Chapitre 3: Le Marchand

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Je restais figé, incapable de dire quoi que ce soit. Sur le bord de mes lèvres, je sentais mon habituel sourire et mes habituelles salutations, prêts à surgir. Le soleil n'était plus si rassurant, ses rayons se faisaient brûlants, le blé éblouissant.

"Je suis là pour le médaillon." finis-je par dire.

Le voyageur leva les yeux au ciel. Il ne me répondit pas, prenant le temps de ranger sa bombe dans le sac qui n'aurait pas eu en contenir la moitié. Ses habits changèrent brusquement. Son épée me semblait plus aiguisée, son armure plus épaisse, plus brillante aussi, la couleur même de son pourpoint changea !

"Quel médaillon ?"

Sa voix me fit presque sursauter. "Reprends-toi Arthur !" songeai-je.

"Celui que vous avez volé chez mon père. Mais vu comment vous avez mis à sac l'endroit, je suppose que vous devez avoir des montagnes d'objets volés."

Mon propre sarcasme m'étonna. Je n'étais pas le seul surpris, le Voyageur avait écarquillé les yeux avant d'appuyer plus fermement sa main sur la poignée de son épée. Je ne suis pas quelqu'un de méchant d'habitude, encore moins d'ironique ! J'ai même parfois du mal à comprendre le second degré, ce qui avait vite ennuyé les autres villageois qui avaient décidé de me laisser tranquille dans mes champs.

"C'est quoi encore cette quête méta ?"

Une quête ? Il pensait que j'avais parcouru des caves aussi dangereuses juste pour lui confier une quête ?

"Loin de moi l'idée de vouloir confier une quête à un voyageur aussi brut de décoffrage, et croyez-moi, venant d'un fermier, vous devriez vous sentir insulté."

Je m'en serais giflé. C'était comme si les mots roulaient sur ma langue jusqu'à quitter mes lèvres où ils prenaient une réalité des plus indépendantes de ma volonté. Oh, j'étais toujours furieux contre les événements que cet étranger avait provoqués dans ma vie et les insultes à demi-couvertes que je lui lançais étaient des plus méritées, mais je gardais un instinct de survie qui, bien que basique, me hurlait de me taire.

"J'en ai déjà marre de ces dialogues à la con. Le méta, c'est pas pour moi." rétorqua le voyageur.

Sans vraiment comprendre ce qu'il entendait par 'méta', je comprenais toutefois très bien qu'il s'impatientait et qu'il me voulait hors de son chemin. Je resserrais ma prise sur la garde de mon épée.

"Si vous en avez marre de m'entendre, vous devriez me rendre ce médaillon. Je retournerais sur mon chemin et vous aurez le champ libre pour continuer le vôtre voyageur." répondis-je en me redressant.

"Comme si j'allais jeter un objet de quête comme ça, je n’ai pas envie de retourner au premier niveau." grinça l'étrange personnage qui me faisait face.

Tout se déroula très vite. Ma main desserra la garde de mon épée aussi vite que je m'en étais emparé. Mes dents s'entrechoquèrent sous le choc, laissant toute la place à la vague de sang au goût métallique qui envahit ma bouche. Comment était-il passé derrière moi? Il ne pouvait pas être aussi rapide, c'était impossible!

"Pas d'XP et pas de loot? Quelle perte de temps, foutu PNJ..."

Le sol tangua sous mes pieds avant de se rapprocher brutalement. J'avais perdu conscience avant même de toucher le sol.

Il y a quelque chose de très désagréable à être tué de cette manière. Déjà, parce que se prendre une épée à travers les côtes n'est pas une expérience des plus plaisantes. Mais le pire coup restait pour mon égo. Qu'est-ce que j'avais cru en partant? Que moi, Arthur, fils d'artisan et simple paysan, pourrait affronter un Héros avec en tout et pour tout une antiquité pour épée et du sarcasme pour bouclier ? Même pour le plus simplet, c'était illogique. Un espoir stupide. Stupide. Je n'étais pas de taille, je ne comprenais même pas la moitié de ce qu'il disait!

Mais je lui avais tenu tête. J'avais bravé plus d'interdits et pris plus de risque en une journée que je l'avais fait pendant toute ma vie! J'avais quitté le village et tout ce que je connaissais. J'avais affronté des créatures dont j'ignorais jusqu'à l'existence même.

"Le soleil se lève, le blessé se réveille..."

Je me redressais brusquement, causant un cri de choc à mes côtés.

La pièce était dorée dans les rayons du soleil couchant. Les murs étaient faits de pierres et de chaux, les meubles de bois solide et les draps de lins. À peu de choses près, je me serais cru de retour chez mon père. La première chose que je remarquais était l'absence totale de douleur. Au contraire, je me sentais calme et reposé, comme après une bonne nuit de sommeil réparatrice.

"Si j'avais su que ça marcherait, j'aurais fait ça bien plus tôt !" s'exclama-t-on.

La personne à côté de moi était une femme aux cheveux roux portés en chignon. Sa tenue prouvait une aisance financière avec la teinture pourpre de sa robe et les bijoux d'or qu'elle portait au front, poignets et autour de son cou. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer sa beauté, avec ses grands yeux sombres en amande.

"Mes excuses, à qui ai-je l'honneur?" demandai-je en me tournant vers elle, autant confus qu'elle était surprise.

"Mon nom est Yeraz Al Mayen mais tout le monde m'appelle le Marchand et vous ?" me répondit la rousse en se redressant pour rejoindre la table située non loin.

"Arthur." fut ma seule réponse.

J'étais trop occupé à vérifier que, sous la chemise de lin que je portais, mes côtes ne s'ouvraient pas sur mes organes. Il n'y avait rien de tout ça. Juste une cicatrice qui s'étendait paresseusement entre deux de mes côtes droites.

"Pas de nom de famille? Peu de voyageurs viennent sans avoir quelques pseudonymes." remarqua mon hôtesse alors qu'elle préparait un mince repas.

"Non, je suis juste Arthur. Je ne suis pas un voyageur, je n'ai rien de spécial." marmonnai-je en l'observant.

Je n'avais aucune intention d'être impoli en la fixant de la sorte, mais je ne voyais quasiment personne d'autre que les villageois et les gardes. Je n'avais jamais vu cette teinte pour des vêtements, pas plus que des pierres aux couleurs vertes et bleu océan qu'elle arborait. Le médaillon de ma grand-mère était la seule expérience que j'avais avec les cristaux et la pierre en était orangée.

"Il est vrai que se retrouver à moitié mort devant les caves n'a rien de spécial." se moqua ironiquement Yeraz avant de me faire signe de la rejoindre.

J'obéissais et m'installais sur la chaise qu'elle m'indiqua.

"Combien de temps ai-je dormi ?" m'enquis-je en la remerciant d'un signe de tête pour le bol de bouillon qu'elle avait placé devant moi.

"Moins d'une journée, et pourtant, te voilà en train de gambader comme un lapereau !"

Une journée. Le voyageur devait être loin désormais. Je pouvais très bien rebrousser le chemin, rentrer à la maison, recommencer à élever des poules en regardant le port. Après tout, l'affrontement éclair que j'avais subi était un avertissement clair. Ou alors, je pouvais reprendre ma route, continuer plus profondément dans les terres jusqu'à le retrouver. Retrouver ce héros et lui faire mordre la poussière comme son épée m'avait mordu la chair.

Ce n'était plus tellement à propos du médaillon maintenant. Je ne voulais pas en savoir plus sur lui, sur pourquoi le monde me semblait si étrange et inconnu depuis que je l'avais rencontré. Mais pourtant, j'hésitais.

"Si ça t'intéresse, je cherche un assistant pour m'aider à tenir mon commerce. Je vends principalement des herbes, plantes et potions médicinales avec les masques rituels qui vont avec mais j'aimerais me diversifier, une paire de bras en plus ne serait pas de refus."

Visiblement, mon hôtesse avait remarqué mon doute. Je lui adressais un pâle sourire.

"Un marchand de masque alors ?" plaisantai-je, essayant de changer le sujet.

"Non, plutôt herboriste." répliqua-t-elle sur le même ton, "Ma caravane part pour rejoindre la grande ville la plus proche d'ici demain afin d'y être pour le festival lunaire, même si tu ne veux pas rester m'aider, tu peux toujours m'accompagner jusque-là." suggéra-t-elle.

Son ton était des plus calmes mais une petite voix dans ma tête se demandait pourquoi quelqu'un proposerait une telle chose à un parfait inconnu. Après tout, j'aurais pu être un bandit de grand chemin ! Toutefois, mon père m'avait toujours répété la même chose lorsque je posais trop de questions:

"Arthur, à cheval donné, on ne regarde pas les dents. Maintenant, tais-toi, emmène ton jouet et vas garder les poules!"

"Je serais honoré de vous accompagner jusque-là, vous pouvez compter sur mon aide, je vous dois bien ça." répondis-je donc à Yeraz, un large sourire aux lèvres.

Moi, Arthur, je venais de passer de paysan à clerc de marchand.

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