Gas

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“ ♬ Sur les trottoirs je pense à toi, sur les boulevards je pense à toi, …♬ “

Encore cette chanson à la radio : cinq, dix, vingt fois par jour! Comme si ce n’était pas déjà assez dur de ne plus penser à elle!

Il fait encore bon en cette fin d’après-midi, Florent roule la fenêtre ouverte depuis plusieurs heures avec pour seul objectif de quitter la ville. Il n’a qu’une une idée en tête : voir la mer.

Sur le siège passager des lettres froissées, éparpillées par l’air qui souffle dans l’habitacle, certaines écrites de sa main mais non envoyées et d’autre reçues et lues au moins cent fois. Sur la banquette arrière quelques affaires dans un maigre sac de voyage.
Septembre ne semble pas vouloir abandonner, l’été s’accroche encore. Il roule sans hâte, sans but, hypnotisé par les lignes blanches qui défilent. L’air qui glisse sur son visage, sèche ses larmes et sature ses oreilles; ainsi entend il moins ce qui passe à la radio. Toujours un hameçon, toujours quelque chose qui ramène à la surface un souvenir enfoui de Perrine qu’il souhaite oublier. Des chewing-gums qui collent au quotidien, aux lieux, aux musiques, aux objets. Tout est teinté d’elle, sent comme elle, porte comme un morceau d’elle.

“J’ai arrêté de t’attendre”, lui a elle écrit. Elle s’est avouée qu’il n’y avait pas de bonheur possible dans la lassitude. Alors elle a regardé autour d’elle, a vu ces regards insistants, comme d’autres soleils qui brillaient aussi... et elle s’est dit pourquoi pas.

Florent n’avait que son chagrin, sa peine, sa douleur, pour lutter; rien de valable à opposer à la chaleur d’un bel astre tout neuf.

Chaque jour il se demande pourquoi! Pourquoi ne s’est-il pas décidé avant, pourquoi ne pas avoir mis fin plus tôt à son précèdent couple inconsistant et vide depuis tant d'année, pourquoi avoir nié cet élan si évident du cœur. Il a fini par ouvrir les yeux, accueillir enfin ses sentiments pour Perrine, mettre fin à cette union en lambeaux pour la rejoindre... mais il était trop tard. Il s’est retrouvé seul sur le quai, le train était parti sans lui. On ne peut remonter le temps. Il a alors abandonné le combat, s’est laissé aller, en chute libre, happé par sa tristesse.

Ce soir après le travail il est repassé chez lui prendre quelques affaires et est parti comme ça, sans raison, sans autre but que celui de voir la mer qui s'étale quelque part au loin, à la fois permanente et changeante pour y perdre son regard, y déposer ses larmes et son cœur en morceau et peut être y trouver le repos.

Le jour décroît de plus en plus. Il est réduit à une pâle lumière grise au-dessus des arbres de la forêt. La route n'est maintenant plus qu'une une mince langue de bitume sombre. Une sonnerie le sort de ses pensées. Il est sur la réserve, plus d'essence. Ou trouver une station dans un endroit pareil? Il ne sait pas où il est. Il aperçoit alors une faible lueur au loin. Sans doute un hameau ou une maison isolée: peut-être y trouvera-t-il de l’aide. A mesure qu’il s’approche se dessine comme une petite cabane, porte et fenêtres grandes ouvertes diffusant leur lumière dans la nuit. Juste devant 3 poteaux rouges surmontés de disques lumineux, à côté un panneau plus en hauteur portant un cheval ailé. Il ralentit et se gare devant l'une des pompes. Il coupe le moteur. Il reste assis ses mains toujours sur le volant. La satisfaction d’avoir évité la panne s’estompe vite. Il s'égare à nouveau dans ses pensées, Pégase lui ramenant le visage de celle qu’il aime et tente d’oublier.

Un homme portant veston et cravate sort de la boutique. Cet élégant pompiste semble venir d’un autre temps. Il saisit le pistolet et fait le plein sans y avoir été invité.

Son travail accompli, le vieil employé s’essuie les mains et s’approche de la fenêtre du conducteur. Il aperçoit un jeune homme affalé sur son siège, immobile, le visage si triste.

Florent se rend compte de cette présence et tourne la tête. Il voit alors cet homme, le visage usé par les années avec dans le regard une étrange lueur. Certains regards ont ce don de nous parler plus justement qu’un beau discours, de toucher notre âme plus sûrement que les mots.

Tu penses sans cesse à Perrine n’est-ce pas? Tu te demandes bien comment faire pour continuer?

Ces propos sortent Florent de sa contemplation, comme une douche froide qui réveille d’un coup.

Je n’ai pas de réponse à t’apporter Florent, pas de réponses à ces questions qui tournent dans ta tête. Ce qui est sûr c’est que traîner ton chagrin de la sorte ne te mènera nulle part. Tu finiras par être toi aussi en panne, par t'éteindre.

Florent écarquille les yeux et reste sidéré par ces propos si personnels.

Tu l’aime plus que tout, je le sais bien, comme si ta vie n’a été qu’une trajectoire continue jusqu’à cette soirée de juin, cette table vert anis sur ce petit balcon où vous avez lu l’un dans l’autre pour la première fois. Elle fait battre ton cœur à chaque seconde. La lune apparaît et son visage éclaircit la nuit, une traînée d’avion dans le ciel et se dessine tes rêves de voyage avec elle, un bras de rivière qui s’écoule en douceur et tu revis un de ces rares moments en sa compagnie…

Il te reste deux choses aujourd’hui : ton amour pour elle et tes mots. Alors utilise-les. Préserve l’amour que tu lui portes, comme une carte postale de vacances. Ne l'abîme pas, ne l’altère pas avec des mensonges, des suppositions qui t’aideraient à alléger ton chagrin.

Tes mots, si tendres, si pleins d’amour pour elle, dépose les dans des lettres, dans tes carnets, fais les danser sur la musique de ton cœur, rends les magnifiques.

Alors l’inestimable cadeau que tu as reçu d’elle restera vivant en toi.

Garde cela précieusement comme une lanterne par une nuit de tempête car personne ne sait ce que l’avenir réserve. Sois sûr d’une chose : un petit coin de ciel bleu nous attend tous quelque part.


Incapable de sortir un mot, Florent ne réussit qu'à tendre un billet tiré de sa poche. Le vieil homme lui sourit, d’un sourire portant toute la douceur d’une vie, fait non de la tête et s’éloigne lentement.

Florent repart, droit devant lui, sur cette route inconnue, dans ce rêve éveillé sans comprendre exactement ce qui lui arrive.

Dans son rétroviseur il voit le vieil homme déposer son veston à côté d’une des pompes et rentrer à pas lent, le corps voûté, dans la petite boutique. Tout devient flou, lointain, la lumière projetée sur la route s’estompe pour finalement disparaître, avalée par la noirceur de la nuit.

L’image de cette personne étrangement familière s’efface déjà. Il ne lui reste en mémoire que ce prénom, brodé en belle lettre ronde sur la poche du veston: ”Florent”.

Il se réveille assez tôt, dans sa chambre d'hôtel face à la mer. Il allume la radio et ouvre les rideaux. Le lever de soleil est magnifique : un ciel clair comme du cristal, une mer calme aux teintes incroyables. Cela ressemble au premier matin du monde.

Les paroles d’une chanson à la mode se répandent autour de lui.

Tout en fermant les yeux, il sourit. Il tend les bras comme pour accueillir un être cher que l’on retrouve après une longue absence.

“ ♬ Sur les trottoirs je pense à toi, sur les boulevards je pense à toi, …♬ “

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GasChapitre3 messages | 6 ans

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