Puis une idée m’est venue

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« Mais comment avez-vous donc fait pour ne pas devenir folle, ne pas jeter votre gourme et errer, solitaire parmi la garrigue fouettée de vent ? Quelle belle résilience, tout de même ! »

« J’ai résisté comme je vous disais. Puis une idée m’est venue. Plutôt que de fuir, il me fallait assumer. J’ai décidé d’aller frapper aux portes de ceux qui étaient les plus véhéments. Au début ils ne les entrouvraient qu’avec mauvaise grâce, un brin hostiles. Je leur ai proposé de réaliser leurs portraits en noir et blanc. Ils étaient si beaux avec leurs faces ridées, leurs yeux gris enfoncés dans leurs orbites, leur air farouche d’oiseaux de proie. Quelques uns ont accepté d’abord, sans doute surpris d’eux-mêmes et flattés de poser pour la photo. Les premiers clichés, les gens ont accepté de les clouer sur leurs portes. Les autochtones étaient curieux et, paraît-il un brin jaloux de n’avoir pas été choisis. Puis la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Il y aurait bientôt une exposition des portraits dans le corridor d’entrée de la mairie. Les plus récalcitrants ont fait acte de candidature. Maintenant j’avais renversé la situation en ma faveur. Les plus malicieux m’appelaient encore « pazza vicino », mais sur le mode humoristique, sinon taquin. Alors, sans doute, vous demanderez-vous pourquoi, ce matin même, j’étais encore affublée de cette stupide perruque rose ? Mais seulement parce que j’étais en fuite de celle que j’avais été, je voulais lui faire un pied de nez. Je l’offrirai à une adolescente d’ici, elles aiment toutes se grimer, se donner mauvais genre le temps d’un carnaval, d’une soirée noyée dans les vapeurs de l’alcool… »

Ces derniers mots, Emilie - elle m’avait révélé son prénom -, les avait prononcés sur le mode de la nostalgie ou bien du regret. Que regrettait-elle ? Sa vie de jeune fille ? Le rapt de Giuliano ? Sa vie de Folle ? Les âmes sont si complexes qui dérivent sous des eaux multiples, ici au bord de la lagune, sous le soleil ardent du Sud. Tout est toujours en fuite de soi, qui jamais ne revient. J’ai pris quelques photos de la maison. J’ai salué Emilie chaleureusement. Je suis rentré à l’hôtel. La réceptionniste m’a longuement interrogé du regard. Sans doute cherchait-elle sur mon visage à surprendre la trace de la Fugitive !

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