Elle me laissa à peine terminer

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Elle me laissa à peine terminer ma phrase. Je la sentais impatiente de me donner quelques explications.

« Asseyons-nous sur ce banc, si vous voulez, je vais vous raconter mon histoire. Oui, ici, j’ai hérité de plein de sobriquets amusants : « la ragazza pazza », « equivoco », « assente », « sfacciato », mais vous aurez traduit : « la folle », « la fuyante », « l'absente », « l'effrontée ».

   « Mais pour quelle raison méritiez-vous ces étranges nominations ? »

   « Eh bien je vais vous expliquer. »

   Sa voix était belle, chantante, modulée comme si elle avait conté une fable à un enfant. Sa parole s’enlaçait aux volutes de fumée. Elle était une germination infinie, une efflorescence. Je dois avouer que j’étais sous le charme.

   « Toute gamine, je venais ici en vacances avec mes parents. Je dois reconnaître, j’étais effrontée, un brin espiègle et pour tout dire provocante, mais pour autant bien acceptée. Les plus âgés me désignaient sous le terme de « piccolo demone », « petit démon », ce qui ne manquait de m’amuser et je crois même renforçait mon inclination à m’affirmer, à marcher en dehors des sentiers battus. »

   « Mais alors, hasardais-je, d’où est venu ce subit retournement ? Aviez-vous commis quelque péché motel ? »

« Véniel, sûrement, mortel, aux yeux des natifs sardes, sans doute, oui. A l’âge de vingt ans, je m’étais éprise du fils d’un pêcheur, Giuliano, un beau garçon au teint halé, aux yeux bleus comme la mer, au torse athlétique tel Apollon. J’étais devenue follement amoureuse de cet éphèbe et, un beau jour, je l’avais « enlevé », il n’avait alors que seize ans et nous avions rejoint Paris comme des fugitifs, des parias en quelque sorte. Les parents de Giuliano avaient tenté de persuader leur fils de revenir au pays, mais il se plaisait en France, vivant de menus travaux, mon travail de photographe pourvoyait amplement à nos besoins. Notre vie commune, passionnée, libre, inventive, dura ce que durent les roses et, un jour, il nous fallut convenir que nos destins se sépareraient, qu’en commun il ne nous restait plus que les criques solaires de la Sardaigne d’autrefois, là où notre rencontre avait été le prétexte à prolonger nos plaisirs au-delà d’un rapide été. Giuliano resta à Paris, je lui avais trouvé un emploi dans une imprimerie. En ce qui me concerne, je devais m’exiler. »

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