Dans l'herbe verte et tendre...

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Dans l'humus éventré git la banque de graines,

Le Géant est tombé pour que poussent les scions ;

Soleil baigne la terre et réchauffe la plaine,

Puis craquèle le sol sous la verte pression.

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Le trou béant dans la verte toiture végétale avait persisté près d'un mois, toujours noir et désert au cœur de l'hiver.

Puis le réchauffement des températures et l'allongement de la durée des jours avaient fait leur œuvre. Un signal de croissance avait été envoyé aux armées silencieuses de la sylve, et le compte à rebours s'était enclenché. Désormais une horloge implacable égrenait les secondes. La course à la croissance était à présent lancée sous le regard attendri du promeneur, fasciné par la pousse qui reprenait au milieu des ossements de l'Ancêtre, engraissée de l'humus produit de ses feuilles et des hôtes de son bois.

À contempler ce tableau charmant et bucolique, comment en effet imaginer la réalité écologique maquillée de vert tendre ?

Sous les yeux morts de l'Ancêtre se jouait pourtant un combat de tiges, d'épines et de feuilles, véritable guerre des tranchées où tous les coups sont permis.

Qui serait le plus rapide à germer ? À occuper l'espace, à capter le plus de lumière et de nutriments ? Avec la mort de Castagnu tout devenait possible, et chacun combattait pour obtenir sa place au soleil, au sens propre comme au figuré.

Graminées et autres annuelles profitaient de la manne de clarté pour effectuer un cycle rapide, grandir et produire leurs fruits avant que la lumière ne manque à nouveau...

Plantes plus pérennes et résistantes ‒ hémicryptophytes, chaméphytes et autres buissonnantes tentant de croitre au plus vite ‒, érigeaient leurs citadelles de verdure enkystées, toutes épines dehors afin de repousser le moindre envahisseur.

Mais les ultimes combattants étaient de xylème, jeunes plants de l'année encore timides, pourtant promis à une strate arborée, bien plus élevée. Pour ceux qui seraient les plus rapides et les plus forts, s'entend... Ils pousseraient des années durant, futaie fraternelle jusqu'à ce qu'un autre Roi de la forêt se dessine et à son tour domine le ciel, contrôlant l'accès au flux solaire.

Au fil des siècles, la forêt régénérée ainsi se reforme, croît, vit et meurt, puis revit à nouveau dans un cycle immuable, perpétuellement rajeunie par plaques au gré des trouées naissant de la mort des plus vieux.

Mais qui hors l'érudit pourrait percevoir le tapis vert et tendre comme un champ de bataille ? L'humain voit l'herbe prolifique et pense juste « vie », alors que se joue aussi sous ses yeux un combat pour la domination. Des millions doivent mourir au fil des années pour qu'un seul géant pousse ! Et la guerre est y compris chimique : tanins répulsifs, hormones inhibitrices de croissance... Parfois l'union fait la force, et des symbiotes joignent leurs compétences pour tenter de l'emporter... Toute stratégie est admise, pourvu qu'elle confère un avantage à l'inventeur contre ses concurrents !

La Nature est ici seule aux commandes, nulle place pour le sentiment. Ses lois sont cruelles : ce qui n'est pas adapté ne survit pas, et le faible ne peut guère espérer qu'une mort rapide...

Oui... L'humain pleure la chute de l'Ancêtre sans voir plus loin, sans penser que c'est pourtant la condition indispensable au renouveau des Seigneurs de la forêt. Il ne perçoit pas la germination prochaine des fruits conservés par le sol, ne comprend pas que la mort du patriarche donnera leur chance à des millions de jeunes plants, permettant ainsi la sélection des graines les mieux adaptées, au bénéfice de la forêt de demain... Et il ne voit pas plus la guerre sans pitié menée parmi les pousses tendres...

Mais toi, Lecteur, à présent tu sais. Ne pleure pas trop longtemps la chute du vieil arbre arrivé au terme de sa vie, mais célèbre plutôt l'avenir ainsi rendu possible.

Tu sais désormais que l'Ancêtre a semé la forêt future dans la terre qu'il a contribué à creuser et enrichir, et que la clairière l'accouchera. De la bataille des semences émergera un nouveau géant, jusqu'à la prochaine chute...

Et ainsi va le cycle immuable de la vie, où nombreux sont ceux qui disparaissent pour que d'autres prospèrent.

Dans la Nature, parfois l'arbre cache vraiment la forêt...

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