous vers le même point, la brasserie où l’attendait Nathalie. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et une peur irraisonnée le gagna. Sans réfléchir, il se mit à courir comme un fou.

La devanture éventrée présageait l’horreur de la scène. La terrasse était couverte de sang et de nombreux secouristes s’affairaient sur les victimes au sol. Stéphane voulut entrer dans le bâtiment, mais un agent de police l’en empêcha. « Vous devez reculer pour laisser travailler les secours », lui avait-il ordonné d’un ton ferme. Autour de lui, les ambulances affluaient toujours. D’une main tremblante, il sortit son mobile et composa le numéro de Nathalie. Au bout de secondes interminables, émergeant à peine du vacarme de la rue, il perçut la sonnerie qu’ils avaient choisie ensemble.

Stéphane marchait de long en large, une colère sourde montait en lui. N’y tenant plus, il attrapa un sapeur-pompier par le bras et lui montra le téléphone.

— Mon amie est à l’intérieur. Aidez-moi, s’il vous plaît !

Pris dans l’action, l’homme mit un peu de temps avant de réagir. Il tourna la tête vers la salle, puis vers le téléphone, l’air perplexe.

— Je vais voir, ne bougez pas.

Guidé par le son entêtant du mobile, l’homme du feu se dirigea vers le fond de la salle en enjambant les gravats qui jonchaient le sol. Soudain, un gémissement attira son attention et il découvrit une femme bloquée sous une table. Elle tourna la tête vers lui et, éblouie par le rayon lumineux de sa torche, se protégea le visage de son bras libre.

— Ne bougez pas, Madame, on s’occupe de vous tout de suite.

Sans attendre, il lança un appel à l’aide.


* * * *


Les yeux dans le vague, Nathalie fixait le plafond de l’ambulance, serrant avec force la main de l’homme qu’elle croyait avoir perdu. Dès qu’elle était parvenue sur le trottoir, allongée sur un brancard, elle avait poussé un cri déchirant en voyant Stéphane se précipiter vers elle. Soulagée, un sanglot nerveux la secoua jusqu’à l’hopital.


* * * *


Le lendemain de sa sortie, Stéphane prit les choses en main. À sa demande, il l’installa confortablement dans le canapé du séjour, point central de son appartement.

— Tu as besoin de quelque chose ?

— Non, je te remercie. Tu es là, j’ai tout ce qu’il me faut, répondit Nathalie avec un léger sourire.

— Je vais te prendre rendez-vous avec l’unité de soutien psychologique tout de suite.

— Non, c’est toi que je veux.

— Tu sais bien que je suis trop impliqué. Et de toute façon, ce n’est pas ma spécialité. Je t’accompagnerai, ne t’inquiète pas. Rappelle-toi ce que t’a dit le médecin, tu dois en parler au plus vite.

— Bon, on fera comme tu veux.

Les nuits suivantes furent difficiles, des cauchemars récurrents secouaient Nathalie qui se réveillait en hurlant. Le calmants prirent le relais pour qu’elle retrouve un sommeil réparateur, tous deux purent enfin dormir.

Au bout de trois semaines, le soutien psychologique porta ses fruits, Nathalie put exprimer ses émotions pour éviter qu’elle ne se renferme sur elle-même. Mais le psychothérapeute comprit très vite que son ami et accompagnant, témoin involontaire des suites de l’attentat, l’homme attentionné qui tournait comme un lion en cage dans sa salle d’attente, avait subi un traumatisme aussi profond que sa patiente. Stéphane, totalement dévoué, avait enfoui au plus profond de lui sa propre anxiété afin de paraître sans faille aux yeux de Nathalie. Une bombe à retardement qui pouvait exploser à n’importe quel moment. Le praticien lui proposa alors de prendre part à leurs séances, à la grande joie de Nathalie. Après un traumatisme, lui expliqua-t-il, les victimes sont souvent soutenues par leurs proches, mais par la suite, un décalage peut s’installer. Pour l’entourage, l’évènement peut sembler loin derrière, alors que le patient, lui, reste bloqué au jour du traumatisme. Les symptômes peuvent se déclarer des mois, voire des années après, réactivés par un autre incident traumatisant. Paroles qui restèrent gravées dans la mémoire de Stéphane.

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