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Lucian passa sa main dans ses longs cheveux bruns. Il prit la clef qui pendait à son ceinturon et l'enfonça dans la serrure.

— Entrez, ordonna-il froidement aux nouvelles recrues.

Un à un, les gardes s'exécutèrent.

— Tiens, dit-il à un soldat moustachu alors que celui-ci passait la porte.

Il posa la clef dans sa main.

— En cas de problèmes. C'est un double.

Le garde le dévisagea.

— Mais... Mais pourquoi moi ? demanda-t-il, interloqué.

— Et pourquoi pas ?

Lucian lui tapota l'épaule souriant et lui fit signe de rentrer.

— Heu... Capitaine ?

Lucian se retourna.

— Oui ? répondit-il au soldat aux cheveux blonds qui venait de lui adresser la parole.

— Je tenais juste à vous dire... Je...

Le jeune homme trembla de nervosité.

— Quel âge as-tu ?

— C-comment ?

— Ton âge, insista Lucian avec compassion.

— J-j'ai dix-neuf cycles.

— Dix-neuf ? On a presque le même âge alors.

Il lui sourit. Pendant un instant, le jeune soldat ne sut comment réagir.

— C'est... C'est que... bégaya-t-il. Capitaine, v-vous avez toujours été un exemple pour moi. Je tenais juste à vous dire que c'est un véritable honneur.

Lucian hocha la tête.

— Tout l'honneur est pour moi, répondit-il.

Le jeune soldat sourit. Lucian lui fit signe de rejoindre les autres.

Oui. Il y a à peine quelques cycles, j'étais comme toi.

Il renferma la porte derrière lui.

Cela faisait longtemps qu'il n'était plus aussi naïf et innocent que ce jeune soldat. La mort d'Elena l'avait poussé à suivre les traces de son père dans la Garde Royale, dont l'excellente réputation l'avait aidé à gravir les échelons de la hiérarchie militaire.

— Garde à vous, ordonna-t-il en s'approchant du drap noir posé au sol.

Lucian n'en restait pas moins un homme talentueux, et courageux, et ses nombreuses initiatives avaient permis de renforcer l'état de la Garde, affaiblie par les cycles et la Résistance, dont les forces grossissaient de jour en jour.

— Repos.

Prendre l'ennemi de revers en recrutant des hommes jeunes et vigoureux, et transformer ce sang neuf en soldats accomplis en moins de sept lunes. L'idée n'était pas neuve, mais audacieuse, l'entraînement traditionnel ne s'effectuant jamais en dessous de quatorze lunes. Malgré les récriminations du chancelier, il avait prêté serment au Roi Lynx, qui lui avait accordé sa confiance.

— Il y a plus de vingt cycles, avait répondu le Roi, Pierre Marron envoyait ses troupes contre l'ennemi. Une centaine de jeunes soldats, peu entraînés, affrontant l'armée de Ventan et sortant victorieux. Capitaine Lucian Marron, voilà des générations que votre famille sert le Royaume de Dantry et jamais celle-ci n'a failli à son devoir. Si miracle il faut alors miracle il y aura.

Non, pensa-t-il. Je ne faillirai pas.

Il souleva le drap noir qui se trouvait au sol, découvrant ainsi le corps mutilé du garde qui se trouvait en-dessous. Ses soldats le regardèrent faire, sans dire un mot.

— Regardez bien, dit-il en saisissant la tête du garde.

*clic*

— Vous voyez ? insista-t-il en secouant la tête entre ses mains. Voici ce que l'on appelle un acte méprisable.

Il posa délicatement la tête sur le sol.

— Quoi qu'ait fait cet homme, poursuivit-il en soulevant ce qui restait du pauvre garde, il était soldat. C'était l'un de nos camarades. Une nouvelle victime de la Résistance. Ces gens l'ont tué de sang froid. Ils l'ont torturé, décapité et laissé pourrir dans les rues du royaume, tel un rat. C'est un affront envers le Roi Lynx. Un affront envers la Garde Royale. Que dis-je ? Un affront envers cet homme et sa famille.

— À mort la Résistance ! hurla un garde au faciès de rat.

— Qui pense ici que nous devrions le venger ? Qui serait prêt, dans cette salle, à s'attaquer à un membre de la Résistance et lui faire subir ce qu'il a fait à cet homme ? Qui pense ici devoir faire justice ?

— Vengeance ! cria un garde.

— On les tuera ! s'exclama un autre.

— Mort la Résistance !

— Hé bien, vous avez tort.

La surprise s'afficha sur les visages des jeunes soldats.

—M-mais, balbutia l'un d'eux. Capitaine...

— En quoi consiste le travail d'un membre de la Garde Royale ? Protéger. Non pas tuer, ni venger, ni torturer. Protéger. Voici ce qui nous différencie de la Résistance. Ces gens sont des meurtriers, sans foi ni loi.

Il attrapa le drap noir et le reposa sur le cadavre de son camarade.

— Un membre de la Garde Royale se bat avec honneur, respect et dignité. N'oubliez jamais que votre ennemi, aussi répugnant soit-il, est avant tout un être humain.

— Que de belles paroles !

Lucian haussa un sourcil.

— Comment ?

— C'était émouvant, vraiment. J'en aurai presque la larme à l'œil.

Lucian fixa le soldat du regard, interloqué. L'homme, de taille moyenne, releva une mèche de cheveux roux qui tombait sur ses yeux sombres.

— J'imagine que votre soudain changement de carrière n'a aucunement été motivé par une quelconque rancune envers la Résistance ?

— Soldat, nous connaissons-nous ? s'enquit-il.

— Oh. Nous nous connaissons depuis bien longtemps. Pourtant, c'est seulement la deuxième fois que nous nous rencontrons. Cela dépend de votre façon de voir les choses.

Lucian resta bouche-bée. Il ne comprenait rien à ce que le soldat lui racontait.

— Soit dit en passant, Capitaine, je crois que j'ai déjà déshonoré mon statut. Voyez-vous, cet homme, c'est moi qui l'ai tué.

Un silence écrasant s'abattit sur le donjon.

— Je me suis incrusté dans votre petit groupe afin d'assassiner le Roi Lynx. Mon nom est Yagor et je suis le chef de la Résistance.

Le sang du capitaine de la Garde ne fit qu'un tour.

— Soldats ! hurla-t-il.

Il ne fallut pas plus de quelques instants à ses compagnons pour brandir leurs épées.

— Oh, fit Yagor sans perdre son sourire. Me voilà pris au piège.

— Silence, ordonna Lucian. Soldats, ne le quittez pas...

—... des yeux, c'est un ordre, compléta Yagor. Pardon Lucian. C'est simplement une de mes parties préférées.

— Silence, j'ai dit !

Lentement, le chef de la Résistance leva la main. Dans celle-ci se trouvait un petit objet de forme triangulaire.

— Soldats, reculez ! fit Lucian en brandissant sa propre épée.

— Du calme, Lucian : la pyramide temporelle n'a pas le pouvoir de tuer.

— Qu'est-ce qu'on fait, Capitaine ? gémit un garde de petite taille. On l'exécute ?

— Non. La Garde Royale ne verse jamais de sang inutilement. Restez où vous êtes.

Lucian approcha la lame de son épée de Yagor.

— Rends-toi, lui ordonna-t-il. Tu n'as nulle part où aller. Tu es cerné.

Yagor soupira.

— Nulle part où aller... Tu ne pourrais pas être plus exact.

— Comment ça ?

Lucian eut un geste d'impatience.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Yagor haussa les épaules.

— Pour être franc, tout ça n'a aucune importance, désormais, fit-t-il en souriant. Toi comme moi sommes prisonniers d'une boucle qui se répète. Enserrés par un serpent qui se mord la queue, notre futur est notre passé et notre passé notre futur.

Lentement, il approcha son doigt du bouton rouge de la pyramide.

— Alors à quoi bon tergiverser puisque tout va, de toute façon, bientôt recommencer ?

*clic*

-FLASH-

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