Chapitre 25 : de très peu...

9 minutes de lecture

L’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 58 avait donné un « coup de fouet » au développement du domaine spatial. Une société de droit privé, le CRS[1], avait été créée, sous l’égide du ministère de la Défense. Les deux premières années, jusqu’en 1961, la priorité avait été donnée au domaine des missiles balistiques, domaine dans lequel ni moi ni mon équipe n’étions vraiment impliqués. Les travaux sur le « spatial pur » étaient réalisés en douce. Enfin, « en douce » officiellement. Personne n’ignorait qu’une partie des ingénieurs travaillaient sur tout autre chose que la défense stratégique française.

Fin 1961, le ministère officialisa la commandite de cette société sur le domaine spatial pur. Il fallait se préparer à pouvoir, nous aussi, lancer des satellites. Pour cela, Véronique ne suffirait pas, il allait falloir passer à la « gamme supérieure » de fusées et de lanceurs. Notre équipe allait fusionner avec ces ingénieurs qui avaient travaillé « en perruque » pendant quelques années. Nous n’utiliserions plus Véronique que pour les expériences visant à mieux connaître la haute atmosphère et pour l’envoi d’animaux dans l’espace. Nous nous focaliserions sur la mise au point d’un lanceur à plusieurs étages afin de placer des charges lourdes en orbite. On entrait vraiment dans la conquête spatiale.

Ce programme porterait le nom de « Programme des pierres précieuses » avec différentes compositions possibles de premier, second et troisième étage. Dans un premier temps, les fusées « Aigle » et « Agathe » devaient qualifier les installations au sol et le système de télémesure permettant de suivre le déroulement des opérations. Le premier étage « Emeraude », basé sur un moteur « Vexin » développé par nos collègues allemands à Vernon nous permit de mettre au point la propulsion principale. Il était équipé de combustibles et comburants liquides, comme Véronique AGI. Pour le second étage, appelé « Topaze », nous devions résoudre la question du pilotage. L’idée était d’avoir des tuyères mobiles, permettant de modifier la trajectoire en cas de besoin. Celui-ci, placé sur le premier étage allait devenir « Saphir ». Enfin, viendrait « Rubis », comprenant deux étages avec une propulsion à poudre, pour terminer la partie haute du lanceur. L’ensemble constitué devenait la fusée « Diamant » qui devait être capable d’emporter un satellite de 50-60 kg pour le mettre en orbite. Ce programme allait s’étaler sur quelques années et se concrétiser par une mise en orbite à l’aide d’un lanceur 100% français. Dans le même temps, nous avions pris des contacts avec les Américains pour qu’ils lancent aussi un satellite français avec un de leurs propres lanceurs. On n’était jamais trop prudents.



Après plusieurs tentatives qui avaient échouées, il semblait bien, en ce mois de mars 1962, qu’on se dirigeait enfin vers un apaisement en Algérie avec les négociations qui avaient débuté le 7 du même mois à Evian. Quelques jours plus tard, les deux délégations parvinrent à un accord le 18 mars et un cessez-le-feu entra en vigueur dès le lendemain avec également la libération des dirigeants algériens emprisonnés en France. Celui-ci ne serait cependant pas respecté avant plusieurs mois, ni par l’OAS, ni par le FLN.

En effet, dès le 22 mars, l’OAS ouvrit le feu sur les forces de l’ordre et tua une vingtaine de gendarmes mobiles. Le lendemain, sept appelés du contingent qui avaient refusé de livrer leurs armes à l’OAS furent abattus. La tension ne faisait que monter, exacerbée par le message radiodiffusé du général Salan, chef de l’OAS, le jour de la signature des accords d’Evian :

  • Ici Radio-France, la voix de l'Algérie française. Français, Françaises, un cessez-le feu qui livre à l'ennemi des terres françaises vient d'être consenti. Il s'agit là d'un crime contre l'Histoire de notre nation. Je donne l'ordre à nos combattants d’harceler toutes les positions ennemies dans les grandes villes d'Algérie.

Depuis lors, consigne fut donnée à tous les membres de cette organisation de considérer chaque soldat français comme membre d’une force étrangère et ennemie. Le 23 mars, les commandos Delta de l’OAS se retranchèrent dans le quartier de Bab El Oued, essentiellement peuplé de Pieds-noirs. Celui-ci fut bouclé par l’armée et la gendarmerie mobile, les accès bloqués par des chars. Lors des combats qui suivirent, l’aviation fut également engagée. Les membres de l’OAS réussirent toutefois à s’échapper, profitant du fait qu’un colonel de l’armée avait « traîné les pieds » pour appliquer ses ordres de bouclage de la zone qui lui avait été affectée. Il y eut une vingtaine de morts et presque une centaine de blessés de chaque côté. Durant les deux semaines qui suivirent, tout le quartier resta bouclé. Une seule heure par jour était octroyée aux habitants pour sortir faire les courses indispensables. Les forces de l’ordre et l’armée réalisèrent plusieurs milliers de perquisitions, qu’on pourrait qualifier de brutales, procédèrent également à énormément d’arrestations et saisirent plusieurs centaines d’armes (pistolets et fusils).

À Hammaguir, nous étions rivés à nos postes de radios, le soir mais aussi dans la journée, nous demandant bien comment tout cela allait finir… L’indépendance nous semblait à tous, scientifiques comme la majorité des militaires présents à Hammaguir, aller dans le sens de l’histoire. Nous ne comprenions pas cet acharnement de l’OAS à lutter pour l’Algérie française et encore moins tous ces bains de sang engendrés.

Quelques jours après cette « bataille de Bab El Oued », l’OAS appela les Pieds-Noirs à manifester massivement pour faire sauter le blocus du quartier. L’armée assurait l’ordre et, pour le général à la tête du maintien de l’ordre dans la ville d’Alger, cette manifestation avait un caractère insurrectionnel « Nous sommes en période insurrectionnelle, toute manifestation est maintenant un mouvement insurrectionnel ordonné dans un but insurrectionnel ». Pour autant, la manifestation, interdite également par le préfet d’Alger, restait pacifique. Les soldats présents n’étaient pas formés pour le maintien de l’ordre et sans que l’origine ne puisse être clairement identifiée, un coup de feu partit, entraînant une fusillade nourrie des soldats tenant le barrage de la rue d’Isly, durant plus d’un quart d’heure. Ce qui fut appelé plus tard « le massacre du 26 mars » fit l’objet d’une censure drastique malgré un bilan de plus d’une cinquantaine de morts et entre 100 et 200 blessés. En représailles, une dizaine de musulmans furent lynchés dans le quartier Belcourt, juste après la fusillade.

Le soir même, le Général de Gaulle fit une allocution télévisée, sans mentionner la fusillade de la rue d’Isly, en demandant aux Français de voter « oui » au prochain référendum sur l’indépendance de l’Algérie en déclarant « En faisant sien ce vaste et généreux dessein, le peuple français va contribuer, une fois de plus dans son Histoire, à éclairer l'univers ». Un décret du 20 mars interdisant aux Français d’Algérie de prendre part à ce référendum, allait encore attiser le ressentiment des Pieds-Noirs à l’égard du Général.

Lors de ce vote, organisé le 9 avril, le « oui » l’emporta largement avec plus de 90% des suffrages exprimés.

Nous nous demandions ce qu’il allait en être de notre centre de tir de fusées, maintenant que les accords d’Evian, ouvrant la voie à l’indépendance de l’Algérie, avaient été signés et validés par un référendum. Nous apprîmes quelques jours plus tard qu’une clause secrète de ces derniers prévoyait le maintien du CIESS à Hammaguir jusqu’en 1967. Marie m’apprit quelques jours plus tard qu’une clause similaire leur avait été ajoutée pour les essais de bombes dans le désert algérien.

Les Européens commencèrent à quitter massivement le pays, encombrant les quais du port d’Alger dans l’attente d’un bateau pour rejoindre la métropole. L’armée dut même fermer une partie du port le 11 avril, à la suite de menaces de l’OAS voulant empêcher le retour des Pieds Noirs en France. Il y eut même quelques attentats contre des agences de voyages algéroises.



Marie m’appela début mai et me fit rétrospectivement très peur. Le dernier tir souterrain réalisé, le 1er mai 1962 s’était très mal passé. Alors que deux ministres étaient pourtant présents - le ministre des Armées et celui de la Recherche scientifique -, il y avait eu un souci de confinement. La France avait depuis peu abandonné - sous la pression internationale - ses essais aériens. Les tirs étaient réalisés dans des galeries creusées au sein de massifs de granit dans le désert. Ce jour-là, pour le second tir de ce type, la bombe avait été placée au fond de l’une d’entre elles. Cette galerie, qui se terminait en colimaçon, était obturée par un bouchon en béton, et devait s’effondrer lors du tir, confinant l’explosion et les produits radioactifs sous le sol...

Il semble que l’effondrement ne se soit pas déroulé comme prévu et que le bouchon en béton ait été pulvérisé par le souffle de l’explosion. La porte fermant la galerie fut projetée à plusieurs dizaines de mètres laissant échapper un nuage de gaz et de particules radioactives. Les personnes présentes, sans la moindre protection, dont les deux ministres, furent exposées à un mélange de contamination[2] et d’irradiation[3]. Tout ceci fut bien sûr couvert par le « Secret Défense » et Marie ne me dit pas tout. Cependant, ses sous-entendus me laissèrent penser qu’il s’agissait sans doute d’un des incidents de ce genre le plus grave, arrivé lors des essais atomiques français. J’espérais qu’il n’y aurait pas de conséquences pour sa propre santé…



En mai, le rapatriement vers la France s’accéléra avec la mise en place d’un pont aérien entre Alger et Paris. En juin les commandos Delta de Salan mirent le feu à la bibliothèque universitaire d’Alger mais l’OAS finit par capituler fin juin. Le 5 juillet, l’indépendance de l’Algérie entra en vigueur, comme il était stipulé dans les accords d’Evian. Les réjouissances entraînèrent des fusillades et plusieurs morts côté Européens. On parle d’un chiffre entre 145 et 700 tués. Décidément, même l’indépendance commençait dans un bain de sang… D’autant plus que mi-juillet, le FLN commença les massacres des Harkis, les Algériens qui avaient eu la mauvaise idée de rester fidèles à la France mais qui avaient été laissés sur place lors des rapatriements massifs. Ils furent ainsi entre 30000 et 80000 tués. Le 9 septembre, l’entrée de l’Armée Nationale Populaire algérienne (ANP) dans la capitale en liesse, marqua la fin officielle de la guerre d’Algérie. Celle-ci avait fait près de 25000 morts et 65000 blessés côté soldats français, au moins 200 000 morts côté algérien. Le 5 octobre, l’Algérie fut admise aux Nations Unies, consacrant ainsi son indépendance.



Comme si nous n’avions pas été assez gâtés par cette année 1962, la crise des missiles de Cuba survint, nous faisant passer très proche d’une guerre mondiale atomique. Déjà, l’année précédente, il y avait eu l’affrontement silencieux des Américains et des Russes à Berlin. Mais cette fois-ci, cela avait pris un tournant potentiellement plus risqué. Durant la deuxième quinzaine d’octobre, l’URSS avait installé des missiles nucléaires sur l’île de Cuba, pointés sur les USA. Ils furent finalement enlevés contre la promesse des USA d’ôter des missiles américains en Turquie et Italie - pointés eux sur l’URSS - et sur l’engagement de ne plus jamais tenter d’invasion de Cuba, après l’échec du débarquement de la baie des Cochons). Cela avait été évité de peu, de très peu…

[1] Le général de Gaulle, décide le 7 janvier 1959 de créer le Comité de recherches spatiales (CRS) chargé d'étudier le rôle que la France peut jouer dans ce nouveau domaine. Le comité regroupe des scientifiques, des ingénieurs ainsi que des représentants des ministères et est présidé par Pierre Auger, physicien français de renommée mondiale. Le CRS donnera naissance au CNES quelques années plus tard.

[2] Contamination : ingestion par voie digestive ou respiratoire, de particules radioactives qui irradie le corps humain de l’intérieur. Ces particules sont éliminées par le corps humain selon le type d’élément ingéré ou inspiré. Mais durant tout le temps de leur présence dans le corps humain, elles causent des dégâts aux cellules du corps.

[3] Irradiation : effet des rayonnements ionisants des particules radioactives qui restent à l’extérieur du corps humain. Dès que l’être humain s’éloigne de la source de rayonnement, ceux-ci diminuent, voire sont supprimés dans le cas d’une grande distance.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Fred Larsen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0