Histoire en Noir et Blanc - Inga

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C'était Inga, bien sûr. Ca faisait deux jours qu'elle manquait le boulot, et ça ne lui ressemblait pas. La dernière fois que Widjet l’avait vue, c’était le matin de son dernier jour de travail, juste avant qu'elle prenne son poste. Elle avait demandé si elle pouvait finir plus tôt. Il avait accepté. Elle avait quitté la pièce après lui avoir lancé un étrange « Vous allez être épaté ». Elle rayonnait. Depuis, plus de nouvelles. Elle ne répondait pas au téléphone. La police avait dit qu'il s'agissait sûrement d'une escapade amoureuse, de rappeler d'ici la fin de la semaine si elle ne donnait pas signe de vie. Widjet n'en croyait pas un mot et craignait le pire. Dick devait admettre qu’il n’avait pas tord. Il promit d'aller jeter un œil chez la serveuse. Après tout, ce n'était pas comme s'il avait eu une idée précise en venant. Peut-être même, d'ailleurs, que son instinct l'avait guidé au Fruit's Paradise précisément comme ça. Le détective murmura quelques mots de réconfort creux, toucha son chapeau, et partit en prenant bien soin de laisser la porte du bureau ouverte. Du trottoir, il entendait encore la voix de l'artichaut s'excuser de le mêler à ça, mais vraiment, il ne savait pas quoi faire.

De retour dans les ruelles, Dick adopta un rythme lent, histoire de se donner le temps de réfléchir. Il connaissait pas trop mal Inga, et tout ça ne lui disait rien qui vaille. Elle n'aurait jamais lâché Widjet. Par contre, elle aurait très bien pu faire quelque chose de stupide. Sous son physique d'acier, elle était restée une enfant. Ce qui était sûrement le nœud du problème. Inga était une belle plante, aussi douce et souple qu'un épi de blé, mais indéniablement musculeuse. Les barres de fer se brisaient sur ses abdominaux, et, en une occasion, on l'avait vu soulever un semi-remorque à bouts de bras. Or, pour la petite fille cachée sous ses pectoraux à faire pâlir un super-héros créé dans les années 90, toute cette force, c'était dégoûtant. Elle, elle aurait voulu être une chanteuse. Une apparition diaphane qui susurrerait des ballades sentimentales et qu'un amoureux transi attendrait à la porte de derrière, un bouquet de fleurs à la main. Elle le rêvait à s'en crever les tripes.

Dick en avait connu beaucoup, des comme elle, et tout ce qu'il pouvait espérer, c'était qu'elle n'ait pas fini comme eux. Il avait essayé de la mettre en garde, pourtant. Contre les histoires. Les rumeurs. Celles qui voulaient que l'ami de l'ami d'un ami soit devenu une personne totalement différente du jour au lendemain. Ou qu’une fille dans le Triangle de la Soif soit partie faire carrière à Carnégie après développé des capacités d'actrices en une nuit. Des choses pas vérifiables, mais qui pouvait pousser à l'action quelqu'un de suffisamment désespéré. Quelqu'un comme Inga, par exemple.

IronHelm devrait attendre, Dick avait un problème plus urgent à régler. Accélérant soudain le pas, il prit la première à gauche et obliqua vers la place Grimm. Inga créchait juste derrière, au numéro 11 de la rue de Rêve Lointain. Troisième étage, droite, si les souvenirs du détective étaient exacts. De fait, l'étiquette en forme de théière souriante sur la sonnette annonçait gaiement que ceci était bien ici l'appartement d'Inga Sergeiovna. La porte non verrouillée, elle, annonçait des ennuis. De même que l'odeur qui filtrait sous le seuil, un mélange suffoquant de moisissures et de corruption. Dick ôta la sécurité de son révolver le plus silencieusement possible, et appuya sur la poignée.

Un rectangle de lumière se dessina graduellement sur la moquette lilas. Le détective compta lentement jusqu'à dix. Rien ne bougea. L'odeur, elle, se fit plus forte. Dick assura sa main gauche autour de la crosse de son révolver, et, de la droite, tâtonna le long du mur jusqu'à trouver l'interrupteur. La lumière jaillit, éclairant crument ce qu'il avait redouté dès l'instant où ce parfum de mort lui était parvenu aux narines. Inga était bien là, allongée sur son lit. Elle ne respirait plus. Sa peau avait la même apparence flétrie que les écailles kappas de la rivière ondoyante. Au niveau de ses poings serrés et de ses articulations, des craquelures étaient apparues, par lesquelles suintait un liquide noir.

Un reflet rougeâtre attira l'attention de Dick. Il s'avança vers le corps, laissant la porte béer derrière lui.

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