Spectateur

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La nuit était tombée au-dehors. Ils venaient de s’installer au salon, attendant l’arrivée d’un quatrième hôte. Astrée et Azzur avaient prit place à côté l’un de l’autre sur l’un des canapés, et Maryam était assise en face d’eux, dans un fauteuil de l’autre côté de la table basse. La pièce, de taille moyenne, comportait peu de meubles, mais tous ceux-ci étaient d’excellente facture et assortis aux teintes dominantes, le blanc et le noir. L’ébène et l’ivoire se mêlaient, sans pour autant produire une impression de surcharge. On sentait que la maîtresse de ces lieux organisait sa maison avec goût.

La porte s’ouvrit et le père d’Astrée fit son entrée. Le voyageur se leva et les deux hommes se saluèrent.

« Azzur, commença le plus âgé, quelle surprise de vous trouver ici. C’est un plaisir de vous revoir.

- Ce sentiment est partagé. » assura aimablement le plus jeune.

Il reprit sa place tandis que l’autre s’asseyait sur un siège proche de celui de Maryam.

« Tu ne m’as toujours rien expliqué. glissa le jeune homme à son amie.

- Patience, répondit-elle, il va s’en charger. »

Le père d’Astrée reprit :

« Il me semble que ma fille ne vous a pas encore appris la raison de notre présence ici.

- Non, en effet.

- Il faut dire que la nouvelle était de taille, intervint Astrée avec une expression indéchiffrable, je ne savais comment la lui annoncer. Mais je vous en prie, Père, expliquez-lui, car je suis sûr qu’il se réjouira avec nous.

- Si tu le veux, ma fille. »

Il s’adressa au voyageur :

« Nous avons entrepris ce voyage afin de rejoindre l’un de mes proches amis, avec lequel Astrée va se marier. »

Azzur mit un temps à réagir. Le choc que lui avait causé cette annonce était si grand qu’il eut du mal à masquer sa stupeur. Il vit la grimace éloquente de la jeune femme, que son père ne remarqua pas. Il parvint à se composer un air heureux, puis à répondre :

« Eh bien, toutes mes félicitations ! J’imagine que vous attendez cet événement avec hâte.

- En effet, confirma le père, cependant je ne vous cacherai pas que ma fille est quelques peu réticente.

- Je me trouve trop jeune, rétorqua-t-elle, et je n’envisage pas le mariage comme la porte du bonheur.

- Tu changeras d’avis avec le temps, déclara son père avec douceur, et Salim est un homme très respectable.

- Je ne le nie pas, concéda-t-elle, il est très attentionné et possède de nombreuses qualités, cependant il existe quelque chose que je nomme ‘‘barrière générationnelle’’ et que je ne peux me résoudre à franchir. »

Son père s’apprêtait à répondre quand un serviteur entra dans la pièce. Il s’inclina devant Maryam et prit la parole :

« Madame, votre sœur demande à vous voir, elle patiente dans le salon d’ambre. »

Elle se leva et s’excusa auprès de ses invités.

« Je ne peux pas la faire attendre, je me vois dans l’obligation de vous laisser.

- Cela me rappelle que j’ai quelques détails à régler, déclara le père, je vais également m’absenter. »

Tous deux quittèrent le salon, précédés du serviteur. Une fois qu’ils furent partis, Astrée et Azzur demeurèrent silencieux un long moment. Elle attendait qu’il parle, ou au moins qu’il ait une réaction, mais il demeurait perdu dans ses pensées, sans même la regarder. N’y tenant plus, elle finit par lui demander :

« Alors ?

- Je dois dire que je ne sais pas vraiment quoi en penser. Tu as toujours été pleine de surprises, mais là…

- C’est tout ce que ça te fait ? insista-t-elle.

- Je ne sais pas. »

Il laissa passer un temps, puis reprit :

« Tu n’as jamais dit à ton père que nous n’étions pas de simples amis ?

- Il n’en sait rien, sourit-elle, et je ne compte pas le lui révéler. »

Un autre silence fit suite. Puis elle dit pensivement :

« Nous avons presque été amants.

- Certes. acquiesça-t-il.

- À ce propos, es-tu devenu père ?

- Pardon ?! s’exclama-t-il.

- Ma question ne devrait pas t’étonner, le taquina-t-elle, elle relève d’une certaine logique. Mais je constate à ta réaction que tu n’as pas franchi cette étape. »

Il lui lança un drôle de regard avant de répondre :

« Je ne veux pas d’enfant.

- Pourquoi ?

- Parce que je ne veux pas qu’il leur arrive la même chose qu’à moi.

- Ce n’est pas le raisonnement qu’a eu ton père. fit-elle remarquer.

- Je ne suis pas totalement comme lui, répliqua-t-il, et je ne le connais pas de toute façon. Je peux tout à fait comprendre que la passion du voyage soit plus forte que l’amour d’une femme, cependant je ne lui pardonnerai jamais d’avoir abandonné ma mère.

- Et si tu le rencontrais, un jour… »

Il ne lui laissa pas le temps de finir sa question et l’interrompit :

« Je ne sais même pas s’il est encore en vie, ni dans quel pays il se trouve, mais je ne veux pas le savoir.

- Et… hésita-t-elle, et ta mère ? Tu sais où elle vit, pourquoi n’as-tu pas cherché à la revoir ?

- Elle m’a abandonné à la naissance, soi-disant parce qu’étant une noble, c’était un scandale qu’elle ait eu un enfant avant son mariage. Je lui en veux. »

Elle ne trouva rien à dire. Elle connaissait déjà son histoire, sa vraie origine, pas une comme il en inventait pour chaque femme qu’il rencontrait. Elle était la seule à qui il se soit confié. Si elle lui posait à présent ces questions, c’était parce que la dernière fois elle n’avait pas osé lui demander de détails sur sa naissance. À présent, elle regrettait en partie de l’avoir interrogé. Il n’était pas triste, ni en colère, mais éprouvait juste une sourde rancœur envers ces parents qu’il avait reniés.

« Et si nous changions de sujet ? proposa-t-elle.

- Bonne idée. Je crois que je devine de quoi tu veux discuter, sourit-il, mais cela ne me dérange pas.

- Vraiment ? s’amusa-t-elle. De quoi ai-je envie de te parler selon toi ?

- Du problème qui t’occupe l’esprit, en l’occurrence un certain mariage, je me trompe ?

- Bien joué, mais tu n’as trouvé qu’à moitié. » dit-elle mystérieusement.

Il leva un sourcil interrogateur. Elle déclara directement :

« Aide-moi à m’enfuir d’ici.

- Hors de question. répondit-il du tac au tac.

- Pourquoi ?

- Parce que.

- Ce n’est pas un argument.

- C’est ton problème.

- Laisse-moi deviner, tu as vécu une aventure de ce genre qui a mal tourné ?

- Même pas.

- Alors quoi ?

- Je refuse.

- Donne-moi une seule raison valable.

- Je n’en ai pas envie.

- Quoi ? »

Elle eut envie de rire. Il pouvait être désespérant parfois, lorsqu’il décidait de ne suivre que son bon plaisir.

« Tu me laisserais tomber après ce que nous avons vécu ensemble ? insista-t-elle.

- J’ai d’autres projets, se justifia-t-il, et je n’aime pas que tu n’en fasses qu’à ta tête.

- Dit celui qui s’est maintes fois vanté d’être plus têtu que moi. dit-elle avec sarcasme Et quels sont ces desseins, si je puis me permettre ?

- J’ai l’intention de voyager jusqu’à Jérusalem, puis éventuellement d’aller faire un tour en Égypte.

- Remets ça à plus tard, tu as toute ta vie pour voyager. Je te demande juste de m’emmener à un endroit bien précis.

- Lequel ?

- Paris.

- Tu plaisantes ?

- Pas du tout.

- Mon refus est encore plus catégorique. »

Il prit une inspiration avant de continuer :

« J’ai définitivement renoncé à l’Occident, et je n’y retournerai pas.

- Mais c’est là que se trouve la moitié de tes origines ! C’est là que tu as grandi ! On ne tire pas un trait sur son passé de la sorte.

- Il faut croire que j’ai réussi. rétorqua-t-il. Et puis d’abord, qu’irais-tu faire en France ? Tu ne parles même pas la langue de ce pays.

- Toi si. Tu peux me l’apprendre. Et je dois y rejoindre quelqu’un.

- Qui ?

- Il se trouve que moi aussi j’ai un peu voyagé, expliqua-t-elle, et que j’ai rencontré un jeune homme avec lequel il me plairait de passer le restant de mes jours.

- Dis donc, remarqua-t-il, tu fuis un mariage pour un autre. »

Elle lui jeta un regard exaspéré.

« Quoi qu’il en soit, conclut-il, c’est non. »

S’ensuivit un long silence. Chacun évitait le regard de l’autre. Puis, tout à coup, elle laissa échapper un rire léger.

« Qu’y a-t-il ? s’enquit-il.

- Nous nous disputons encore comme des enfants. »

Il parut surpris, puis rit à son tour. Ils se réconciliaient toujours facilement.

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